[le livre de la semaine] Souvenirs de mon inexistence, de Rebecca Solnit: reclaim the life

© Adrian Mendoza
Anne-Lise Remacle Journaliste

L’essayiste féministe américaine Rebecca Solnit revient sur ses années de formation et les épiphanies successives qui ont façonné son oeuvre.

En détournant légèrement la citation fameuse de Simone de Beauvoir, il est aisé d’affirmer: « On ne naît pas féministe, on le devient« . C’est sur le même mode d’acquis successifs, sur un chemin ponctué de balises révélatrices que nous entraîne Rebecca Solnit (« Ces premières années coïncident avec mes combats les plus acharnés »). Il y a, à 11 ans, son envie de porter des « bottes d’ingénieur« , si loin de l’image restrictive collée sur les petites filles. Il y a surtout, à 19 ans, la volonté de tracer sa trajectoire, le désir d’une transformation « non pas de (sa) nature mais de (sa) condition » (précaire, tâtonnant vers un vrai but à garder en ligne de mire), loin d’une famille où la violence de son père envers sa mère était pour elle une réalité impossible à cautionner. Sa rampe d’émancipation, après avoir entamé précocement des études, prendra la forme d’un petit studio dans un quartier noir de San Francisco, comme en écho à la « chambre à soi » essentielle à Virginia Woolf. Dans cet immeuble, elle est la seule locataire blanche depuis 17 ans et trouve, dans la proximité avec ces voisins aussi marginalisés, un cocon où opérer une métamorphose, d’où observer les mécanismes à l’oeuvre pour reléguer certaines personnes dans les oubliettes de l’Histoire. C’est là qu’elle installe son bureau, offert par une amie poignardée à plusieurs reprises par son ex-compagnon (« Quelqu’un a tenté de la réduire au silence. Après quoi, elle m’a fait don d’une plateforme d’où faire porter ma voix »).

Portrait de l’autrice en jeune femme

C’est avec une acuité acquise malgré elle sur le terrain que l’autrice rend compte, dans la partie La Vie en temps de guerre, de la menace omniprésente qui pèse sur ses pairs à cette époque (ponctuée de faits divers sordides qui aujourd’hui encore font l’objet de séries massivement diffusées) mais aussi de la façon dont certaines oeuvres -d’Hitchcock à Lynch- fétichisent les figures de femmes torturées ou tuées. Si Solnit fait certains constats amers sur l’aspect visionnaire de son oeuvre – » J’ai parlé et écrit sur les schémas que je décelais, et attendu trois décennies pour que cela fasse l’objet d’un débat public »-, elle revient aussi avec une tendresse non feinte sur cette jeune fille en construction, tantôt lectrice flottante, tantôt cherchant à préserver son corps comme son propre territoire. Depuis un emploi au musée d’art moderne de San Francisco (qui façonne son oeil et lui donne le goût des archives) jusqu’à ses prises de position envers l’écologie ou sa vision critique de la Beat Generation, l’autrice agence ses mémoires dans une intrication de couches subtile, laissant entrevoir l’intersectionnalité de ses luttes. Il nous tarde d’être encore accompagnée par cette voix unique, de celles qui se frayent un chemin de traverse contre toute tentative avérée d’effacement.

Mémoires

Souvenirs de mon inexistence. De Rebecca Solnit, éditions de l’Olivier, traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy, 288 pages. ****

[le livre de la semaine] Souvenirs de mon inexistence, de Rebecca Solnit: reclaim the life

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