Do the writing avec Nick Hornby: « Un Mariage en dix actes, c’est mon Blood on the Tracks »

"Ce que je préfère dans mon métier, écrire des dialogues. J'ai deux personnes qui discutent dans un pub et j'ai dix minutes pour construire quelque chose avec un début, un milieu et une fin." © PARISA TAGHIZADEH
Philippe Manche Journaliste

Alors que sort Un Mariage en dix actes, roman miroir de la série anglaise éponyme écrite par Nick Hornby et réalisée par Stephen Frears, l’auteur de Haute Fidélité évoque sa nouvelle livraison et bien d’autres choses encore.

En trois romans – Haute Fidélité, À propos d’un gamin et Carton jaune-, Nick Hornby a fait une entrée tonitruante dans le monde de l’édition dans les années 90 devenant l’un des chantres de la pop culture. Écrivain, donc, essayiste, parolier et aussi scénariste, l’auteur de La Bonté: mode d’emploi -63 ans depuis le 17 avril dernier- enchaîne les projets tout en aspirant à retrouver au plus vite l’ambiance des salles de concert. Joint par téléphone pour un entretien via WhatsApp, Nick Hornby s’est avéré tel qu’on l’imagine: nice & friendly.

Comment avez-vous vécu cette période bizarre et inédite?

Plutôt bien parce que mes habitudes n’ont pas été bousculées. Je suis tous les matins et de très bonne heure à mon bureau. J’ai regardé la télévision. J’adore ça. Par contre, ne pas fréquenter les salles de concert m’a vraiment manqué alors que le football pas du tout. Je me suis demandé pourquoi et je me suis dit que c’était peut-être parce que l’époque est déjà tellement stressante que je n’ai pas besoin d’un stress supplémentaire dans ma vie. Ceci dit, ça ne m’a pas empêché de regarder pas mal de football à la BBC qui montrait des matchs des années 70 et 80. Et réaliser que le football a vraiment changé ces dix, voire quinze dernières années.

Qu’est-ce que vous avez regardé comme films et séries télé?

Je me suis refait l’intégrale des Soprano et c’est fantastique. J’ai récemment regardé Marty, un vieux film en noir et blanc de Delbert Mann qui date de 1955. J’ai aussi regardé Deux jours, une nuit des frères Dardenne. J’aime beaucoup leur cinéma, leur façon de filmer avec la caméra proche des gens. C’est un cinéma qui parle d’abord des gens. La dimension politique arrive après.

Finalement, ce qu’on peut retenir aussi de cette pandémie, c’est qu’elle nous a privés de nos passions. Comment avez-vous pallié cela?

J’ai continué à écouter de bonnes choses en musique via Spotify même si cela ne remplacera jamais l’expérience du live. J’ai regardé pas mal de concerts à la télé. Et sur mon ordinateur, j’ai fait quelques visites virtuelles de musées comme le Whitney Museum à New York, qui est l’un de mes préférés. Mais ce qui me manque le plus, c’est vraiment me retrouver parmi le public lors d’un concert. Je compte bien rattraper le temps perdu dès que les affaires reprendront. Pour le reste, j’ai eu le temps de lire, ça m’allait plutôt bien.

Cette période était propice à l’introspection. Qu’est-ce que vous en avez retiré?

J’ai beaucoup écrit ces trois derniers mois. Et j’imagine que des dizaines d’écrivains écrivent actuellement sur la pandémie. J’ai évité cet écueil avec un récit qui se déroule dans une période plus ancienne. Parce que je ne suis pas certain que les gens auront envie de revisiter cette période même à travers des romans.

La question s’adresse autant au romancier qu’au fan de Bob Dylan. Si Haute Fidélité est votre Blonde on Blonde et Carton Jaune, votre Highway 61 Revisited, des classiques, en somme; Un Mariage en dix actes est-il votre Blood on the Tracks?

(rires) Oui, oui, ça me convient parfaitement. Parce que c’est une période où Dylan vient de quitter sa femme. Il y fait allusion dans Blood on the Tracks. Toute l’histoire de Un Mariage en dix actes s’est construite naturellement. Sundance TV m’a proposé d’écrire une série de dix épisodes et c’était jubilatoire.

