À bout de souffle

Un flic dans les bras de la belle, les classiques du film noir à travers un regard roumain.

Corneliu Porumboiu signe une variation distanciée sur le film noir, autour d’un flic désabusé courant après son destin et une femme fatale

Aux côtés de Cristian Mungiu, Corneliu Porumboiu reste la figure emblématique de la nouvelle vague du cinéma roumain ayant déferlé sur les écrans il y a une quinzaine d’années. Si le premier devait connaître la consécration avec la Palme d’or octroyée en 2007 à 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le second l’avait précédé au palmarès cannois douze mois plus tôt, 12h08 à l’est de Bucarest, son premier long métrage, remportant la Caméra d’or. Depuis, Porumboiu a tracé un sillon singulier, tâtant de la comédie dans Le Trésor, du documentaire au cadre footballistique (son père était arbitre international) dans Match retour et Football infini, ou mettant à profit un polar atypique, Policier, adjectif, pour tirer, tout en finesse, le portrait d’une Roumanie érigée en modèle kafkaïen.

De ce film, Les Siffleurs pourrait en quelque sorte apparaître comme le négatif. Comme si le policier dont l’idéalisme se heurtait alors à sa hiérarchie était désormais revenu de tout, métamorphosé en flic corrompu et désabusé courant après son destin. Hypothèse, du reste, accréditée par Corneliu Porumboiu lui-même, qui raconte avoir eu l’idée de ce nouveau film il y a une dizaine d’années déjà, alors qu’il mettait précisément la dernière main à Policier, adjectif.  » J’ai vu à l’époque un reportage télévisé sur le silbo, un langage sifflé pratiqué sur La Gomera, une île des Canaries. Le fait de voir ce langage très ancien refaire surface, avec ce qu’il charriait d’humour et de poésie, m’a intéressé, et j’avais envie de faire un autre film sur ce personnage de policier, dix ans plus tard, à un moment où il est complètement perdu. » Le langage sifflé lui tenant d’hypothétique boussole dans une entreprise criminelle qui lui échappe dans les grandes largeurs – » J’aimais le principe d’un personnage pensant tout avoir sous contrôle, et être paré pour toutes les éventualités avant d’être démenti par les faits, et de se retrouver dans une situation inextricable… »

Corneliu Porumboiu sur le plateau avec Vlad Ivanov et Rodica Lazar.
Corneliu Porumboiu sur le plateau avec Vlad Ivanov et Rodica Lazar.

Au féminin pluriel

Soit la matrice d’un film puisant généreusement dans la typologie du film noir, en une démarche ludique, sinueuse, distanciée et référencée.  » Revoir des films noirs m’a procuré un plaisir presque enfantin, observe-t-il. Ces films ont façonné mon imaginaire: je les ai vus enfant, les ai revus quand j’étudiais et les ai revisités pour les besoins des Siffleurs . Ils font partie de moi. C’est un imaginaire que l’on se construit et qu’on habite ensuite. Tous mes films intègrent des éléments de réflexion sur le médium, avec un jeu éventuel sur les genres et la manière dont le cinéma a affecté notre façon d’être. » Si, dans le cas présent, Porumboiu ne se fait faute de recourir à la figure de la femme fatale dans toute son ambiguïté, il l’étoffe aussi. Elles sont trois, en définitive, à laisser à Cristi, cet inspecteur fatigué, l’illusion de contrôler son destin, comme pour mieux tirer les ficelles dans l’ombre.  » On m’a souvent reproché l’absence de personnages féminins dans mes films précédents, j’ai donc voulu compenser, sourit-il. J’ai imaginé une sorte de triangle, composé d’une femme fatale, d’une femme forte et froide et d’une autre, la mère, plus religieuse. C’est un mélange de différentes personnalités, mais aussi entre un certain genre de cinéma et un certain type de société.  »

Manière, incidemment, de raccrocher le film à la réalité roumaine – » en termes culturels, et avec cette touche religieuse orthodoxe également« -, même si le ton de Porumboiu, certes pas dénué d’une solide dose d’humour (noir), se fait moins caustique dans Les Siffleurs qu’il n’a pu l’être en d’autres occasions.  » Je n’y ai pas vraiment pensé. Je n’ai pas envisagé le genre comme un moyen de traiter de la société, mais plutôt comme une façon de toucher le public, en m’inscrivant dans un imaginaire qui lui est familier. » Souci encore accru sans doute par le fait que le cinéma roumain, s’il continue à produire des oeuvres de qualité, peine par contre à trouver son public:  » C’est une période faste sur le plan créatif, avec les auteurs découverts à la faveur de la nouvelle vague et les jeunes réalisateurs ayant émergé depuis, mais ces films ne rencontrent guère de succès en Roumanie. Le marché est devenu très difficile, en raison notamment de la diminution du nombre d’écrans dans les villes. Il y a des multiplexes, mais visant une autre génération, et des spectateurs surtout en demande de films leur permettant de s’évader. C’est clair qu’en tant que cinéaste roumain, j’aimerais que mes films y soient vus par un public plus nombreux. »

À bout de souffle

Les Siffleurs

Auteur, avec Policier, adjectif, d’un drame aux allures de polar apathique, Corneliu Porumboiu s’essaie, à la faveur des Siffleurs, à une variation sur le film noir. S’ouvrant au son de The Passenger d’Iggy Pop, le film débarque à La Gomera, dans les Canaries, sur les pas de Cristi (Vlad Ivanov), un inspecteur roumain corrompu et désabusé, venu, à l’invitation de Gilda (Catrinel Marlon), femme fatale archétypale, y apprendre le silbo, un langage sifflé ancestral. Le nerf secret d’un récit à tiroirs enchâssant rebondissements et retournements avec une incontestable agilité. Le réalisateur roumain connaît ses classiques, Les Siffleurs (se) jouant des codes du film noir, tout en multipliant les citations, de Psycho à The Searchers. Mais s’il y a là un polar tortueux à souhait, l’ensemble manque quelque peu de consistance, même si Porumboiu veille à y injecter une pointe d’ironie bienvenue.

De Corneliu Porumboiu. Avec Vlad Ivanov, Catrinel Marlon, Rodica Lazar. 1 h 38. Sortie: 15/01.

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