Peut-on apprendre à écrire un roman ?

© Julien kremer
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

La question, qui fera notamment débat à l’Intime festival de Namur, n’en finit pas de diviser. Alors que la rentrée littéraire s’apprête à déferler en librairie, rencontre avec trois primo-romanciers passés par des cours de création littéraire.

C’est un angle d’approche comme un autre. Pour tâter le pouls d’une rentrée littéraire, regarder son offre de premiers romans. Combien sont-ils ? D’où viennent leurs auteurs ? Comment leur est venue la vocation ? A cet égard, difficile de ne pas prendre la mesure de ce qui se dessine comme une véritable tendance depuis quelques années en France et en français : les nouveaux écrivains sont de plus en plus ceux qui auront appris, au préalable, à le devenir. Légitimés et très courus aux Etats-Unis, où l’écriture se vit d’abord comme pratique ( craft), les cours de creative writing ont longtemps été snobés en France, empêchés par une vision sacralisée et élitiste de l’écriture comme don (héritage du romantisme et effet d’un patrimoine littéraire écrasant). Signe d’une démocratisation bienvenue et d’une certaine  » horizontalisation  » des accès : des cursus d’écriture sont désormais proposés à l’université et dans les écoles d’art, où les ateliers et les masterclasses sont assurés par des artistes et des écrivains – parfois célèbres. L’Atelier des écritures contemporaines de La Cambre, à Bruxelles, le master de Création littéraire de l’université du Havre, ou celui de Paris 8 ne désemplissent pas d’étudiants d’âges et d’horizons variés. Et il arrive que les éditeurs eux-mêmes, pour qui ces programmes représentent un vivier inespéré de voix et de talents, fassent leurs propres classes (depuis 2012, les éditions Gallimard proposent des stages animés par des auteurs maison).

Mathilde Forget, un premier roman après la musique.
Mathilde Forget, un premier roman après la musique.© JF paga

Que trouve-t-on dans ces cours et ateliers au succès grandissant ? Des leçons théoriques et pratiques en alternance, où apprendre à construire une intrigue, créer un personnage, manier les styles et les temps, l’art des dialogues, le monologue intérieur… Autant de points techniques aussi précis que cruciaux, auxquels s’ajouteront des rencontres  » professionnalisantes  » avec des acteurs du monde du livre, et, surtout, le dévoilement régulier des états de son manuscrit devant le groupe constitué par les autres participants – l’occasion de s’y confronter comme à un premier public, auprès de qui tester sa voix comme un laboratoire en cours. Comme l’explique l’écrivaine Camille Laurens, spécialiste de l’écriture de soi et professeure occasionnelle aux Ateliers Gallimard, la lecture collective des fragments de chacun  » amène à une position critique (toujours bienveillante) qui, en décelant ce qui manque, ce qui pèche et ce qui séduit dans les textes des autres, permet d’apprendre à se relire soi-même d’un oeil plus attentif et mieux exercé « . Des programmes qui relancent rien moins que l’origine, l’accessibilité et la finalité de la littérature. Camille Laurens encore :  » Certes, tous ne deviendront pas écrivains, mais tous peuvent connaître le plaisir d’évoluer dans sa propre langue, de trouver sa voix, son rythme pour transmettre une histoire.  » Portrait de trois jeunes auteurs partis à la rencontre de leur style dans l’une de ces écoles.

Peut-on apprendre à écrire un roman ?

Mathilde Forget, diplômée du master de Création littéraire de Paris 8, auteure de A la demande d’un tiers (Grasset, sortie le 21 août).

