Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Courir au clair de lune avec un chien volé, de Callan Wink

Callan Wink © DAN LAHREN
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

NOUVELLES | En neuf nouvelles épatantes flirtant avec le « nature writing », Callan Wink esquisse le portrait d’une humanité en quête de sens. Drôle, âpre et envoûtant.

Neuf nouvelles. Certaines courtes, d’autres plus longues. Mais toutes fortement imprégnées des paysages du Montana et du Wyoming où elles se déploient magistralement. Plus qu’un décor d’ailleurs, l’Ouest américain est ici un personnage à part entière, dont les plaines, les lacs, les rivières et les montagnes infusent la géographie mentale d’hommes et de femmes tentant désespérément de donner un sens à leur vie. Et pour la plupart aussi d’échapper maladroitement au poids écrasant des responsabilités.

Comme Perry (Une autre dernière bataille), qui participe chaque année à la reconstitution de la bataille de Little Bighorn dans le rôle du général Custer, moins pour entretenir la mémoire de ce trauma de l’Histoire américaine que pour y retrouver Kat, une Indienne avec laquelle il entretient une relation aussi passionnée que furtive. Pour chacun, ces retrouvailles annuelles sont l’occasion d’échapper le temps d’un week-end à l’emprise de la routine et de goûter à cette liberté que l’on a remisée avec ses rêves de jeunesse sans pour autant en faire complètement le deuil. Avec une saveur mélancolique un peu particulière cette année puisque la femme de Perry est atteinte d’un cancer et que leur petit manège ayant été éventé, il n’y aura sans doute pas de prochaine fois. Un portrait touchant, sur le fil des émotions, où perce l’humour dans le contraste entre la théâtralité un peu grotesque de ce show et l’authenticité des sentiments qui se jouent à l’échelle intime, derrière les costumes d’époque. Même s’il peine à affronter la réalité, Perry n’est pas un salaud pour autant, juste un homme déstabilisé qui puise dans cette escapade amoureuse et thérapeutique la force d’avancer dans l’existence.

Nouveau souffle

[Le livre de la semaine] Courir au clair de lune avec un chien volé, de Callan Wink

Adoubé par feu Jim Harrison avec lequel il a partagé des parties de pêche à la mouche -il est guide dans le Montana- et chez qui il a visiblement ferré quelques précieux conseils d’écriture, le novice Callan Wink fait preuve d’une maturité étonnante qui lui a d’ailleurs ouvert les colonnes de journaux prestigieux aux États-Unis. Sa plume accouche d’histoires fragiles, comme en suspension mélancolique, dont l’écho granuleux résonne encore longtemps après avoir refermé le livre.

Hantés par la culpabilité ou meurtris par la rupture d’une canalisation affective (séparation, deuil, parents défaillants ou absents), ses protagonistes avancent dans la nuit à la lueur d’une lampe-torche capricieuse, jamais tout à fait sûrs d’emprunter le bon chemin. Un ado se réfugie dans le souvenir d’un grand-père compréhensif après avoir commis l’irréparable, un secouriste émotif pallie son manque d’assurance dans les bras d’une femme plus âgée, un célibataire endurci s’abandonne aux bienfaits des rites indiens après avoir provoqué involontairement la mort d’ouvriers mexicains sur un chantier.

Un travail de résilience que ces âmes perdues paient souvent au prix fort. Ainsi de Sid qui se retrouve à courir nu la nuit (la nouvelle qui donne son titre au recueil), poursuivi par deux types louches auxquels il a volé un chien, non par passion canine mais en réaction irrationnelle à une débâcle amoureuse; et surtout de Lauren, la seule « héroïne » de cette galerie singulière, qui se retire du monde comme un pion qu’on retire du jeu pour se punir de ne pas avoir saisi sa chance quand elle est passée –« Personne n’avait expliqué à Lauren qu’on pouvait être amoureux et ne le découvrir qu’après ». Sans les juger, d’une plume cristalline perméable à la violence des échanges en milieu tempéré, l’auteur nous tend un miroir moucheté de nos imperfections. Une grosse prise littéraire…

Courir au clair de lune avec un chien volé, de Callan Wink, éditions Albin Michel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Lederer, 294 pages. ****

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