Laurent Raphaël

L’édito: Droit de regards

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

À chaque menace d’envergure planétaire -Tchernobyl en 1986, les attentats hier, le coronavirus aujourd’hui-, parler d’autre chose, du temps qu’il fait ou de l’usage de l’adjectif chez Proust, paraît un peu vain, un peu déplacé, un peu indécent même. Plus rien ne compte que le danger imminent, qu’il soit réel ou fantasmé, même si l’on sait pertinemment bien que vérifier toutes les cinq minutes la progression de la contamination sur son smartphone ne va pas aider à résoudre le problème. Et encore moins à se sentir mieux.

Le rôle des médias dans ce genre de contexte de crise n’est pas simple, et pas toujours dépourvu d’arrière-pensées. Pour répondre à l’inquiétude, et aussi parce que ça fait vendre, la grande machinerie médiatique ne se fait pas prier pour en remettre une couche. Au risque d’entretenir voire de propager la psychose. Un écosystème pervers qui fonctionne comme une démangeaison. On ne devrait pas gratter mais on ne peut pas s’en empêcher. Le regard, subitement rétréci, est comme aimanté par cette menace diffuse et invisible qui réveille les pires peurs primales. Le virus, ou le terroriste, c’est l’ombre menaçante tapie dans la forêt.

Avant que la maladie, si elle devait par malheur s’incruster, n’altère entièrement notre faculté de jugement, on peut s’interroger sur ce qui se joue justement dans le regard quand il n’est pas contaminé par la peur et la panique. Les yeux sont le reflet de l’âme, dit-on parfois. Une expression à prendre au pied de la lettre: le regard n’est pas comme on le croit naïvement cette caméra neutre qui observe le monde avec l’impartialité d’un géomètre. Au contraire, il projette sur l’autre et sur le monde en général une grille de lecture façonnée par nos craintes, nos privilèges, nos préjugés. On regarde le monde avec au fond des yeux sa propre histoire, sa propre expérience, et non comme un nouveau-né.

Une réflexion moins hors-sol et moins déconnectée de l’actualité qu’il n’y paraît. Car que demandent au fond toutes les minorités qui font aujourd’hui entendre leurs voix, des Noirs aux gros en passant par les LGBTQIA+, les musulmans ou les femmes? C’est un changement radical de regard, préalable essentiel à tout changement de statut et, partant, à la possibilité de tendre vers cet idéal d’égalité pour l’heure très théorique. Ils ont compris que tant que le regard restera verrouillé sur la position patriarcat, qui prend comme étalon de la réussite le mâle blanc arriviste, rien ne changera jamais vraiment pour eux.

Quand Virginie Despentes tire au gros sel sur les Cu0026#xE9;sar, c’est au regard des dominants qu’elle s’en prend, u0026#xE0; leur aveuglement, u0026#xE0; leur obstination u0026#xE9;gou0026#xEF;ste u0026#xE0; ne pas u0026#xE9;largir leur champ de vision.

Le regard exclut, il discrimine. Ne dit-on pas « balayer du regard »? Quand Virginie Despentes tire au gros sel sur la cérémonie des César dans Libération, c’est au regard des dominants qu’elle s’en prend, à leur aveuglement, à leur obstination égoïste à ne pas élargir leur champ de vision pour intégrer d’autres sensibilités, d’autres perspectives, d’autres réalités. « C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances et c’est notre regard qui peut aussi les libérer« , a écrit Amin Maalouf. Mais pour espérer le libérer, il faut d’abord savoir comment il se construit. La culture est un rouage essentiel du dispositif. Comme les médias, comme la pub, comme les réseaux sociaux (trois milliards d’images qui circulent chaque jour dans ses tuyaux), la culture conditionne, éduque notre regard, le formate aussi. L’autrice et essayiste Iris Brey plaide d’ailleurs dans son dernier essai (Le regard féminin, une révolution à l’écran) pour que le « shemale gaze » trouve sa place à côté du « male gaze » qui a gravé dans nos mirettes et donc dans nos inconscients l’idée que la femme était plus un objet (du désir masculin) qu’un sujet animé par sa propre subjectivité.

Une demande pressante et légitime de diversité, de pluralité qui s’inscrit au fond dans l’ordre des choses, l’Histoire du cinéma et plus largement de l’art n’étant qu’une longue enfilade de révolutions optiques. La Nouvelle Vague par exemple est née en réaction aux standards esthétiques corsetés de la génération précédente. « L’irruption de la Nouvelle Vague est intimement liée à un changement de regard porté sur le corps, illustré par l’avènement de Brigitte Bardot sur la scène cinématographique, nous rappelle l’essai Histoire du corps. Les mutations du regard dirigé par Jean-Jacques Courtine. À l’automne 1956, avec son apparition dans Et Dieu créa la femme, un corps réel est montré, échappant aux studios, à leurs éclairages et à leurs conventions plastiques. » L’heure est sans doute venue de voir déferler une Nouvelle Nouvelle Vague.

1.0LES AMANTS DE LA NUIT
Chronique flamboyante et stylisée d’une cavale, @queenandslim de #MelinaMatsoukas met à nu le #racisme endémique de l’Amérique. Du fait divers à l’épopée héroïque noire.

Au sommaire de Focus cette semaine:
* Le portrait: #FilippoMeneghetti
* L’agenda
* Cinéma: #QueenAndSlim, brûlot on the road
* Cinéma: @pixaronward, elfes et frangins
* Cinéma: Ce qu’il faut retenir de la #Berlinale
* Musique: La pop selon @usgirls.and.remy
* Musique: Brillant et brumeux @realestateband
* BD: Sur la route des vacances avec @jonmcn
* Télé: 20 ans de @niouzzplus
* Télé: #MarionMontaigne en série

Et toutes nos sélections cinéma, home cinéma, musiqeu, livres, BD, expos, pixels, télé… N°10 du 5 mars 2020focusvifhttps://www.instagram.com/focusvif21108592258026128824204453_2110859Instagramhttps://www.instagram.comrich658

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