Didier Comès réduit au Silence

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’auteur de BD belge Didier Comès, père de Silence, est décédé hier à l’âge de 71 ans. Précurseur du noir et blanc, il est aussi l’un des inventeurs du roman graphique.

Né dans les cantons de l’Est en pleine guerre, d’un père allemand bientôt réquisitionné sur le front russe et d’une mère francophone, c’est dans ce premier déchirement que Dieter Herman, pas encore rebaptisé, a toujours puisé ses principales inspirations: les maux de l’identité et de la bâtardise, le goût du fantastique et des légendes germaniques, les affres de la guerre. D’autres déchirements suivront -Comès écrit de la main droite comme l’ont obligé les pères Maristes, mais a toujours dessiné de la gauche-, d’autres influences aussi, trop souvent oubliées quand on célèbre un régional de l’étape; le jazz d’abord (il fut percussionniste), ses maîtres européens du dessin que sont Hugo Pratt, Tardi, Crepax ensuite, mais aussi les Américains Milton Caniff, Alex Raymond, Will Eisner… On gardera surtout en mémoire le personnage muet de la série Silence, apparu en 1979 dans le mensuel (A suivre), puis en album dès 1980.

Précurseur du noir et blanc , très en vogue aujourd’hui dans un monde de la BD pourtant chaque jour plus high tech, ses dessins n’ont pas pris une ride. Prenez les planches de L’ombre du Corbeau, paru en 1975 chez un petit éditeur (Le Lombard les republiera plus tard, en couleurs): la force de l’encre et du noir de Comès est difficile à dater. Ses ambiances lourdes, ses références évidentes à Hugo Pratt, ses histoires qui en appellent à la sorcellerie et à l’imaginaire pour mieux croquer une réalité sociale et humaine sombre comme sa plume… D’autres essaient encore aujourd’hui de l’égaler. Mais peu atteignent effectivement la force graphique du Fagnard Didier Comès, dont l’art de la narration en BD et le noir et blanc sont les outils parfaits, comme chez Muñoz, pour donner du relief et de la lourdeur à ses ambiances ombrageuses, au bord de l’expressionnisme, cherchant toujours à raconter le complexe en allant au plus simple.

Le dessinateur avait été mis à l’honneur l’an dernier au Musée des beaux-arts de Liège lors d’une exposition rétrospective. En janvier, 50 planches originales de Comès avaient encore été présentées au public du Festival d’Angoulême. En moins de 10 albums saupoudrés de chamanisme et ancrés profond dans ses terres ardennaises, l’auteur de La Belette, qui fut l’un de ceux qui inventa la BD adulte et le roman graphique avant l’heure, devait sourire en voyant les étals des libraires: Bastien Vivès dans une veine dépouillée, Catel avec toute sa grâce, Muñoz ou Burns qu’on célèbre par ailleurs, Schuiten qui enfonce le clou avec sa Douce… Le (beau) noir et blanc et la sensualité d’un simple trait d’encre qu’il avait élevés au rang d’art sont passés à la postérité. Une minute de Silence s’impose…

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