Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

SORTI DE NULLE PART, L’AMÉRICAIN MUTUAL BENEFIT PROPOSE UN DISQUE DE COCOON-FOLK MILLEFEUILLE. LE REMÈDE IDÉAL POUR PANSER L’HIVER…

« Love’s Crushing Diamond »

Mutual Benefit

DISTRIBUÉ PAR OTHER MUSIC/PIAS.

8

D’abord, des tintements de cymbales, le clapotis lointain d’un tambour étouffé. Les violons viennent bientôt s’ajouter, soutenus par des grondements de synthés, et des clochettes élégiaques. Le roulement est aquatique, absorbant, comme un torrent chaud et tourbillonnant. Après deux minutes, la voix de Jordan Lee, le maître d’oeuvre de Mutual Benefit, énonce ce qui ressemble fort à une lettre d’intention: « I clear my mind of joy and sorrow/River doesn’t know tomorrow/It rolls along with such simplicity. » La simplicité, sinon la fluidité, voilà qui caractérise bien Love’s Crushing Diamond, disque aux allures folk à la fois limpide et multicouches.

Il est le premier essai du jeune Américain. Du moins le premier à paraître autrement que sur format cassette ou en digital (sur la plateforme bandcamp). Des potes de Brooklyn avait cassé leur tirelire pour sortir Love’s Crushing Diamond l’automne dernier sur leur micro-label Soft Eyes, avant qu’une plus « grosse » structure ne prenne le relais: Other Music, appendice d’un des plus fameux disquaires de New York…

Folk zen

A bien des égards, Mutual Benefit a tout du ticket indie, taillé sur mesure pour la bible Pitchfork. Ce qu’il est dans les faits (le webzine l’a étiqueté « best new music »). Mais pas seulement. Love’s Crushing Diamond dépasse et déclasse les étiquettes pour imposer in fine sa bienveillance et son humanisme. Souvent, un disque est un message à prendre ou à laisser. Love’s Crushing Diamond fait au contraire partie de ces albums rares qui donnent l’impression de vous avoir fait une place à leurs côtés.

On est loin du dépouillement. Plus Sufjan Stevens que Bon Iver, Mutual Benefit plonge chaque morceau dans un bouillon de sons, entre les cordes qui se superposent, les voix qui s’entremêlent, les touches de piano bancal… Mais sans que le millefeuille n’en devienne indigeste. Les chansons ont aussi des airs célestes (on pense parfois au Deserter’s Song de Mercury Rev). Mais sans oublier de s’ancrer dans le monde -ici le son d’un vieil orgue électrique dégoté par hasard (Golden Wake), là des éclats de rires ou des jouets d’enfants (Let’s Play/Statue of a Man).

Quitte à céder au cliché, Jordan Lee raconte volontiers que l’album lui a servi de thérapie, face aux galères que traversaient ses proches… Comment sortir de l’ornière, « stopper l’hémorragie, les mots rageurs?« , comme le chante par exemple Pauline Croze (Nous voulons vivre). Peut-être en laissant aller les choses? Derrière sa mélancolie, Love’s Crushing Diamond a ainsi des airs de renouveau, disque printanier avant l’heure. Au webzine Stereogum, Lee expliquait: « Pour moi, la seule manière de traverser tout ça a consisté à arrêter de penser aux choses en termes binaires, à savoir si c’est bien ou mal. C’est vraiment une pensée bouddhiste élémentaire: les choses sont comme elles sont, elles arrivent comme elles arrivent, point à la ligne. Donc je pense que le disque parle vraiment de ça -pas d’abandonner mais de juste laisser aller. » Comme la rivière qui coule et ne connaît pas demain…

EN CONCERT LE 02/03, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

LAURENT HOEBRECHTS

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