Peter Heller, écrivain passé maître du western écologique

Peter Heller: “En nous hygiénisant complètement, nous passons à côté de l'essentiel.” © John Burcham
Bernard Roisin Journaliste

Sorte de Don DeLillo de l’environnement, l’écrivain américain Peter Heller, auteur de récits d’aventures et de romans, nous harponne avec Le Guide.

Kayakiste invétéré, aventurier, pêcheur, chasseur, un temps bûcheron, Peter Heller, qui a aussi été journaliste notamment pour le National Geographic, a très jeune quitté New York pour rejoindre le Vermont. Il vit désormais dans le Colorado. Auteur visionnaire, il imaginait dans La Constellation du chien (sorti en 2013 chez Actes Sud) une pandémie mondiale. Dans La Rivière (publié en anglais en 2019), il décrivait des incendies dans le nord du Canada. Fan de Jim Harrison et de Walden ou la Vie dans les bois d’Henry David Thoreau, Peter Heller met en scène dans son nouveau roman Le Guide, un western écologique à suspense, Jack, guide de rivière et de pêche, un métier qu’il a lui-même pratiqué.

Jack trouve un emploi dans un lodge pour milliardaires au bord d’une rivière poissonneuse, privatisée pour les hôtes. Dans cette bulle d’air et d’eau purs préservée des ravages d’une nouvelle pandémie de Covid, le jeune homme découvre, en compagnie d’Alison, célèbre chanteuse country qui fait partie des clients et devient rapidement plus que son équipière de pêche, que de mystérieux événements se déroulent sous la surface, impliquant de gros poissons. On mord à l’hameçon…

L’intrigue de vos romans ressemble à un ruisseau qui gonfle peu à peu pour muer en un fleuve d’événements….

Je commence toujours par la première ligne, dont j’aime la musique. J’ai débuté par la poésie et je m’intéresse beaucoup plus à la musique de la langue qu’à l’intrigue ou l’histoire. Je commence donc toujours par cette phrase dont j’adore le son et la cadence, et je continue sur cette lancée: l’histoire chevauche la langue plutôt que l’inverse. C’est le contraire de ce que font la plupart des écrivains, qui démarrent souvent d’une idée, d’une intrigue ou d’un schéma. Sauf Stephen King et Elmore Leonard, m’a appris un ami scénariste… Ce qui m’a décomplexé lorsque j’ai commencé à écrire des romans voici quinze ans.

Je passe la moitié de ma vie sur les rivières. En tant que kayakiste, j’ai participé à des expéditions partout sur le globe. Lorsque vous pagayez sur une rivière qui n’a pas été décrite ou dont vous ignorez le tracé, vous contournez un rocher sans savoir ce qui va se trouver derrière. Un puma en train de boire, un vol d’hirondelles éclairé par le soleil, une chute? Il y a toujours ce frisson d’aventure.

Quand vous écrivez, vous faites du kayak sur les mots?

(rires) Je me lance dans un courant narratif que je suis vers de nouveaux territoires en me surprenant moi-même. Je commence par de petits affluents qui convergent, le courant grandit et j’accumule au fur et mesure de la puissance, de la poussée. Il en va de même dans mes romans.

Vos romans fonctionnent souvent par couple, duo, voire double inversé. Dans Le Guide, il y a d’un côté le couple formé par Alison et Jack, et de l’autre Kurt qui est le double négatif de Jack….

Je préfère me concentrer sur quelques personnages, d’autant que leurs aventures se révèlent intenses. Ces récits sont des sortes de westerns en pleine nature. J’ai grandi en lisant des romans de Louis L’Amour qui avaient pour cadre le far west. Dans ces romans, le paysage se révèle être le personnage le plus important. Ce que je reproduis dans mes livres, qui font partie de cette tradition.

Dans vos romans, les animaux semblent parfois se comporter de manière plus décente que les personnages.

Et c’est là que réside la problématique. Nous sommes un animal doté d’un énorme cerveau… qui nous cause des problèmes. Je suis un écologiste radical et parfois je ne peux m’empêcher de penser que la race humaine est une aberration sur l’arbre de vie. Nous sommes au milieu de la sixième grande extinction de masse, nous en sommes la cause et nous entraînons tous les autres êtres vivants avec nous.

Comment votre expérience de la nature influence- t-elle votre écriture?

Dans la nature, j’aime prêter attention au son d’un ruisseau, à l’odeur -si je suis sous le vent- d’un troupeau de wapitis au travers des trembles, de la pluie dans un pré… Tous ces petits détails qui réveillent en nous notre être animal. Nous oublions que nous sommes autant animal que le castor, l’ours, la loutre ou l’orignal. En nous le rappelant, nous prenons également conscience du magnifique environnement naturel qui nous entoure. Dans mes livres, cette attention portée aux détails de la nature constitue un geste quasi spirituel.

Regardons-nous trop aujourd’hui la nature seulement “par la fenêtre”?

Oui. Il nous faut nous souvenir de la sensation de toucher un banc de gravier après la pluie, pieds nus, de cette odeur particulière lorsque le soleil se lève et que ce même banc de gravier, au bord d’un ruisseau, commence à se réchauffer et à s’assécher. Nous devons être à nouveau capables d’entendre le bruit du vent dans les épicéas. Je l’ai observé en tant que guide lorsque j’enseignais la pratique du kayak: je voyais ces débutants se transformer au contact de la vie en plein air. Les personnes illuminent d’une manière bien plus intense que dans les villes.

Pensez-vous que le puritanisme a un rapport avec la façon dont nous vivons aujourd’hui?

C’est amusant, parce qu’une partie de mes ancêtres a pris part à l’expédition du Mayflower au XVIIe siècle. Mais en effet, il y a cette façon dont nous nous séparons de la nature comme Nathaniel Hawthorne l’a écrit dans La Lettre écarlate, roman où les bois sont un endroit dangereux, presque maléfique… Effectivement, la peur de la nature domine. Il n’y a qu’à voir la façon dont nous traitons nos morts. En nous hygiénisant complètement, nous passons à côté de l’essentiel.

Vous être un visionnaire: votre premier roman, La Constellation du chien, évoquait une pandémie qui ravageait le monde et La Rivière dépeignait d’énormes incendies au Canada…

Oui, je redoute désormais d’écrire mon prochain roman (rires). Ma femme m’a d’ailleurs dit récemment: “Pourquoi n’écris-tu pas quelque chose de drôle?”

Le Guide ****, de Peter Heller, éditions Actes Sud, traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 304 pages.

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