 » C’est certainement pour me donner une légitimité que je me suis inscrite à ce master. Je fais de la musique depuis que je suis toute petite (NDLR : son premier EP, Le sentiment et les forêts, est paru en 2014), mais je n’étais pas très bonne en français à l’école, et très mauvaise en orthographe ! Toute seule, je me serais dit qu’une personne aussi éloignée de la littérature en apparence n’a pas le droit d’écrire un livre. Pourtant, je voulais écrire un roman sur la folie, proposer un autre regard sur les maladies mentales, et ce projet de livre prenait toute la place dans ma tête. Je ne pensais plus qu’à ça et je voulais aller au bout, mais je ne me voyais pas écrire de temps en temps et y passer des années. Alors j’ai envisagé cette formation comme un challenge : j’avais deux ans pour écrire mon premier roman. Ce que je recherchais était un cadre strict de travail. Enfin strict … un cadre, du moins. Avec le programme, les professeurs, les camarades, les ateliers, les rendus, on est pris dans un mouvement qui rend plus difficiles les abandons. Les cours d’écriture font peur car on s’imagine que cela formate les écritures, mais c’est l’inverse. En tout cas, l’expérience que j’en ai eue à Paris 8 m’a montré le contraire. La première année, à cause de mes complexes, j’écrivais des phrases  » compliquées « . Il y avait un sérieux et une poésie fabriqués, je pense. J’essayais de  » faire écrivain « . Je ne prenais pas de plaisir avec cette écriture fabriquée, et c’est en y renonçant que j’ai découvert la mienne. Le master ne m’a pas appris comment je devais écrire mon roman, mais il m’a permis de découvrir mon écriture, de l’entendre et de la garder. Ce master nous forme aussi en tant que lecteurs : nous devons lire nos camarades, argumenter et savoir pourquoi nous avons aimé ou décroché face à leurs textes. Et cet exercice sert notre écriture. Je ne sais pas de quoi les Français ont peur avec les cours d’écriture. Que de mauvais livres soient publiés ? Cela fait déjà longtemps qu’il y en a pour tous les goûts en littérature ! Que tout le monde se mette à écrire ? Ce serait malheureux ? Le master permet à de nouveaux profils d’accéder à la littérature. Je ne vois pas ce que ce cela pourrait avoir de menaçant pour les amoureux de la littérature.  »

Théo Casciani, entre Kyoto et Bruxelles.
Théo Casciani, entre Kyoto et Bruxelles.© dr

Théo Casciani, sorti de l’Atelier des écritures contemporaines de la Cambre, auteur de Rétine (P.O.L, sortie le 22 août).

 » Avant de rejoindre l’atelier des écritures contemporaines de la Cambre, j’avais déjà un rapport au texte, sous d’autres formes. J’avais entamé l’écriture de Rétine à Kyoto, au Japon, quelques mois auparavant. Je suis donc arrivé avec un certain nombre de pages et une idée précise de ce qu’allait être ce roman. Mais j’avais le désir de le confronter à d’autres regards et expériences. J’allais chercher un cadre pour écrire mon livre – et non pour devenir écrivain : une structure qui puisse à la fois me permettre de mener à bien ce projet tout en légitimant ma pratique. Il peut parfois y avoir quelques incompréhensions autour des jeunes auteurs ; avec cet atelier, je trouvais un lieu depuis lequel écrire et d’une certaine manière, chacun pouvait saisir de quoi mes journées étaient faites. J’étais curieux d’accéder à une histoire de la littérature récente, à des influences et des conseils, mais surtout de trouver là une dynamique d’atelier qui permette à chacun d’écrire à partir de son propre rapport sensible aux choses et d’accomplir ses ambitions formelles. L’année passée à Bruxelles a été traversée par de nombreuses expériences fondatrices, des conseils, des doutes, des désaccords, des discussions, des découvertes. L’écriture s’apprend-elle ? Cela me paraîtrait assez étrange d’asséner que l’écriture s’apprend ou non. Mais l’intuition qui me vient d’après mon expérience me laisse penser que l’écriture se pratique plus qu’elle ne s’apprend, et que cela finit d’en faire un art comme un autre. J’ai justement choisi de rejoindre ce programme puisqu’il se trouvait dans une école d’art, à la Cambre. Je ne suis pas sûr que l’enjeu pour les étudiants des autres départements de l’école soit littéralement d’apprendre à peindre, à sculpter, à produire un objet graphique ou une installation. Je dirais donc que l’écriture ne procède pas vraiment d’un apprentissage mais qu’elle a toute sa place dans une école. Quand Frédéric Boyer m’a proposé de publier mon manuscrit chez P.O.L, la vague de joie s’est accompagnée d’une sensation plus surprenante, quelque chose comme un basculement, une réalisation. Toutes ces pages, tous ces regards et toutes ces impressions venaient soudain de précipiter pour devenir tangibles. Je pouvais enfin me dire que j’avais écrit un livre.  »

Peut-on apprendre à écrire un roman ?

