Laurent Raphaël

L’édito: Parfum de femmes

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Au-delà des déclarations d’intention, des belles promesses et de quelques mises à l’index retentissantes mais étonnamment circonscrites à l’un ou l’autre secteur, la vague #MeToo a-t-elle changé fondamentalement la donne? Les femmes sont-elles plus respectées -dans la rue, au boulot ou à domicile-, mieux représentées, plus écoutées depuis que le furoncle du sexisme a éclaté?

La main sur le coeur, les hommes ont juré il y a un peu plus d’un an qu’on ne les y reprendrait plus. Et des initiatives ont effectivement vu le jour pour endiguer ce fléau millénaire, comme une campagne de sensibilisation (#zerosexism) et une app pour géolocaliser les agressions (Touche pas à ma pote). Certains garde-fous existaient d’ailleurs déjà avant l’affaire Weinstein mais prenaient la poussière sur une étagère de la justice, en particulier la loi contre le sexisme sur la voie publique chapeautée par Joëlle Milquet et entrée en vigueur dès 2014. Très vite cependant, ces initiatives louables ont montré leurs limites, soit qu’elles demeurent inapplicables (seulement… une condamnation en quatre ans sur base de la « loi Milquet » alors que 98% des Bruxelloises déclarent avoir déjà été victimes de harcèlement de rue), soit que leur efficacité reste à démontrer. Une app qui permet aux femmes de dénoncer insultes et gestes déplacés peut certes apporter du réconfort sur le moment, donner le sentiment d’agir plutôt que de subir en silence l’humiliation -ce qui n’est déjà pas rien-, mais n’empêchera pas le gros lourd de remettre ça 20 mètres plus loin.

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Les vieilles habitudes ont la vie dure. Et pas seulement chez les frustrés analphabètes qui tiennent les murs dans certains quartiers abandonnés des grandes villes. En politique, malgré un consensus de façade pour faire avancer la cause des femmes, les remarques sexistes fusent toujours et ce sont encore les hommes qui tiennent les principaux leviers du pouvoir. Une discrimination qui vient de loin, comme le rappelait récemment l’historienne Mathilde Larrère lors d’un forum organisé par le quotidien Libération. À la Révolution française, les femmes sont exclues du champ politique au motif que celui-ci doit « être interdit à tout individu qui outrage la nature ». Et l’universitaire de préciser: « Dès le début, le corps des femmes a été utilisé comme un argument pour les exclure. » Comme si au fond les hommes redoutaient de ne pas pouvoir tenir en laisse leurs soi-disant pulsions au contact de l’autre sexe. Un aveu de faiblesse inavouable, donc enseveli sous une rhétorique phallocrate, clé de voûte du fameux plafond de verre. Ce qui fait écho à ce que disait Virginia Woolf qui estimait que « l’histoire de l’opposition des hommes à toute émancipation des femmes est plus révélatrice encore que l’histoire de cette émancipation ».

Un coup d’épée dans l’eau, la vague #MeToo? Certainement pas. Un déclic a bien eu lieu. En tout cas sur le terrain culturel, où la présence du « Deuxième Sexe » a été nettement revue à la hausse. Un barrage psychologique a cédé, libérant une énergie féminine sans précédent, qui ne peut être réduite au seul effet de mode. Nouvelles initiatives « genrées » (dernière en date, le Female Focus, un festival réservé aux chanteuses à découvrir en mars à De Roma, la salle anversoise), abordage de territoires créatifs peu ou pas du tout explorés (comme la dystopie, défrichée par la pionnière Margaret Atwood (La Servante écarlate), et moteur du Vox de Christina Dalcher à paraître chez NiL en mars), essais sur « l’ancien monde » pour mieux le dénoncer (Le Monde avant #MeToo d’Agnès Grossmann chez Hors Collection)… Pas de doute, les femmes occupent le terrain. Autre indice révélateur: plusieurs biographies exhument du placard des filles d’exception. Comme Violette Morris, sous la plume de Gérard de Cortanze (Albin Michel), ou Sandy Allen sous celle d’Isabelle Marrier (Flammarion). La parole féminine semble circuler plus librement.

Que peut-on attendre de ce remue-ménage? Quelques excès de zèle sans doute (faut-il vraiment imposer des quotas comme au Primavera Sound ou comme au Festival de Berlin, moins d’ailleurs par conviction artistique que pour s’éviter les foudres des féministes les plus zélées?), mais aussi des lendemains qui chantent. Si l’on considère que l’art est la source dans la théorie du ruissellement, il n’est pas sot de penser que les graines de l’égalité des sexes sont en train d’être plantées. Et qu’en les arrosant régulièrement, en leur assurant une exposition suffisante, elles fleuriront partout d’ici une ou deux générations, même sur les trottoirs où ne poussent aujourd’hui que les injures.

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