John Cusack dans Haute Fidélité, le film de Stephen Frears en 2000. Le roman de Nick Hornby existe maintenant aussi en série.
John Cusack dans Haute Fidélité, le film de Stephen Frears en 2000. Le roman de Nick Hornby existe maintenant aussi en série.© GETTY IMAGES

À l’inverse de la série télé In Treatment où chaque épisode correspond à une séance chez un thérapeute incarné par Gabriel Byrne, Un Mariage en dix actes raconte ce qui se passe entre le couple en crise avant de se rendre chez son psy. Ce qui est plutôt original. D’où vous est venue l’idée?

La forme est venue en premier. Soit dix épisodes. Dix actes de dix minutes. Après tout, dix morceaux sur un disque vinyle, n’est-ce pas suffisant? L’idée m’est venue en allant au pub. J’ai vu un couple qui parlait à une table et je me suis fait tout un film en imaginant que ce serait amusant qu’elle et lui se rendent à une consultation. Je reste persuadé que c’est plus intéressant de les voir avant leur visite chez leur thérapeute conjugal plutôt qu’après. Et de suivre leur évolution sur dix semaines. Je trouvais cela assez inspirant de voir comment le couple allait se dépêtrer ou pas de cette crise.

Vous aviez besoin d’un nouveau challenge en épousant ce que vous appelez une nouvelle forme d’écriture?

Je suis loin d’être le seul dans le cas à essayer d’être dans la nouveauté, de ne pas me répéter. Et puis, j’en reviens à ce qu’on vient de vivre depuis trois mois, comment mesurer les conséquences de cette pandémie dans le monde de l’édition aujourd’hui? C’est impossible. Idem pour le monde du cinéma, surtout le cinéma indépendant. On ne peut pas continuer et faire semblant qu’il ne s’est rien passé. Ce n’est pas pertinent et on sera forcément déçu.

Un Mariage en dix actes aurait-il pu s’appeler Les Chroniques du chaos?

Bien sûr. Et c’est une histoire de chaos. Assez fidèle à une certaine réalité quand la routine s’installe au sein d’un couple avec enfants ou pas.

En parlant de progéniture, vous dites que le mariage, c’est comme un enfant. Pourquoi?

Le mariage prend son indépendance entre les deux personnes comme l’enfant prend son autonomie entre ses deux parents. On ne sait pas toujours très bien réagir face à une relation qui se détériore comme face à un enfant qui a des difficultés. Ni gérer les conséquences que la réflexion inspire.

Louise, l’épouse infidèle de Tom, a voté en faveur du Brexit. Vous teniez à jouer sur ce double divorce?

Si ma mémoire est bonne, quand j’ai travaillé sur le projet, le Brexit était encore loin de devenir une réalité. Je me devais d’intégrer cet élément dans le scénario. C’est tellement énorme pour notre pays… Je ne pouvais pas passer à côté. Dans mon cas, le Brexit n’a aucun impact sur mon travail. Ni sur mes projets en développement aux États-Unis dans l’industrie du cinéma.

Comment Stephen Frears se retrouve-t-il dans l’aventure d’Un Mariage en dix actes?

Je vais faire l’impasse sur une volée de personnes impliquées dans le projet. On a vu beaucoup de comédiens, de réalisateurs, avant d’arriver jusqu’à Stephen. Il a été emballé à l’idée que c’était des épisodes très courts et par le fait que Rosamund Pike interprétait Louise. Tout a été tourné en trois semaines. En termes de planning, c’était assez léger et, au final, c’est très satisfaisant sur le plan créatif. Stephen a fait du bon boulot. Alors que c’est toujours au même endroit que le couple se retrouve, il a varié ses angles de caméra. Sa mise en scène est très élégante et Stephen s’éclate à travailler de nouveau pour la télévision.

Comment décrire le plaisir de l’auteur à soigner les dialogues?

