Rencontre avec Négar Djavadi, lauréate du prix Première

Négar Djavadi, lauréate du prix Première © Pierre HAVRENNE/RTBF

L’écrivaine française d’origine iranienne Négar Djavadi surprend avec un premier roman touchant contant l’histoire de Kimiâ, perdue entre Téhéran et Paris. Rencontre avec la lauréate du prix Première décerné lors de la Foire du livre de Bruxelles.

Si Désorientale est son premier essai en tant que romancière, Négar Djavadi n’est pas pour autant inconnue du public. D’abord réalisatrice, elle fait ses premiers pas dans l’écriture via des scénarios de courts-métrages et de séries. L’auteure française d’origine iranienne signe un premier livre puissant où elle conte avec beaucoup de sensibilité l’histoire d’une famille traversant de multiples épreuves entre leur Iran natal et une France où ils peinent à se faire une place.

Un mélange subtil entre rappels historiques d’un pays qu’elle a vu se transformer et d’anecdotes et autres moments de vie. Kimiâ, la narratrice de Désorientale, commence par nous raconter pourquoi son père ne prenait jamais les escalators, qu’il réserve aux vrais Français; elle nous promet aussi qu’elle reviendra sur ce qui s’est passé le 11 mars 1994 dans le XIIIe arrondissement de Paris et on se retrouve ensuite dans une des ailes de l’hôpital Cochin où elle attend d’avoir recours à une insémination artificielle. C’est à ce moment qu’elle se décide à nous raconter son parcours, qu’elle remonte dans son arbre généalogique pour nous nous faire comprendre l’Iran du Shah, la révolution des intellectuels puis l’exil dans un nouveau pays.

Un premier roman plein de surprises pour le lecteur, mais aussi pour son auteure qui s’est vue décerner le prix Première lors de la Foire du livre de Bruxelles qui récompense chaque année un premier roman écrit en français.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre qui quelque part est lié avec ce que vous avez vécu?

Négar Djavadi: À un moment donné, j’ai eu envie d’écrire une histoire. Dans mes scénarios, je suis toujours très contenue dans ce que j’écris et je dépends souvent de la volonté des autres, de ce qu’ils veulent, et même quand je travaille pour moi, ils corrigent et enlèvent beaucoup de choses donc j’avais envie d’être libre dans mon écriture, de raconter une histoire qu’on ne peut pas faire au cinéma. Je savais que ce que j’avais vécu pendant la révolution allait s’intégrer dans ce que j’allais raconter parce que c’est une période dont on ne parle pas beaucoup. On parle toujours de la révolution islamique, mais jamais de celle des intellectuels et il y avait vraiment quelque chose à dire, sinon je pense que je n’aurais pas écrit ce livre.

Que représente pour vous le terme « désorientale »?

N.D: C’est quelque chose qui m’est venu bien avant le livre. On ne me demandait pas d’où je venais clairement parce qu’avec le temps, les frontières disparaissent. Mais on me demande toujours si je suis orientale. C’est une question qui revient assez souvent et je ne sais pas comment y répondre parce que je ne sais pas ce que ça veut dire. Je suis ici en face de vous, je me lève le matin comme tout le monde, je bois un café, donc qu’est-ce que ça veut dire d’être orientale, en dehors de l’Orient donc en moi-même? Je me suis toujours dit que j’étais désorientale et ça colle au personnage du livre parce qu’elle est désorientée. Ce terme revient à s’interroger sur son appartenance.

Quelles différences existe-t-il entre vous et Kimiâ, le personnage principal du livre?

N.D: Il y a pas mal de choses, à commencer par le fait que je n’ai pas vécu l’événement de l’assassinat de mon père et la personne qui va parler pendant tout le roman part de ce point-là, donc émotionnellement je ne suis pas cette personne. Quant à la biographie réelle, je ne suis pas née à la mort de ma grand-mère, je n’ai pas de soeur, je n’ai pas vécu à Londres, Amsterdam ou Berlin… Par contre, j’ai habité à Bruxelles comme elle.

Est-ce qu’il y a des aspects du personnage que vous enviez?