Guillaume Sørensen, diplômé du master de Création littéraire du Havre, auteur de Le Planisphère Libski (éd. de l’Olivier, sortie le 22 août).

 » Jusque-là, j’avais publié dans des revues, pris part à des ateliers d’écriture, fondé une revue littéraire amateur, donné des ateliers d’écriture dans des cafés (NDLR : en Belgique, où il est né). Mais j’avais besoin d’aller plus loin que ce que j’avais découvert, je voulais en apprendre un maximum sur l’écriture. Au moment de mon inscription, j’avais avec moi le début d’une pièce de théâtre. Une pièce affreuse dont j’ai enterré la dernière copie connue sous trois tonnes de béton au milieu de la zone 51… (rires). D’une manière générale, j’éprouve beaucoup de gratitude envers tous les professeurs que j’ai croisés pour m’avoir permis l’espace et le temps de me gourer, d’essayer, de trouver, sans jamais oublier ni rigueur ni discipline ni exigence. On apprend à se connaître, à maîtriser son rapport à l’écriture, dans tous les sens du terme : quelles références aller voir ? Quelles questions se poser ? Comment se les poser ? Comment se rendre maître d’un personnage, d’une intrigue, d’un ton ? Sans oublier l’aspect pratique : écrire debout, assis, suspendu au plafond la tête à l’envers… Aucune manière de vivre son écriture n’est intrinsèquement meilleure qu’une autre, ce qui marche pour l’un ne marchera pas forcément pour soi. C’est important de découvrir sa propre façon de bosser. Avant d’être confronté aux ateliers intensifs, je ne savais par exemple pas que je suis incapable d’écrire dans le bruit, même de conversations réduites au minimum… Au cours de la formation proprement dite, il y a eu ce moment pivot où Laure Limongi (NDLR : éditrice chez Leo Scheer, directrice du master du Havre et professeure) a eu les bons mots au bon moment, quelques phrases dures dont j’avais besoin. Le roman a vraiment décollé à partir de cet entretien-là, ça m’a libéré d’une certaine paralysie, ça m’a permis de m’amuser à nouveau, de revenir en amont des enjeux et des angoisses qu’on rajoute par-dessus le texte… Mon regard sur l’écriture est le même que quand j’avais 9 ans : c’est la chose la plus incroyable au monde, presque magique. Lorsque que j’ai eu le fameux  » coup de fil de l’éditeur  » dont parle la légende, j’ai sauté de joie. Publier, c’est l’occasion d’apprendre, de questionner, encore. Marcher un pas plus loin.  »

Guillaume Sørensen, un Belge à Paris.
Guillaume Sørensen, un Belge à Paris.© Patrice Normand/éd. de l’Olivier
Intime festival, chapitre VII

Attentif à l’écriture et à la production littéraire sous toutes ses formes, l’Intime festival organisé par Benoît Poelvoorde et Chloé Colpé posera la question  » Peut-on apprendre à écrire ?  » en public avec Guillaume S ørensen, Olivier El Khoury et Théo Casciani ce samedi 23 août. Durant trois soirs et deux jours, les grandes lectures (Russell Banks par Jackie Berroyer, Bérengère Cournut par Marianne Denicourt, Philippe Lançon par Mathieu Amalric…) se succèderont aux rencontres avec les écrivains (Florence Aubenas, Lieve Joris, Charly Delwart…).

Intime festival, chapitre VII, du 23 au 25 août au Théâtre de Namur. www.intime-festival.be.

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