Laurent Raphaël

Édito: Régime de faveur

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Comment tuer le temps quand on a pris un aller simple pour le mitard? Chacun sa technique: il y a ceux qui enchaînent les pompes à s’en faire péter les biscotos, ceux qui caressent jusqu’à la folie un projet d’évasion et ceux qui s’empiffrent -au choix- de télé, de friandises, de médocs ou de prières.

Dans les films ou les séries du petit écran qui plantent l’action derrière les barreaux, il y a parfois une bibliothèque étonnamment bien fournie en romans de Dumas et, moins surprenant, en manuels juridiques. Dans ce havre de paix épargné par la barbarie qui règne dans le coin, le détenu vient planquer discrètement des messages ou du matériel tranchant dans les replis des livres dodus ou chercher un début de rédemption quand, par miracle, la prose d’un auteur se fraie un chemin dans la gadoue accumulée en fond de cale, faisant sauter du même coup une à une toutes les serrures intimes. Un petit avant-goût de la liberté avant la levée d’écrou… La réalité est évidemment moins romantique. Les braqueurs ou les assassins qui rentrent analphabètes et ressortent avec un doctorat en poche font peut-être la une des journaux mais ils sont rares. Jean Genet n’a pas fait des masses d’émules dans le système carcéral et pas sûr que se revendiquer poète dans la cage aux ours soit bénéfique pour sa tranquillité…

Les Brésiliens ont peut-être trouvé un moyen efficace de redonner le goût de la lecture aux vilains garçons. L’idée a la simplicité des messages bibliques: chaque détenu qui lit un livre dans le mois a droit à une réduction de peine de quatre jours. Tentant, même pour les plus allergiques au maniement des armes cérébrales. Le calcul est vite fait: en un an, c’est 48 jours en moins à l’ombre. Tout le monde est gagnant puisque la carotte fonctionne sans le bâton. Dans la prison de Catanduvas où cette incitation à s’évader par la fiction a été introduite en 2009, non seulement la violence a diminué mais les prisonniers prennent conscience de leurs crimes. La littérature, plus forte que le Prozac!

Au Bru0026#xE9;sil, chaque du0026#xE9;tenu qui lit un livre dans le mois a droit u0026#xE0; une ru0026#xE9;duction de peine de quatre jours. Et u0026#xE7;a marche!

Certes, les autorités auraient pu aller plus loin et imaginer un système de récompense à deux vitesses: pour les confidences racoleuses de Trierweiler, trois jours de zonzon en plus. Pour un Levy, même s’il s’intitule Les Enfants de la liberté, paf, un jour de rallonge. Par contre, pour un polar de l’ancien locataire de cellule Sam Millar ou pour une étude de moeurs signée Zola (au hasard, La Bête humaine), jusqu’à dix jours en moins sur l’addition… Mais bon, inutile de faire la fine bouche. Si les lettres peuvent remettre quelques âmes égarées sur le droit chemin c’est déjà un miracle.

Cette initiative éminemment politique fait incidemment écho aux opérations de secours lancées tous azimuts pour sauver le livre papier des eaux numériques. Les écrivains, les éditeurs, les lecteurs se mobilisent -tardivement mais sûrement- pour faire mentir les Cassandre qui pronostiquent la fin de l’imprimé à un horizon raccourci. Lettre de protestation de 900 écrivains américains vilipendant l’attitude d’Amazon qui a rallongé les délais de livraison des titres Hachette pour l’obliger à baisser ses prix -et qui se passerait d’ailleurs bien tout simplement des services des éditeurs-, campagne de marketing à coups de booktubers, ces vidéos toniques montrant des jeunes devant leur bibliothèque en train de s’enflammer pour un livre qu’ils ont a-do-ré, innovations technologiques pour intégrer le digital dans le format physique (projet « Unbinding the book » réunissant artistes et designers à l’initiative de la plateforme d’édition indépendante Blurb et du studio graphique Jotta)… La riposte s’organise.

« Pourquoi tu gardes tous ces bouquins?« , me demande souvent ma digital native de fille. Oui, ils sont encombrants, oui, ils prennent la poussière, oui, ils dorment parfois des années avant que des doigts curieux viennent les chatouiller. Mais ils font partie de moi comme je fais partie d’eux. Ils renferment mes doutes, mes peines et mes espoirs. Chaque tranche visible est comme le segment d’un prélèvement dans la calotte glaciaire de mes humeurs passées. Cela me fait penser qu’il faut que je rajoute une clause dans mon testament au cas où ma fille envisagerait de brûler la bibliothèque le jour où je disparais: prière de déposer tous mes livres devant la prison de Saint-Gilles…

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