Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Jim Harrison © DR/Andy Anderson
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Pour s’y retrouver parmi les 589 romans français et étrangers annoncés pour la rentrée littéraire, la rédaction de Focus vous propose une sélection en onze livres (et un peu plus), de Paul Beatty à Jean-Philippe Toussaint en passant par Jim Harrison.

Moi contre les États-Unis d’Amérique

De Paul Beatty, éditions Cambourakis, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, 339 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

American Prophet donnait le ton d’un romancier abordant la question raciale par le bout le plus grinçant de la lorgnette, son personnage, Gunnar, appelant les Noirs au suicide collectif, seule issue selon lui après l’échec des révoltes successives de son peuple. Le même cocktail d’insolence et d’humour désespéré fait battre le pouls de Moi contre les États-Unis d’Amérique. Le « Moi » en question, c’est Bonbon, enfant black d’une enclave agraire de Los Angeles qui, voyant que les exclusions subsistent sous des formes plus insidieuses et plus sournoises, décide de faire marche arrière, plaidant pour le retour du ghetto et allant carrément jusqu’à restaurer l’esclavage! Une satire radicale hallucinante propulsée par les turbines de la culture urbaine qui bouscule sans ménagement cette Amérique qui a longtemps pratiqué l’autohypnose raciale. Jouissivement décapant.

L.R.

Péchés capitaux

De Jim Harrison, éditions Flammarion, traduit de l’anglais (USA) par Brice Matthieussent, 351 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Nous avions quitté Simon Sunderson après ce qui ressemblait à l’enquête de trop dans le mitigé Grand Maître, à l’aube de la retraite. La tête et la libido en vrac, l’ex-flic n’aspire qu’à jouir des bienfaits de la pêche à la truite et de la picole tranquille. C’est sans compter avec le clan Ames, brochette de vicieux dégénérés mettant la pagaille dans sa quête de rédemption. Faux roman policier en zone rurale, Péchés Capitaux dévoile surtout un Jim Harrison frais comme un gardon et on s’en réjouit.

E.S.

La Zone d’intérêt

De Martin Amis, éditions Calmann-Lévy, traduit de l’anglais par Bernard Turle, pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Avec La Zone d’intérêt, l’enfant terrible des lettres anglaises Martin Amis ose un roman qui se veut à la fois tragique et un peu burlesque, mettant en scène des exécutants de la solution finale, plongés dans leurs petites intrigues amoureuses, leur fange quotidienne bordée de confort étriqué alors qu’à deux pas le gaz et le feu réduisent en cendres un peuple entier. Dans cette petite cour d’opérette, cette bulle d’air vicié, un air de normalité, de mesquinerie minuscule en regard de l’horreur vertigineuse en oeuvre à côté, se fait jour: l’auteur décrit l’humanité dans ce qu’elle a de plus veule et grotesque, un univers d’horreur étouffée, de petits bourgeois nazillons cloîtrés, zébré seulement de quelques rares moments d’humanité. Sidérant, provocant et donc dérangeant tout à la fois…

B.R.

Délivrances

De Toni Morrison, éditions Christian Bourgois, traduit de l’anglais (USA) par Christine Laferrière, 197 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Fidèle à ses thèmes de prédilection, la grande dame des lettres américaines poursuit l’exploration -douloureuse- de la conscience afro-américaine. Avec pour témoin cette fois-ci une jeune femme d’aujourd’hui, Bride, dont la couleur de peau -noir intense- est comme un mauvais sort jeté dès la naissance. Mal aimée par sa mère, elle pensait s’être libérée de ses chaînes grâce à sa beauté et sa situation sociale, jusqu’à ce que ce passé lui revienne en pleine figure, début d’un long chemin de croix vers la rédemption et une forme d’apaisement. Sans égaler Beloved, Délivrances dépeint à l’encre vaporeuse une Amérique engluée dans ses préjugés raciaux.

