À L’ÉCOUTE DES MUTATIONS D’UNE SOCIÉTÉ CHINOISE RONGÉE PAR LA VIOLENCE, JIA ZHANG-KE SIGNE UN FILM FASCINANT, UNE MOSAÏQUE DE DESTINS FRACASSÉS. MAGISTRAL.

A Touch of Sin

DE JIA ZHANG-KE. AVEC ZHAO TAO, JIANG WU, WANG BAOQIANG. 2 H 09. DIST: TWIN PICS.

8

Voilà une bonne quinzaine d’années maintenant que Jia Zhang-ke compose l’une des oeuvres les plus passionnantes du cinéma contemporain. De Platform en The World, de Still Life en 24 City, le cinéaste chinois s’est imposé comme l’observateur privilégié des mutations de son pays, portant un regard particulièrement aiguisé sur ses transformations, physiques comme économiques, et leur impact humain. Prix du scénario à Cannes en 2013, A Touch of Sin s’inscrit assurément dans la continuité thématique de l’oeuvre, tout en traduisant une évolution sensible dans le style du réalisateur. Jia Zhang-ke y croque un portrait de la Chine contemporaine à travers le destin de quatre personnages, issus d’autant de provinces différentes. Mineur excédé par la corruption des dirigeants de son village et recourant à la manière forte; travailleur migrant poursuivant son chemin armé d’arguments expéditifs; hôtesse lasse de subir des assauts insupportables ou jeune homme ne voyant pas le bout de la misère sociale et affective, la mosaïque humaine se veut à l’image de la réalité chinoise. Soit celle d’une société dont le développement économique brutal, sauvage même, a eu pour résultat de la voir gangrénée toujours plus par la violence, physique autant que morale, et motif central sinon exclusif du film.

En explorant les diverses facettes sur les pas de ses quatre protagonistes, Jia Zhang-ke orchestre un fascinant jeu de formes qu’il inscrit dans un mouvement ample, scandé de fulgurances et de profondes respirations. S’il fait preuve de sa virtuosité coutumière, le metteur en scène lorgne aussi, de manière quelque peu inusitée, vers le cinéma de genre: le premier segment emprunte ainsi largement au film d’action, avec même, ici et là, une pointe d’ironie féroce, tandis qu’un autre s’approprie divers codes du film d’arts martiaux, en une greffe prenant au-delà de toute espérance.

Parties sur ces bases, ces histoires de fantômes chinois se révèlent en tous points passionnantes, traduisant la capacité du cinéaste à se renouveler tout en continuant à disséquer la Chine d’aujourd’hui comme peu d’autres -encore que sa démarche semble désormais faire des émules, ainsi qu’en atteste Black Coal Thin Ice de Yi-Nan Diao, Ours d’Or lors de la dernière Berlinale. Fresque d’une belle ampleur baladant le spectateur dans un horizon chinois morcelé, A Touch of Sin se révèle ainsi tout à la fois accomplissement esthétique et expression d’une conscience acérée autant qu’inquiète. Un film magistral, dont chaque nouvelle vision vient souligner un peu plus la richesse, à défaut, pour le coup, de compléments.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content