Troquant les habits de comédienne pour ceux de réalisatrice, Sandrine Bonnaire livre, avec Elle s’appelle Sabine, une ouvre sensible et interpellante.

Comédienne d’exception, Sandrine Bonnaire signe, pour son passage derrière la caméra, un film qui ne l’est pas moins. Digne et généreux, Elle s’appelle Sabine est le portrait émouvant de sa s£ur autiste, Sabine. Bouleversant témoignage d’un avant et un après, le documentaire pose aussi la question d’une prise en charge déficiente et de ses conséquences. De passage à Bruxelles, la réalisatrice est revenue sur cette expérience dramatique ayant nourri sa détermination.

Sandrine Bonnaire: J’ai eu l’idée de faire ce film pendant la première année d’hospitalisation de Sabine, parce qu’au bout de six mois, un an, elle commençait à changer beaucoup. Je ne trouvais pas cela normal, on l’avait mise à l’hôpital pour être soignée, et le contraire se produisait. J’étais assez nostalgique des images que j’avais filmées auparavant, j’allais les revoir pour essayer de comprendre pourquoi elle régressait autant. Et je me suis dit que je ferais un jour un film là-dessus. La situation a empiré pendant quatre autres années, ce qui a confirmé mon envie. Enfin, en 2001, j’ai été Marraine des journées de l’autisme, et j’ai été confrontée à beaucoup de familles dans le même cas que nous. Je me suis alors dit qu’il fallait vraiment que je fasse ce film.

Focus: ce film est donc un acte politique au-delà de la déclaration d’amour à votre s£ur?

Voilà. C’est cela aussi, mais je n’avais pas besoin de faire un film pour qu’elle sache que je l’aime. J’ai voulu faire le film le plus personnel possible pour que cela puisse toucher un maximum de gens à travers elle. De toute façon, le constat est tellement fort, entre ce qu’elle était avant et ce qu’elle est maintenant, c’est tellement violent et désastreux que ça ne pouvait devenir que quelque chose de politique.

Comment expliquez-vous le déficit de structures appropriées en France? L’autisme est-il quelque chose que l’on ne veut pas voir?

C’est sûr. C’est gênant pour nous tous. Les autistes s’expriment trop fort et trop violemment. Et même s’ils sont à peu près 100 000 en France, cette maladie n’est pas prioritaire. Les moyens ne sont pas mis là où il faudrait, ce qui explique que Sabine soit restée cinq ans à l’hôpital, il n’y avait pas d’endroit où la mettre. Beaucoup de Français placent d’ailleurs leurs enfants en Belgique. C’est à la fois un problème de moyens mais aussi d’accord entre le sanitaire et le médico-social – il y a plein de problèmes. Mais je ne suis pas fataliste, j’ai envie d’y croire encore, et de me battre pour ça. En France, le film a été très bien reçu, il a été beaucoup vu, j’ai fait appel à certaines personnes politiques, et des démarches ont été entamées dans les deux sens. Maintenant, le politique prend-il le truc sur la vague ou y a-t-il un vrai désir de faire changer les choses? Je ne le sais toujours pas. Mais je suis allée au maximum dans ce que je pouvais faire de mon pouvoir à moi. Et je relancerai les choses si cela ne bouge pas.

Elle s’appelle Sabine est un film fort intime. Avoir fait un film avec elle a-t-il changé quelque chose dans votre relation avec votre s£ur?

Le fait d’avoir pu refaire un voyage ensemble. Pour moi, ce film est un voyage, et pour elle aussi. Dans le sens de renouer avec le passé. Nous avons refait un projet ensemble, sans reprendre l’avion, et sans décalage horaire, mais c’était une manière de partager un moment fort comme on a pu le faire avant. Aujourd’hui, elle va un peu mieux. Mais là, elle s’est sentie utile, sollicitée, écoutée, regardée, aimée, comme c’était le cas à l’époque, même si c’est sur un genre différent. Le film lui a fait beaucoup de bien, elle y est très attachée. A un moment, elle le regardait tous les jours, elle a le DVD. Maintenant, elle peut le visionner une fois par semaine, c’était trop, sinon. Cela permet aussi au service médical, éducateurs, psychologues, psychiatres, de déceler certaines choses au départ de ses réactions quand elle se regarde. C’est un peu thérapeutique, d’une certaine manière.

On ne peut pas quantifier la façon dont aurait évolué sa maladie si elle n’avait pas été internée. Quel est votre sentiment à cet égard?

Je pense que si elle était passée de la maison au Centre où elle est aujourd’hui, c’est évident qu’elle n’en serait pas là. Je pense même qu’elle aurait un appartement où elle pourrait être très autonome avec une surveillance à distance. Elle en était capable.

Comment avez-vous vécu le processus ayant conduit à son internement?

Durant l’hospitalisation, nous avons été dépossédés de tout acte qu’on pouvait avoir envie de poser. Dès qu’on avait une idée, on nous disait « ce n’est pas possible, votre s£ur est trop malade ». Et si nous disions l’avoir déjà fait avec elle, on nous répondait que c’était fini. Du coup, nous n’avions plus de relations normales avec elle. Cela passait par des tas d’autorisations, de contrôle de nos actes. Pour moi, cela devient une sensation d’incarcération, c’est du domaine de la prison. C’est pour ça que j’ai choisi de mettre ce carton noir avec cette phrase; il y a là une espèce de sentence, cinq ans de prison pour un crime qu’elle n’a pas commis. On avait le sentiment d’aller au parloir chaque fois qu’on allait la voir, il y a des choses qu’on ne pouvait pas amener, des choses qu’elle ne pouvait pas manger,… plein de détails qui ôtent la vie, qui amènent la personne à un état de dépossession d’elle-même.

Et maintenant, vous êtes en phase de réinsertion?

On peut dire cela, absolument. (rires)

ENTRETIEN JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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