L.R.

Football

De Jean-Philippe Toussaint, éditions de Minuit, 122 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

« Voici un livre qui ne plaira à personne », prévient Jean-Philippe Toussaint d’entrée de jeu. Réconcilier le sacré et le profane, l’écriture et le foot? Il fallait tout l’aérien stylistique et toute la métaphysique mouvante du romancier belge pour atteindre à la grâce dans un exercice d’équilibriste, dans la lignée de L’Urgence et la patience. Egrenant un lexique footballistique poétique et autobiographique (émerveillement, stades, le trophée, saisons, avenue Louise…), l’écrivain vient aussi magnifiquement questionner la raison d’être d’un engagement littéraire et créatif « non pas modeste, mais mineur ».

Y.P.

L’Infinie comédie

De David Foster Wallace, éditions de l’Olivier, traduit par de l’anglais (USA) par Francis Kerline, 1488 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Le (très) gros morceau de la rentrée littéraire, y’a pas photo, c’est lui: L’Infinie comédie, traduction attendue depuis 20 ans du premier des trois romans de David Foster Wallace, génie torturé de la littérature américaine, mort suicidé en 2008. « Un des chefs-d’oeuvre de la littérature du XXe siècle » pour reprendre les mots quasi obligatoires qui entourent la sortie de cette baleine blanche, brique interdite de vol sur Ryanair avec plus de 1000 pages écrites petit sur papier bible. Et quelles pages, de fait: un récit incomparable, dans le style et dans les ambitions, se déroulant dans un futur proche et une Amérique désormais entièrement dominée par la Société du spectacle, l’image et l’ultra-consommation. OEuvre prophétique et générationnelle jusque dans sa structure, explosée et très avant-gardiste. Un monstre, presque une épreuve. On en reparle.

O.V.V.

Les Désoeuvrés

De Aram Kebabdjian, éditions Seuil, 528 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

« Photographe, antiquaire et marchand de livres anciens, c’est au contact des tableaux et des éditions originales qu’il a écrit son premier roman. » Aram Kebabdjian, 37 ans, débarque en littérature avec un impressionnant coup d’essai. Soit un roman imaginant, entre Georges Perec et Edouard Levé, les mouvements de « la Cité radieuse des artistes modernes », ville-résidence de 600 artistes internationaux en pleine ébullition créative. Un vrai-faux roman d’anticipation où chaque chapitre porte le nom d’une oeuvre et où se cartographie assez génialement le petit et grand monde de l’art contemporain.

Y.P.

Les Prépondérants

de Hédi Kaddour, éditions Gallimard, 463 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Nahbès, Afrique du Nord, début des années 20. Une équipe de Hollywood débarque dans le fin fond du Maghreb pour y tourner un film, début de la confrontation de deux mondes qui bientôt se jaugent, entrent en tension ainsi qu’en désir au bar du Grand Hôtel. Du protectorat français à la Californie, en passant par l’Allemagne et Paris, le traducteur et poète Hédi Kaddour (Waltenberg, Savoir-vivre) fait un « roman monde » politique, habité et passionnant. Une fresque follement ambitieuse et très maîtrisée, courant plusieurs langues et continents. Hédi Kaddour, prix Goncourt?

Y.P.

Eva

De Simon Liberati, éditions Stock, 277 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Le procès aura fait l’un des feuilletons tardifs de l’été: la possible interdiction, par la photographe Irena Ionesco, de certains passages du nouveau livre de Simon Liberati. La justice aura rendu tous ses droits à la littérature. A raison: le véritable objet du texte de Liberati, qui n’évoque Irena que de loin en loin, réside plutôt dans le portrait romanesque de sa fille Eva, femme-enfant érotisée dans les sulfureux clichés maternels à la fin des années 70, aujourd’hui épouse et muse de l’écrivain. Le livre lui est un éloge, où Liberati, romancier-amant éperdu, ne cesse de confondre Eva et Eva dans un texte magnifique, manifeste baroque et fétichiste hanté par l’idée de destin. Une féérique histoire d’amour, de désir et de recréation qui pose une fascinante question romanesque: comment faire de la femme qu’on aime un personnage de fiction dès lors qu’elle en est déjà un? Sublime.

