Critique | Expos

The Grid: la grille comme grille de lecture de l’art

© Esther Ferrer, 2023/Rémi Villaggi
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

The Grid montre comment l’art moderne a fait voler en éclats la fonction de la grille, métaphore de l’enfermement.

Sur papier, la trame de The Grid peut paraître austère: le commissaire Alexander Streitberger a réuni 40 plasticiens belges et internationaux autour du schème de la grille envisagée comme “forme, structure et contenant de la création artistique”. Dans les faits, il en va tout autrement et pas seulement parce que le propos prend place dans un lieu, le Musée L, dont les lignes architecturales subjuguent par leur caractère sculptural. Non, squelette à peine remarqué constituant une sorte d’impensé du voir, la grille se découvre comme une forme fondamentalement ambiguë, “une matrice complexe” pour reprendre les mots de Streitberger, également professeur à l’UCL. Celle-ci se trouve coincée entre la rationalité la plus rigide et l’imagination la plus libérée, l’absolutisme et la démocratie.

Le parcours ne cache rien de cette ambivalence, en s’arrêtant entre autres sur les grilles taxonomiques, l’anthropométrie de sinistre mémoire ayant servi le projet colonial et reposant sur le classement des individus par le biais d’une hiérarchie raciale. Il reste que cet enchevêtrement de lignes verticales et horizontales, comme l’a démontré l’historienne de l’art Rosalind Krauss dans l’ouvrage fondateur Grids, va s’inventer marqueur de la modernité chez des artistes disruptifs comme Mondrian ou Malevitch. Et plus tard, dans les années 60-70, cette configuration géométrique reprendra du service pour offrir du pain bénit aux minimalistes et aux plasticiens gagnés à l’art conceptuel.

Comme elle respire

Découpé selon trois thèmes, le parcours de The Grid congédie l’immobilisme pesant que l’on prêterait spontanément à une structure comme celle-là. La première partie, peut-être la moins surprenante, évoque les contours de “trame optique et matérielle” de la forme, notamment à travers des œuvres de Sol LeWitt, François Morellet et Carl Andre -un pan nourri par de nombreuses œuvres de la donation Wunsch-Van Kerckhove. On serait presque tenté de dire le “degré zéro” de la grille si le panorama proposé ne permettait pas au regardeur de conscientiser à ce point la rupture à l’œuvre, soit celle de pratiques artistiques autoréférentielles bien décidées à se passer du réel. “La grille a ceci de particulier, commente Streitberger, qu’elle dirige le regard vers la forme abstraite détachée de toute réalité extérieure.”

Toujours est-il que c’est dans la deuxième salle que le visiteur se met à vibrer, là où la structure grillagée se met en quelque sorte à respirer. Il est alors question d’une grille en action”, un schéma utilisé pour mettre le corps en scène, non sans la suggestion d’un certain écoulement du temps, comme chez les performeuses Esther Ferrer et Gina Pane -qui retournent la grille contre elle-même-, voire chez un Jacques Lizène astreignant son corps, dès 1971, à s’inscrire dans le cadre de la photo. Enfin, dans la dernière section, la trame se révèle “mémorielle et identitaire” de manière flagrante chez des artistes comme Christian Boltanski -60 images émouvantes des membres du Club Mickey en 1953-, Claudia Andujar ou Michael Ensdorf.

The Grid ****

Exposition collective, au Musée L, Louvain-la-Neuve. Jusqu’au 11/02.

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