Carte blanche

Hommage à Brigitte de Meeûs: « Beaucoup seront en deuil, parfois même sans le savoir? »

L’écrivain Pierre Mertens rend hommage à Brigitte de Meeûs, figure emblématique de la librairie Tropisme décédée le 8 février dernier.

Une mort, entre quelques autres, au sein de cette saison qui n’en est pas avare, m’a particulièrement frappé (une mort et non, justement, une « disparition »).

Celle d’une figure déjà emblématique de la Belgique des livres: Brigitte de Meeûs, qui pourvoyait à la destinée, depuis 1984, de la librairie Tropismes, à la Galerie des Princes, que l’on pourrait, selon moi, rebaptiser Galerie de la Princesse…

L’enseigne ainsi dénommée renvoyait à une réaction réflexive à un contexte particulier (et adressait au passage, un salut à l’oeuvre majeure de Nathalie Sarraute. Comme l’avait déjà fait, préalablement, Jacques Bauduin, avec la librairie Macondo en hommage à Gabriel Garcia Márquez .

Les liens que Brigitte établit avec de grands éditeurs -en particulier le Seuil et les Éditions de Minuit- se révèleront aussi féconds que ceux qu’elle nouera désormais avec les représentants ou ses fidèles collaborateurs. Ou, secrètement, tous les compagnons du Livre.

Si bien que son décès va toucher même ceux qui n’étaient pas des habitués du lieu magique où elle évoluait. Certains deuils peuvent ainsi frapper d’aucuns sans le savoir ou avant d’en être avertis. Bref, tous les amoureux du Livre, comme Tel.

Tous ceux, écrivains, spécialistes de la littérature ou simples lecteurs gardent le souvenir de ces cavernes d’Ali Baba, de ces îles au trésor où, rien qu’à Bruxelles, par exemple, chez Corman, à la Proue, la Jeune Parque, Libris, Quartiers Latins, Macondo, et d’autres, à Liège, Namur, Charleroi, Tournai, La Hulpe, leurs goûts se sont forgés, leurs passions se sont révélées…

Et tout lecteur, chez nous, d’où qu’il soit, a dû entendre résonner le nom de Brigitte de Meeûs.

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Pierre Mertens

Elle vendait moins les livres qu’elle n’en était la passeuse. Avec une telle façon d’en parler qu’elle apparaissait presque comme co-autrice, à tout le moins une magnifique complice

Ou bien une accompagnatrice… car cette grande mélomane n’avait pas pour rien épousé un excellent chanteur, Ludovic de San, qui nous a lui-même quittés depuis peu…

Étonnante et évidente connivence de la littérature et de la musique.

Quand on passait devant les vitrines du magasin et qu’on jetait un oeil à l’intérieur, on avait comme le sentiment que s’ouvrait là un lieu chorégraphique…. Où régnait, où règne, où règnera quelque chose qui doit ressembler à la bonté des livres. La bonté des livres lorsqu’ils se sentent aimés.

La bonne hôtesse qui nous y accueillait en compagnie de son charmant équipage donnait l’impression d’aborder la littérature avec curiosité, intuition, gravité, plaisir et humour. Son savoir apparaissait dans une modeste évidence. Ne cédait à aucune mode. Respectait la hiérarchie des valeurs et dédaignait le divertissement, le tape-à-l’oeil.

Aussi, pour un écrivain, présenter son livre chez elle, obligeait à la rigueur, et le bonheur qu’il ressentait était à ce prix.

Et l’on percevait combien la libraire, la lectrice se dédoublaient en elle d’une militante de la librairie indépendante, du prix unique du livre, de l’activité syndicale, entre autres.

Réfléchissons-y : à l’heure où court la rumeur qu’à moyen terme les librairies seront en voie de disparition, voire le livre lui-même comme tel, Brigitte de Meeûs était et restera de celles, de ceux qui auront perçu l’objet/livre comme indispensable, et donc impérissable.

Ne livrons pas à Amazon, à la littérature virtuelle une guerre totale et stérile: nous ne croyons tout simplement pas à la perspective de cette sorte « d’autodafé » (n’oublions pas que Heinrich Heine proclamait déjà: « On commence par brûler les livres et on finit par brûler les hommes… »).

Le vrai lecteur, la grande lectrice savent et ressentent que le parcours qui les mène à aller acheter un livre dans une librairie fait déjà partie de leur bonheur, celui, à leur insu, du voyageur ou du pèlerin.

Pourquoi s’épargnerait-on le plaisir de rendre visite au temple où un livre s’est fomenté comme un complot et se propose déjà à se donner à nous?

Entrer dans une librairie, ne serait-ce pas comme se porter à la rencontre d’une portion de son destin et contribuer un peu à se construire? Jusqu’au bout.

Soyons-en sûr: le souvenir de Brigitte de Meeûs n’y contribuera pas pour peu.

Pierre Mertens

Brigitte au pays des merveilles… Il y avait quelque chose d’absolument magique chez Brigitte : toute personne qui la…

Posted by Tropismes Librairie on Tuesday, February 8, 2022

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