De Joel & Ethan Coen. Avec Michael Stuhlbarg, Richard Kind, Amy Landecker. 1 h 45. Sortie: 20/01.

Dans un cinéma américain trop souvent formaté, c’est peu dire que chaque film des frères Coen fait office de respiration bienvenue. Révélés il y a 25 ans par Blood Simple, les frangins n’ont cessé depuis de ciseler une £uvre singulière. Pour esquisser, film après film, les contours d’un univers qui, s’il est assurément référencé, n’en apparaît pas moins puissamment original, ayant fait du décalage et de la comédie en mode noir mieux qu’une marque de fabrique, un credo toujours réinventé. A cet égard, A Serious Man, outre qu’il apparaît comme leur film le plus intimement personnel, s’inscrit assurément dans la continuité de leur filmographie, renouant d’ailleurs avec un esprit voisin de celui d’un Barton Fink, monument du patrimoine « coenesque » au même titre que l’insurpassable The Big Lebowski ou qu’un No Country for Old Men d’un noir d’encre.

Comme dans tout bon opus des frères Coen, le héros du film est un individu résolument moyen. Soit Larry Gopnik, juif américain de son état, et professeur de physique dans une petite ville du Midwest fort quelconque. Un homme qui s’imaginait à l’abri de toute (mauvaise) surprise, mais qui va découvrir à ses dépens une réalité tenant dans un constat laconique: « Tout ce que je croyais immuable s’est révélé différent. » Ce processus de dérèglement systématique débute lorsqu’un étudiant coréen recalé vient lui intimer, l’air de rien, de modifier sa note, non sans lui laisser en douce et en guise d’argument définitif, une enveloppe bien garnie. Un événement questionnant la morale de Larry, et qui sera suivi d’autres, non moins déstabilisants. Ainsi, lorsque sa femme, et mère de leurs 2 enfants par ailleurs totalement indifférents à la pièce en train de se dérouler, lui signifie avoir une liaison avec une de leurs connaissances, avant de lui suggérer, dans la foulée, d’aller s’installer, avec son bon à rien de frère, dans le motel miteux de l’endroit. De quoi faire glisser insensiblement notre homme, fort démuni à vrai dire, dans un cauchemar éveillé. Sans autre recours que de s’en remettre au rabbin, dont les conseils se révèleront toutefois sibyllins – sauf à considérer que le salut puisse venir du… Jefferson Airplane; nous sommes en 1967, en effet, et les ondes résonnent de Somebody to Love.

Regard oblique sur le monde

C’est là l’un des attraits irrésistibles du cinéma des frères Coen, que d’ajouter à une formidable créativité formelle, une apparente égalité de ton. Et de glisser, sans sourciller et en toute équanimité, d’un possible allumé à un impossible guère moins crédible; d’aligner, dans un même élan, l’épisode abracadabrant des dents du goy et celui, non moins effarant, de la voisine aguichante prompte à dégainer le pétard. Et on en passe, qui composent un puzzle en forme de regard oblique sur le monde et la condition humaine. Loser parmi quantité d’autres habitant leur cinéma, Larry Gopnik (épatant Michael Stuhlbarg) n’a rien fait pour précipiter les malheurs qui s’abattent sur lui avec une régularité de métronome – à tel point, d’ailleurs, qu’à peine fait-il mine de sortir la tête hors de l’eau qu’une nouvelle catastrophe vient obscurcir l’horizon. A défaut, donc, des réponses aux questions sur le sens de l’existence dont il est tapissé, voilà un conte dont la morale pourrait tenir en quelque scénario du pire – soyez dans la mouise, et il en restera toujours quelque chose, voire plus dommageable encore, sans que nul n’y puisse rien. Constat asséné toutefois avec ce qu’il faut de dérision pour qu’on l’accueille avec le sourire: A Serious Man voit incontestablement les frères Coen évoluer au meilleur de leur humour noir…

Jean-François Pluijgers

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