Généralement, on le voit dans mes romans, j’affectionne les dialogues. Les livres où les dialogues sont moins présents me rendent un peu moins heureux. C’est ce que je préfère dans mon métier, écrire des dialogues. J’ai deux personnes qui discutent dans un pub et j’ai dix minutes pour construire quelque chose avec un début, un milieu et une fin.

Slam, roman d’apprentissage par excellence, fait figure d’ovni dans votre bibliographie. Quel en a été le moteur?

C’est toujours un peu la même chanson. Un jour, je vais écrire sur une femme. Un autre jour, sur un gamin et là, c’est vrai que j’ai vite eu l’image d’un adolescent. Je pense qu’avoir joué avec la notion de temporalité, la notion de voyage dans le futur, c’est quelque chose qui plaît aux jeunes. C’est intéressant pour un écrivain d’essayer d’atteindre un public adolescent, qui lit quand même peu. Tony Hawk, le skatteur de Slam, a pris une option pour adapter le livre en comédie musicale et je me réjouis même si le projet a pris du retard avec le Covid-19. Ma maison d’édition américaine avait édité en son temps des posters de personnalités lisant mes romans et un jour, je reçois un poster chez moi d’un type qui lit Haute Fidélité sur son skate. Je n’avais jamais entendu parler de lui. C’était Tony Hawk. Qui est devenu par la suite un personnage de Slam

La série télé Haute Fidélité va bientôt débarquer sur nos écrans belges. Après le livre et la comédie musicale, c’est la série télé. Comme si son contenu est suffisamment riche pour être décliné une nouvelle fois…

Je disais un jour pour rigoler que c’était un peu ma Bible, Haute Fidélité, et génération après génération, on en retrouve la parole de Dieu. C’est marrant parce que le roman est sorti en 1995. À l’époque, on achetait des CD, on n’avait pas de musique sur nos téléphones portables et encore moins Spotify. Le rapport à la musique a tellement changé et en même temps pas tant que ça non plus. J’ai eu un droit de regard sur le scénario de la série, j’ai même écrit une scène du premier épisode. Pour le reste, c’est comme à chaque fois, je vends les droits et ça ne m’appartient plus.

Comment expliquer, mine de rien, que le propos de Haute Fidélité soit toujours pertinent 25 ans plus tard? Par le retour du vinyle?

Il doit sans doute y avoir de cela aussi. Je connaissais un type qui était disquaire quand le livre est sorti. Il a fini par vendre des maisons. Quand j’ai entendu parler de Spotify pour la première fois, j’étais plutôt effrayé. Comment voulez-vous créer votre propre identité avec toute la musique du monde dans votre téléphone? Aujourd’hui, j’adore Spotify. Je pense que c’est plus intéressant pour les gens de notre génération que pour celle de nos enfants. C’est un outil fantastique. Encore une fois, rien ne vaut la musique live…

Un Mariage en dix actes

De Nick Hornby, éditions Stock, traduit de l’anglais par christine barbaste, 174 pages. ***(*)

Do the writing avec Nick Hornby:

Quand Louise arrive, Tom a déjà bu la moitié d’une pinte et il fait les mots croisés du Guardian. Au pub, en face de leur thérapeute conjugal qu’ils consultent pour la première fois, Louise et Tom -une bonne quarantaine d’années, des enfants et un mariage apparemment sans histoire- se demandent ce qui a bien pu les amener à entamer une médiation. Selon Louise, Tom a « arrêté de coucher avec elle » et Louise a commencé à « coucher avec quelqu’un d’autre« . Nick Hornby nous fait revivre ce mariage semaine après semaine avec une rare fluidité narrative mais surtout porté par des dialogues enlevés, acides, caustiques, drôles ou amers. Entre mauvaise foi crasse et (rares) moments d’honnêteté, Louise et Tom s’éloignent au fil de ces dix semaines de thérapie. Il faut toutefois les deux ou trois premiers « actes » pour mesurer la profondeur de ce court roman mélancolique à souhait. Et percevoir que Tom et Louise s’étaient déjà éloignés l’un de l’autre. La routine du quotidien, le manque d’énergie ont consumé leur union…

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