Y.P.

Funny Girl

De Nick Hornby, éditions Stock, traduit de l’anglais par Christine Barbaste, 432 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

L’auteur inoubliable de Haute Fidélité et maître incontesté de la comédie british névrosée, nous plonge dans le Londres fiévreux des Swinging Sixties pour conter l’irrésistible ascension d’une jolie blonde débarquée de Blackpool, à qui l’équipe de la comédie à succès de la BBC a donné sa chance, au nez à la barbe de la hiérarchie. L’occasion pour l’écrivain anglais de célébrer l’audace des pionniers de cet âge d’or de la pop culture, avec force éclats de rire et moments de tendresse, non sans amorcer une réflexion sur les dérives futures de la société du spectacle naissante. Le moment détente de cette rentrée littéraire.

L.R.

En toute Franchise

De Richard Ford, éditions de L’Olivier, traduit de l’anglais (USA) par Josée Kamoun, 234 pages.

Les musts de la rentrée littéraire, de Simon Liberati à Nick Hornby

Frank Bascombe, l’attachant anti-héros imaginé par Richard Ford, est de retour pour une quatrième saison. Désormais retraité, il coule des jours paisibles dans le New Jersey. Une torpeur balayée par l’ouragan Sandy qui a épargné sa maison mais pas celle d’un ancien client. Et voilà l’ex-promoteur immobilier projeté malgré lui sur le théâtre du désastre, huissier rongé par le doute et la culpabilité venu constater l’étendue des dégâts et de la tragédie humaine. De drame, il en est encore question, par le biais intime de la maladie notamment, dans les trois autres nouvelles de cet état des lieux jubilatoire d’un monde perclus d’arthrite. Ford le caustique excelle une fois encore dans le registre doux-amer du désenchantement.

L.R.

Mais aussi…

« Compacte et prudente »: avouons-le, on aura déjà fait montée des marches plus glamour. C’est pourtant les mots choisis par le magazine professionnel Livres Hebdo pour emballer la rentrée littéraire 2015. Moins de prises de risques, resserrement des éditeurs autour des valeurs sûres de leur catalogue: la rentrée affichera 589 romans français et étrangers au compteur entre août et octobre (contre 607 l’an dernier). Relative stabilité dans la répartition entre romans français (393) et traduits (196, dont plus de la moitié de l’anglais), chute continuée pour le nombre de premiers romans (68 premiers romans contre 75 en 2014): la récolte devrait comme traditionnellement se cristalliser autour de quelques ambassadeurs. Nos précités (lire ci-dessus), mais aussi Christine Angot, dont il se murmure qu’elle a écrit son meilleur livre (Un amour impossible), et Laurent Binet, qui déjà fait grand bruit avec La Septième Fonction du langage. Beaucoup de curiosité également pour les nouveaux Mathias Enard (Boussole), Alain Mabanckou (Petit Piment), Thomas B. Reverdy (Il était une ville), Boualem Sansal (2084: la fin du monde), Mary Dorsan (Le présent infini s’arrête), Tristan Garcia (7), Agnès Desarthe (Ce coeur changeant). Côté étrangers, on attend beaucoup de Javier Cercas (L’Imposteur), Dinaw Mengestu (Tous nos noms), David Grossman (Un cheval entre dans un bar), Richard Powers (Orfeo), Douglas Coupland (La pire. Personne. Au monde.) ou Christos Tsiolkas (Barracuda). De grands noms, beaucoup de rendez-vous et autant de promesses, tenues ou non. Et tout le reste est littérature. (Y.P.)

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