À la queue leu leu

Laurent Raphaël © National

Enfin! Après deux étés sous cloche, ça sent bon le retour à la normale. Finis les masques, les jauges riquiqui, la distanciation sociale, Marius Gilbert, les pass sanitaires, etc. La jeunesse, rationnée en bamboches culturelles au grand air et en interactions sociales et hormonales, va pouvoir rattraper un peu le temps perdu. Et ça tombe bien, l’offre n’a jamais été aussi pléthorique. Que ce soit pour renflouer les caisses, pour amortir les coûts de leurs infrastructures ou simplement pour doper leur marque, les festivals se démultiplient cette année, singulièrement à Bruxelles qui voit débarquer en nombre les opérateurs historiques ( lire page 22). Un pari risqué, certes, et qui pourrait faire des victimes, mais on ne va pas bouder son plaisir après deux années de diète.

Pour vous aider à peaufiner votre plan de bataille, on vous propose un best of des événements les plus alléchants. Le spectre est large: musique bien sûr, mais aussi cinéma, expos ou littérature (pour la scène, ça se passe dans le Vif de la semaine prochaine). On vous conseille un rendez-vous en particulier, modeste mais ô combien chaleureux: le Focus Music Box, série de concerts apéros (gratuits) tous les mercredis au See U à Ixelles, dont la programmation est assurée en alternance par Focus Vif et Knack Focus, notre pendant néerlandophone. On n’est jamais mieux servi…Voilà pour les bonnes nouvelles. Car qui dit summertime dit aussi grosse affluence. Et donc multiplication des files d’attente. Péages d’autoroute, rocades embouteillées -un pléonasme-, guichets pour les jetons boissons, check-in à l’aéroport, toilettes publiques (surtout si vous êtes une femme)… L’estivant s’apprête à poireauter de longues heures pour une glace, pour admirer un point de vue remarquable ou pour une place de parking. Rien de nouveau, mais il est toujours étrange de voir le juillettiste ou l’aoûtien accepter sans broncher ces désagréments à l’heure du “tout, tout de suite”. L’individu qui insulte la voiture qui ne démarre pas assez vite au feu se transforme en mouton docile et patient en haute saison. Un paradoxe qui n’est pas propre à l’été. Tout le monde a en mémoire les images des embouteillages monstres devant les boutiques Apple quand la firme sort un nouveau joujou ou devant les grands musées parisiens lors d’une expo événement, style Monet ou Toutânkhamon. Dans ce dernier cas, la visite se résume d’ailleurs bien souvent aussi à une marche en rang serré jusqu’à la boutique de souvenirs.

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Il y a donc file d’attente et file d’attente. La première déclenche l’aigreur et la frustration. Elle est insupportable. C’est celle qu’on subit. Au supermarché, dans le métro, dans les administrations. La seconde en revanche passe crème. Elle est associée au plaisir de l’expérience ou de l’objet convoité. En ce sens, elle est à la société de consommation ce que les préliminaires sont à la relation sexuelle: un moyen de faire monter le désir. C’est pourquoi le quart d’heure à piétiner pour attraper le télésiège au ski n’a pas la même densité que celui, interminable et fastidieux, passé devant les portes closes d’un ascenseur. Dès les années 50, des chercheurs ont ainsi imaginé de placer des miroirs dans les halls d’entrée des gratte-ciel pour rendre l’attente moins pénible et subjectivement moins longue. Un Narcisse sommeille en chacun de nous.

Internet a déplacé le problème mais ne l’a pas résolu. Billets coupe-files, préventes, précommandes, lignes d’appel prioritaires… Toute une économie du temps perdu s’est développée en ligne depuis deux décennies. On ne fait plus le pied de grue ensemble mais tout seul dans son coin. Socialement, c’est plus simple à gérer. Pas de risque d’émeute. Les inégalités sont toujours bien présentes par contre. Celui qui a les moyens prendra les raccourcis ou s’offrira les services d’un remplaçant, métier en vogue. Pour les autres, il faudra s’armer de patience et tenter de trouver son chemin dans les labyrinthes des SAV, des répondeurs automatiques et des call centers.

On pourra méditer toutes ces considérations en attendant son tour au bar à Couleur Café, Dour ou Werchter. Cela ne dissoudra pas la queue mais fera au moins passer le temps…

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