N.D: J’aurais bien aimé avoir son audace. Je n’ai pas eu le courage de me dire « je quitte tout, je pars, je fais ce que je veux et je vis comme j’ai envie de vivre », c’est-à-dire en oubliant les pays de naissance, les pays d’accueil… Et aller explorer le monde.

Votre récit a un côté drôle et touchant qui emmène rapidement le lecteur, mais vous prenez aussi le temps de sortir de l’histoire au travers des notes en bas de page pour nous expliquer la situation de l’Iran à cette époque, est-ce que c’était important pour vous que tout le monde comprenne bien ces événements?

N.D: Oui, je trouvais ça important que les lecteurs comprennent, même si au final, mon but n’était pas de faire un travail d’historien. J’ai voulu créer un partage avec eux pour leur faire comprendre l’histoire d’un pays, que cette révolution ne s’est pas produite simplement avec l’arrivée d’un dictateur, mais qu’elle prend ses racines bien plus tôt. J’avais envie de faire connaître l’histoire de ce pays parce qu’elle nous concerne aussi. En 1979, l’islam politique est arrivé au pouvoir en Iran. Il y avait une volonté d’imposer l’islam en tant que gouvernance, de charia et c’est le début d’un bouleversement du monde. Pour moi, les Twin Towers sont les échos de cette révolution.

La notion d’identité prend une place importante dans le roman par le fait que le personnage principal se cherche, est-elle importante pour vous?

N.D: Ce qui est important pour moi, ce n’est pas de se demander qui je suis parce que dans le fond, quand on se réveille le matin, on ne se demande pas très souvent qui on est, c’est le regard des autres qui nous interroge sur cette question. Ce qui est important pour moi, c’est de montrer que derrière les étiquettes que l’on colle sur les gens, il y a des histoires incroyables.

Le thème de la maternité revient à plusieurs reprises dans le roman, que ce soit dans la scène du début à l’hôpital ou dans le questionnement sur l’envie d’avoir des enfants. Que représente-t-il pour vous?

N.D: Je ne me suis pas du tout dit que j’allais écrire sur la maternité, mais après avoir parlé de l’arrière-grand-mère et de la grand-mère, j’ai remarqué que l’histoire de l’Iran devait aussi être racontée à travers la façon dont les femmes étaient considérées tout au long de ce 20e siècle, de tout ce qu’elles ont gagné et puis d’un coup tout ce qu’elles ont perdu. Je ne pouvais pas passer à côté du thème de la maternité parce qu’à une époque, la femme n’était qu’une épouse dont on ignorait souvent le nom, le prénom. Elle était là juste pour donner des héritiers. On en arrive alors au personnage de la mère qui décide si elle veut avoir des enfants ou pas, qui travaille, qui devient un opposant politique… Donc le thème de la maternité dessine un lien entre toutes les femmes d’un même pays.

Vous faites beaucoup allusion au rock dans votre roman, que ce soit en citant PJ Harvey, en parlant de Patti Smith ou même par le rythme que prend le récit. Quel est votre lien avec la musique rock?

N.D: C’est un lien d’amour, bien que je ne fasse rien dans la musique. Je n’ai pas de groupe de rock, mais je l’adore. C’est un peu tombé en même temps que le cinéma et ça représente d’autres mondes, ça n’était pas l’Iran et ça n’était pas la France, c’était un ailleurs accessible où tout le monde avait sa place. Je fais souvent référence à Joe Strummer qui disait, quand le punk est arrivé: « on a regardé les Sex Pistols sur scène en se disant moi aussi, je peux le faire ». Ça a donné une parole à tous ceux qui n’en avaient pas et qui se croyaient exclus de la société. C’est pour cela que j’ai choisi le rock pour Kimiâ, parce qu’elle se sent exclue, elle se sent différente et le rock devient son pays.

Vous venez du monde du cinéma. Croyez-vous que le livre pourrait faire l’objet d’une adaptation cinématographique?

N.D: Ça pourrait l’être, mais c’est trop cher, on reste quand même dans l’industrie du cinéma et aller tourner en Iran, faire des décors historiques ça coute de l’argent et ce n’est peut-être pas nécessaire non plus.

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