Hip-Hop et bijoux : Bling Bling Theory

À force de fournir les rappeurs, plusieurs créateurs de bijoux se retrouveront directement cités dans certains morceaux. C’est le cas par exemple de “Jacob le bijoutier”, émigré ouzbèke qui transformera sa petite boutique en chaîne internationale. Ou encore Eddie Plein qui, avec son enseigne Eddie’s Gold Teeth, popularisera les grillz et autres dents en or chez sa clientèle hip-hop, au point de se voir nommé dans le fameux A Queens Story de Nas -Laid back in a rental/Mouth shining/Eddie’s gold caps/All up in the dental. © Bryce Duffy, Atlanta, 2002
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Publié chez Taschen, Ice Cold revient sur les liens étroits entre la culture hip-hop et la joaillerie de luxe. Diamonds are a rapper’s best friend…

C’est du Damso dans le texte: “Je suis toujours sur le coup/comme chaîne en or/Je me lave avec, je dors avec/Négro, ça brille encore.” Et d’insister: “Et puis je rajoute un diamant, deux diamants, dix diamants, cent diamants/Ice, ice, je crois que ça brille encore…” Intitulé 2 Diamants, le morceau a été, logiquement, certifié single d’or… Quand il s’agit de célébrer, le numero uno du rap belge sait y faire: rien de tel que de faire pleuvoir or et bijoux clinquants.

À la fin des années 80, le jeune Biz Markie devient le premier client rappeur de Jacob le bijoutier. C’est lui qui signera la fameuse “bague” Biz, création iconique qui marquera les esprits.
À la fin des années 80, le jeune Biz Markie devient le premier client rappeur de Jacob le bijoutier. C’est lui qui signera la fameuse “bague” Biz, création iconique qui marquera les esprits. © George DuBose, New York, 1988

Dans le genre, c’est presque une figure imposée. Depuis ses débuts, le hip-hop a en effet pris l’habitude de marquer ses victoires à coups de trophées bling-bling. C’est ce que montre Ice Cold: a Hip-Hop Jewelry History. Publié chez Taschen, l’ouvrage s’attarde sur les liens serrés entre le hip-hop et la joaillerie. “Comme les diamants, le hip-hop a émergé sous la pression pour aboutir à l’excellence”, annonce ainsi en introduction la journaliste Vikki Tobak, qui a dirigé la somme visuelle de 338 pages, illustrée par près de 500 photos. Dès les chaînes en or de Run-DMC ou les bagouzes imposantes de LL Cool J, le pli est pris. Né en Angleterre, avant d’atterrir à New York, Slick Rick écrit par exemple: “Les bijoux représentent mon costume de super-héros, une extension de ma belle peau brune (…) le cadeau d’ancêtres qui étaient assis sur des trônes et régnaient couverts de bagues et de pierres précieuses de la taille de glaçons.”

Fashion victim déclarée, A$AP Rocky a largement contribué à la culture bling-bling de ces dernières années. Y compris en décalant un peu les codes. Par exemple en remplaçant les viriles chaînes en or par des colliers de perles plus féminins, troublant les normes de genre. © Tomo Brejc, New York, 2019
Si les bijoux sont des symboles de réussite et de puissance, ils sont aussi parfois utilisés pour commémorer les morts. Exemple avec ce pendentif de Meek Mill, imaginé pour célébrer la mémoire de son protégé Lil Snupe, tué par balles en 2013, à l’âge de 18 ans. © Ahmed Klink, New York, 2018

Au fil des décennies, cette culture ne va cesser d’évoluer. Les rappeurs ne vont plus seulement s’inspirer de la figure de chef de gang qui étale ses richesses dans le ghetto, à coups de bracelets et de chevalières clinquantes. Premier rappeur à avoir signé un partenariat avec Tiffany, A$AP Ferg explique par exemple l’impact qu’ont pu avoir Liberace et ses tenues flamboyantes, ou des acteurs hollywoodiens glamour comme Elizabeth Taylor. “Je me souviens aussi de cette photo d’un pape italien dans un de mes livres au lycée. Il portait un médaillon qui contenait une croix garnie de perles et de pierres précieuses. Je trouvais ça incroyable. C’était différent de tout ce que j’avais pu voir porté par les rappeurs. Je me suis dit que si un jour je gagnais assez d’argent, je me ferais faire ce genre de croix.” Le bijou n’est plus seulement un gage de réussite financière, il devient une œuvre en soi.

Quand Nicki Minaj se fait faire un collier, elle reprend l’un de ses alias, Barbie. Un modèle qui s’arrachera chez ses fans, les diamants en moins… © Angela Boatwright, New York, 2009
Pionnière hip-hop, Roxanne Shanté a accroché son “nameplate” à sa tresse et de grosses boucles d’oreille “bamboo”, attribut “ghetto” qui n’a pas encore été repris par le monde de la mode. © David Corio, London, 1989

Ce qui n’exclut évidemment pas les paradoxes et les ambiguïtés. Né en pleine crise économique, le hip-hop s’est constitué au cœur d’un quartier -le Bronx- et d’une ville -New York- au bord de la faillite. Comment expliquer alors que le rap arbore les attributs luxueux d’un système capitaliste qu’il est censé combattre. Contradictoire? Aujourd’hui encore, qualifier un rappeur de bling-bling suffit à le décrédibiliser aux yeux de certains. Après tout, qu’y a-t-il de plus vulgaire que le parvenu, de plus “plouc” que le nouveau riche? Pourtant, c’est aussi en portant les accessoires les plus clinquants et prestigieux de l’oppresseur que l’opprimé les dégoupille. Ou les détourne -“Je pense à l’esclavage quand ma chaîne Cartier me pend au cou”, rappe ainsi Kaaris. Ou pour citer l’une des têtes de gondole de la rentrée littéraire: “Quand le descendant d’esclave s’empare des attributs du maître (…), il ne dit pas gloire aux vainqueurs. Il dit “ça n’est que ça” et “je peux le faire aussi bien que toi”. Il ne dénonce pas le pouvoir, il le rend obsolète en s’emparant de ses fétiches.” Virginie Despentes, cette fois, dans le texte…

Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History, de Vikki Tobak, éditions Taschen, 388 pages.

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