Richard Gaitet et les dessous de l’écriture romanesque

Sur scène, en podcast ou désormais en livres, Richard Gaitet nous invite dans la petite cuisine des écrivains. © dr

Il y a trois ans naissait le podcastBookmakers, géniale anatomie des dessous de l’écriture romanesque et plus si affinités, imaginé par le journaliste et écrivain Richard Gaitet, rencontré à l’occasion de l’adaptation écrite de ces riches petits précis de littérature…

Je vais essayer de ne pas vous raconter de banalités…” C’est la promesse que nous fait le journaliste et écrivain Richard Gaitet, créateur de l’incontournable Bookmakers (sur Arte radio), qui a en quelque sorte plié le match en matière de podcast littéraire. Chaque mois ou presque, il entre dans les coulisses de la création artistique, pour “soulever le capot de l’écriture, regarder comment fonctionne le moteur des écrivains”. Dans un contexte francophone où l’art et la manière de devenir romancier ne s’apprennent pas à l’université (à la différence peut-être des cursus de creative writing que l’on peut trouver aux États-Unis par exemple), cette plongée dans les eaux profondes des mystères de l’écriture, aussi bien sur le plan émotionnel que stylistique ou logistique, constitue une sorte de cours accéléré, de partage d’expérience salutaire et galvanisant pour l’apprenti écrivain, éclairant et fascinant pour le lecteur enthousiaste.

Mais d’où vient ce goût pour la pratique de l’écriture? “Je suis un pur autodidacte en matière d’écriture. Je suis né à Lyon, un matin froid, m’a-t-on dit, de 1981. Il n’y avait pas d’intellectuels dans ma famille, mon père était flic, ma mère nourrice, mes grands- parents bouchers-charcutiers. Des gens qui lisaient mais qui ne parlaient jamais de bouquins. Mais j’ai vite senti, même si j’ai mis longtemps à l’affirmer, que j’aimais écrire.” Comment alors, quand on n’a pas “le levier de projection sociologique”, on devient écrivain? “D’abord, en arrivant à Paris après mes études, j’ai beaucoup lu. Mais j’avais beau essayer de comprendre pourquoi certaines narrations ou personnages provoquaient tant d’effet, alors que certaines écritures me laissaient indifférent, je n’avais aucun endroit vers lequel me tourner pour comprendre la pratique. Avec des amis, on a fondé un petit cercle nocturne qui s’appelait le Cercle des Poètes Disparates. Pendant un an, on se donnait comme objectif d’écrire tous les mois une nouvelle avec une contrainte de fond et de forme. J’ai pris goût à ça, j’étais l’un des plus assidus, j’attendais avec impatience ce rendez-vous mensuel. L’un d’entre nous, l’un de mes meilleurs amis, Julien Blanc-Gras, est devenu écrivain, et ça m’a donné du courage, de voir que c’était possible.

Le jeune homme d’alors publie après des années d’hésitations un premier roman, sous pseudonyme, Les Heures pâles. “C’était un roman autobiographique, une histoire vraie à 88%. C’est grosso modo l’histoire de mon père. À l’époque, je me suis demandé si j’avais le droit de raconter l’histoire de mes proches, même sans les nommer. Avec le temps, et comme le dit d’ailleurs Delphine de Vigan dans l’épisode du podcast qui lui est consacré, j’ai compris que c’était aussi mon histoire, et qu’il ne s’agissait pas de dire la vérité, mais bien ma vérité.” À l’occasion de la sortie des deux premiers tomes de Bookmakers, Points réédite d’ailleurs le livre en poche, sous son vrai nom. “Le voir ressortir sous mon nom, ça remet un peu les choses dans l’ordre, et ça me fait du bien. Je suis très heureux, très fier, très ému, et autres adjectifs larmoyants.

Déjouer le mythe de l’inspiration

On sourit de sa malice. N’empêche que l’on comprend bien comment toutes ces questions, posées lors de la rédaction de ce premier manuscrit viennent enrichir et donner corps aux passionnants entretiens menés dans le cadre du podcast. Des interrogations qui vont bien au-delà du mythe de l’inspiration, d’une “visite des muses au petit matin”, et qui ont pour surprenante et précieuse vertu de replacer les auteurs et les autrices dans le monde réel et même l’économie, nous rappelant que ce ne sont pas des êtres éthérés qui ne vivent que dans la fulgurance de leurs idées, mais bien des travailleurs comme les autres, pour qui “90 % du temps, c’est plutôt de la transpiration, des cheveux qu’on s’arrache, et des heures à regarder le plafond en se demandant ce qu’on fait là”.

Mais pour parvenir à pénétrer les rouages du métier d’écrivain, il faut les bons invités, qui soient prêts à consacrer du temps à l’introspection et à aller dans le détail. “Et puis je veux des gens qui ne se prennent pas trop au sérieux, mais qui prennent au sérieux le livre, le travail, la relation au lecteur, qui se mettent tout entier à l’ouvrage. Mais qui puissent aussi prendre du recul sur l’idée que l’on peut se faire de l’Écrivain. Ce n’est qu’une profession parmi tant d’autres.” Et de fait, si les 22 premiers invités du podcast se distinguent par leur diversité (du premier, l’inimitable Philippe Jaenada, romancier spécialiste de la digression, obsédé par les affaires criminelles, à la dernière, l’autrice, dramaturge et scénariste de bande dessinée installée à Bruxelles Loo Hui Phang), ils se rejoignent dans leur façon de se livrer avec une sincérité souvent désarmante sur les secrets de leur vocation, et les méandres propres à la pratique de l’écriture. C’est le cas aussi bien sûr de Nicolas Mathieu et Alice Zeniter, qui font l’objet des deux premières adaptations écrites publiées par Points, élégamment mises en pages, et considérablement enrichies grâce au prolongement de la discussion entre le journaliste et les deux auteurs.

En attendant la parution des deux prochains tomes en octobre, et la publication du prochain podcast fin janvier, on demande à Richard Gaitet ce qu’il retient de cet exercice exaltant: “Ce qui me touche le plus, je crois, c’est quand des gens me disent s’être mis à écrire, ou avoir réussi à débloquer des problèmes d’écriture grâce au témoignage de leur écrivain préféré. De créer ce lien.

Les Heures pâles, éditions Points, 192 pages

Alice Zeniter, une écrivaine au travail et Nicolas Mathieu, un écrivain au travail, éditions Points / Arte éditions, 144 pages chacun.

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