Les méduses n’ont pas d’oreilles

© National
Fabrice Delmeire Journaliste

Louise est malentendante. Sourde de l’oreille gauche et appareillée d’un sonotone à l’oreille droite, elle a appris à lire sur les lèvres pour lutter “ contre les trous d’obus du langage. Mais les mots ne cessent de s’amenuiser, de se perdre progressivement dans la brume, jusqu’à s’incarner en des personnages fantômes à la compagnie encombrante: un soldat de la Première Guerre, un chien agressif, une étrange botaniste. Pour Louise, c’est l’incarnation d’un des dommages traumatiques collatéraux lorsqu’on tangue dans une marge invisible. “ Pas assez sourde pour être rattachée à la culture sourde, pas assez entendante pour participer pleinement au monde des entendants.” Isolement au travail, incompréhensions, dépression: la jeune femme est confrontée à l’urgence de se faire implanter avant de sombrer dans une surdité profonde… Mais elle a peur de devenir une autre, de ne plus reconnaître sa propre voix. “ Je me sentais méduse, flottant dans la masse, sans visibilité.” Soupesant d’une écriture poétique la chaleur des sons, Adèle Rosenfeld saisit le relief du langage qui s’estompe quand la lumière décline, la rondeur du silence, le médium grave des mots invisibles. Partagé entre désarroi profond et souffle amoureux et amical, un premier roman au tact subtilement timbré.

D’Adèle Rosenfeld, éditions Grasset, 240 pages.

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