Bye Bye Elvis: une image étonnante du King

La jeune auteure belge Caroline De Mulder met ses mules d’encre dans les pas d’un Elvis Presley oppressé par la solitude, les ravages de l’âge et de l’image. Une autre image, étonnante, du King.

Bye Bye Elvis: une image étonnante du King
© Actes Sud

On l’aurait bien imaginée en ballerine, mais Caroline De Mulder a fait son entrée littéraire avec Ego tango, immédiatement remarqué et primé par le Rossel 2010. Cette fois, elle change de registre musical et stylistique avec Bye Bye Elvis. « Au départ, je n’étais pas fan d’Elvis Presley, mais je l’apprécie depuis que j’ai appris à le connaître. » L’idole a marqué son temps « comme symbole de révolte et de libération sexuelle, il incarnait le rêve et le cauchemar américain ». Mais le roman se penche essentiellement sur ses démons, en nous montrant la star déchue, au coeur de rocker broyé. Celui qui susurrait Love Me Tender n’était aimé de personne. L’écho de sa solitude nous renvoie à celle de John White, un vieil amerloque qui se disloque, jusqu’à ce qu’Yvonne vienne à son chevet. Et si ses deux hommes n’en formaient qu’un ? De Mulder laisse planer le doute, tout en pointant parfaitement les paradoxes du King, « dont le côté solaire est indissociable de l’ombre ».

Le Vif/L’Express : Vous citez en exergue Crommelynck : « Si peu de nous est en nous, qu’il faut bien que le reste soi quelque part. » Quelle part de vous y a-t-il dans l’écriture ?

Caroline De Mulder : Ce qui m’interpelle chez Elvis, c’est ce qu’il reste de lui derrière ce masque de chair et l’image figée. Elvis est ailleurs, alors j’ai mis l’essence de cet homme dans un personnage fictif, John White. Nous nous abritons tous derrière une façade, or qui sommes-nous vraiment ? Cela me soulage de devenir quelqu’un d’autre en écrivant car cette « fuite » me permet d’exprimer des aspects cachés… On peut réparer des choses par la fiction, notamment le manque d’amour d’Elvis que personne n’a sauvé. Sa vie est très documentée, mais seul un roman peut approcher son ressenti.

Qu’est-ce qui vous touche chez cet Elvis « laid, gros, bouffi et défiguré » ?

Elvis incarne la superstar, or il est toujours resté un éternel orphelin, pleurant la mort de sa mère. Loin d’être un tombeur, ce sex-symbol s’avère très fragile. Il ignore d’ailleurs si les femmes l’aiment pour lui ou pour l’image d’Elvis. Hyper-entouré, il se montre extrêmement seul. La pauvreté l’a déterminé et poursuivi toute sa vie, tant il craint de tout perdre. Son parcours est poignant ; celui d’un jeune homme beau, mince et gracieux qui dépérit en vingt ans. La gloire le dévore de l’intérieur et l’extérieur. Ses changements physiques reflètent un mal-être profond. Le roman analyse la mécanique de la gloire. Pourquoi broie-t-elle les êtres, alors qu’elle est supposée apporter la richesse et l’amour ? Captif, Elvis doit rester à la hauteur de son rôle, or ça le tue.

Si « la gloire, c’est le soleil des morts », qu’explorez-vous à travers l’ombre et le vieillissement de vos héros ?

Le livre joue sur le contraste entre la vie ultraconnue d’Elvis et celle d’un ultra-anonyme, John White. Même sa gouvernante, Yvonne, ne sait pas qui il est. C’est un possible Elvis vieux, mais le roman ne tranche pas… Yvonne est aussi une figure de l’ombre, toujours dévouée aux autres. Elle remue ciel et terre pour sauver son patron. Peut-être est-ce l’ultime histoire d’amour d’Elvis. Ce dernier était une figure solaire, or il finit dans un gouffre. Vieillir étant impardonnable pour une idole ! La solitude est le prix à payer pour beaucoup de stars.

L’amour ou son illusion peuvent-ils être salvateurs ?

Impossible de parcourir une vie sans parler d’amour ou de son absence, sinon on se montre incomplet. Le statut d’idole d’Elvis l’isole et l’aliène, or la solitude rend fou. En éternelle quête d’amour, il le prend là où il le trouve, dans la foule de fans voraces. Cela le dévore au lieu de le porter. On ne peut toutefois pas sauver un être contre son gré, or vivre sa vie en tant qu’image figée est mortifère. Elvis est mort de son vivant, mais il est resté vivant en étant mort.

  • Bye Bye Elvis, par Caroline De Mulder, éd. Actes Sud, 284 p.

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