Critique | Livres

Louise Kennedy raconte un amour interdit dans une Irlande troublée

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Louise Kennedy, Denoël

Troubles

383 pages

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© National
Anne-Lise Remacle Journaliste

Dans le premier roman de Louise Kennedy, une institutrice catholique vit une liaison avec un avocat protestant marié, au cœur du chaos nord-irlandais de 1975.

Nous aurions pu ne jamais avoir sous les yeux des écrits de Louise Kennedy. L’autrice irlandaise (originaire de Holywood, dans la banlieue de Belfast) est ce qu’on appelle, dans ce jargon souvent plus prompt à célébrer les jeunes pousses, une late bloomer. Celle qui fut cheffe de cuisine pendant 30 ans a commencé à élaborer des formes courtes en 2014 puis, de fil en aiguille, s’est dotée d’un cabanon où écrire et a suivi un master. Après un premier recueil déjà remarqué et publié en pleine pandémie (The End of the World Is a Cul de Sac, pas encore traduit), la voici avec un intense premier roman qui fait bourgeonner un amour illicite, teinté de tragédie et de culpabilité. Le texte puise pour partie son atmosphère tendue dans son enfance, en pleins Troubles (au point que l’autrice déménagera avec sa famille à Dublin à cause du climat violent).

Transgressions

En 1975, Cushla Lavery est une institutrice catholique attentive, qui, alors que sa mère chez qui elle vit vacille à cause de l’alcool, vient souvent donner un coup de main à son frère Eamonn derrière le comptoir du pub familial. Le genre d’endroit où on fait abstraction du conflit le temps d’une bière. La jeune femme y rencontre Michael Agnew, un avocat qui a milité jadis pour les droits civiques avec son oncle Frank. Sous prétexte d’un cours d’irlandais avec ses amis -lettrés, aussi installés que lui et pas dupes de la vraie raison de la présence de Cushla-, Michael se rapproche d’elle jusqu’à succomber. Que faire à part garder secrète votre liaison quand l’homme que vous fréquentez est marié, plus âgé et pis encore, protestant? En prenant sous son aile son élève Davy, dont le père, Seamie, vient d’être tabassé quasiment à mort, mais aussi toute sa fratrie (dont un aîné sur la mauvaise pente), l’institutrice s’attire la suspicion de Betty, la mère de l’enfant, mais aussi celles de son directeur d’école et du père Slattery, plus prompts à régler ce problème avec les services sociaux plutôt qu’une vraie écoute. Malgré un week-end à Dublin avec Michael qui laisse entrevoir ce que pourrait être une vie sans fossé entre eux, Cushla est rongée par le doute, la jalousie et la peur -à plus forte raison parce que l’avocat défend parfois de jeunes catholiques et subit des menaces.

Dans un territoire où l’effet papillon peut avoir des répercussions létales, Louise Kennedy huile à merveille ses rouages. Elle n’hésite pas à enfoncer les mains dans le cambouis psychologique, comme dans la scène de restaurant où Cushla aperçoit pour la première fois la femme de Michael, qu’elle imaginait davantage comme “une vieille folle dans le grenier” (référence à Jane Eyre). En cherchant foncièrement à rendre le monde un peu plus tendre, l’institutrice idéaliste apprendra à ses dépens que les histoires d’amour finissent mal, “en général”.

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