Il est comment, le dernier roman de Jean Echnoz?
Jean Echenoz fait pétiller la rentrée de janvier avec Bristol, un vaudeville burlesque mâtiné de roman d’aventure.
Robert Bristol. Profession: réalisateur de troisième catégorie de films, de documentaires et à l’occasion de publicités. Signe particulier: attire les ennuis comme un aimant la limaille. Un petit côté Pierre Richard (celui du Grand Blond) qui lui vaut son lot de péripéties loufoques. Ainsi d’entrée de jeu quand, quittant son appartement de la rue des Eaux à Paris, un homme nu tombe au même moment du cinquième étage de son immeuble. Meurtre? Suicide? On n’en saura pas plus dans l’immédiat. Pas de quoi perturber toutefois le cinéaste qui, absorbé par ses pensées et «guidé par son humeur, les choses à faire et le temps qu’il fait», ne remarque pas le corps qui s’écrase à quelques mètres de lui et poursuit sa route l’air de rien. Le ton est donné. Celui d’une comédie burlesque façonnée avec la meilleure étoffe post-romanesque par l’auteur consacré de Je m’en vais et d’Envoyée spéciale.
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Flirtant en permanence avec la caricature, ses personnages semblent sortir de films très différents et avoir été rassemblés là dans l’urgence sans qu’on leur laisse le temps de changer de costume, accentuant l’effet d’absurde et de comique. Sur les pas de Bristol, on croise ainsi Michèle Severinsen, voisine exubérante du réal et ex-comédienne en vue reconvertie dans la méditation diététique, une sorte de Castafiore mêle-tout. Ou Geneviève, à la fois assistante revêche de Marjorie des Marais –la romancière à succès surbookée installée dans un château à Nevers chez qui Bristol vient mendier l’autorisation de modifier les dialogues de l’adaptation d’un de ses bouquins–, et maîtresse secrète et dévouée de Bristol, et qui semble pour sa part échappée d’un roman d’espionnage de la série SAS.
Parodie, mode d’emploi
Jean Echenoz pratique l’art subtil du décalage et du contre-pied, à la fois visuel en empruntant allègrement au cinéma sa grammaire scopique –travellings, gros plans, zooms, caméras subjectives…–, et verbal, l’ancien Goncourt usant d’une langue soyeuse truffée de mots désuets –melliflu, hypotypose…– qui contraste avec les grosses ficelles du roman d’aventure «old school». Car après Paris et la Bourgogne, on file à Bobonong, au bord du Limpopo, pour le tournage de Nos cœurs au purgatoire, avec en vedette un acteur «magnétisé par le premier miroir venu», un éléphant acteur-né et un premier rôle féminin mystérieux. Une toile de fond exotique et anachronique prétexte à de nouvelles péripéties et à introduire de nouvelles têtes dans le jeu de quilles. En particulier celle du commandant Parker, chef de la milice cinéphile qui vient chambouler les plans de ce pauvre Bristol. Et qui s’invitera même plus tard à Paris dans son appartement… et dans le lit de la voisine, au grand dam du petit flic qui enquête sur le défenestré. Ambiance.
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L’ironie surgit à chaque page, faisant passer la pilule de l’invraisemblance. Comme souvent chez Echenoz, le tragique n’est jamais loin du comique, ni le sérieux du ridicule. Bien sûr, tout cela ne mène nulle part, ne sert pas un dessein moral supérieur, mais on ne boude pas son plaisir à se laisser bercer et berner par un illusionniste hors pair qui invente sous nos yeux un nouveau genre: le vaudeville d’aventure intello.
Roman
Bristolde Jean Echnoz
Les éditions de minuit, 208 p.
4/5
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