Jef Geys, « l’exploseur de musées », en rétrospective au Wiels

Jef Geys, Album à colorier pour adultes, 1966-67. © Photo: Steven Decroos. Jef Geys Estate/Sabam 2023

Il avait conçu un projet pour dynamiter le Musée des Beaux-Arts d’Anvers. Il ne l’a pas mis à exécution, mais Jef Geys a bien contribué à l’explosion du musée à l’ancienne. Le Wiels lui rend hommage.

En 1971, le KMSKA, le Musée des Beaux-Arts d’Anvers, avait invité l’artiste campinois Jef Geys (1934-2018) à présenter une exposition solo. Sa participation: un plan détaillé pour faire exploser ce même musée. Du Jef Geys tout craché: une forte tête, allergique à toute approche élitiste et prétentieuse de l’art. Et -heureusement pour le KMSKA- un artiste conceptuel: l’idée était plus importante que l’exécution.

Geys opérait depuis Baelen, où il était professeur à l’école secondaire. Même si ses œuvres ont été présentées dans de grands événements comme la Biennale de Venise ou la documenta de Kassel, il ne s’est jamais rendu aux vernissages. Ses catalogues n’étaient pas des éditions de luxe sur papier glacé, mais des exemplaires (gratuits) de son Kempens Informatieblad, une sorte de journal toutes-boîtes.

Dès le 2 février, 844 de ses œuvres sont présentées au Wiels. Un lieu avec lequel s’était tissé un lien. “Jef Geys a exposé ici à quatre reprises et a été notre conseiller, notamment pour la mise en place du service éducatif, explique Dirk Snauwaert, directeur du Wiels. J’étais régulièrement en contact avec lui à ce sujet.” Ce qui a permis d’établir une relation de confiance avec la famille Geys et d’avoir accès aux archives personnelles de l’artiste.Nous avons dépouillé 450 boîtes d’archives et trouvé notamment sept classeurs contenant des photos et des textes dans lesquels Geys indique très précisément comment son travail s’articule, souligne Charlotte Friling, co-commissaire de l’exposition. “Il ne voulait pas que des universitaires déterminent après sa mort la manière dont il fallait appréhender son œuvre, poursuit Dirk Snauwaert. C’est lui-même qui allait en décider.

Biotope

Son métier de professeur faisait naître des idées. Comme!Vrouwenvragen?, un rouleau d’un mètre de long contenant 157 questions sur la place des femmes dans la société, utilisé comme matériel de discussion pour le cours d’arts plastiques. Des versions de cette œuvre dans d’autres langues et sur d’autres supports ont été présentés dans des institutions et des galeries du monde entier. En 1984, Geys a organisé dans son école une exposition avec des œuvres empruntées à l’actuel S.M.A.K. gantois: Francis Bacon, Paul Delvaux, Karel Appel, Andy Warhol, Gerhard Richter… Les élèves guidaient les visiteurs et le catalogue gratuit avait été financé par des annonces de commerçants locaux. Les cours d’arts plastiques de Jef Geys ne se limitaient certainement pas à l’apprentissage du dessin.

L’artiste avait une manière inimitable d’imbriquer regard villageois et perspectives cosmopolites. “Comme beaucoup de gens de sa génération, il a été marqué par l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles, relève Dirk Snauwaert. Ça a été le cas pour des artistes belges comme Marcel Broodthaers, Jacques Charlier ou Lili Dujourie, mais aussi pour mes parents, par exemple. Ils venaient d’un trou perdu de province, ils ont pris le tram pour Bruxelles et se sont retrouvés tout à coup à l’ère atomique. Geys a travaillé comme étudiant à l’Expo 58, il avait un laissez-passer pour y aller quand il voulait. À 24 ans. C’est à ce moment-là que l’on ouvre les yeux.

Jef Geys, Hallo Andy!, 1969.
Jef Geys, Hallo Andy!, 1969. © Jef Geys Estate/Sabam 2023

Mais Geys n’a jamais oublié d’où il venait. Son penchant pour les gens ordinaires était au fondement de tout ce qu’il faisait. Lors de la grande grève de l’usine de zinc de Baelen en 1971, l’artiste a peint les pancartes et les banderoles des ouvriers. “Mon œuvre la plus importante”, dira-t-il plus tard. Une boutade ou le pensait-il vraiment? Impossible de trancher.

Geys réaffirmera son engagement social en 1986, à l’occasion de l’exposition Chambre d’amis à Gand. Le Musée d’art contemporain de Gand, ancêtre du S.M.A.K, voulait sortir de ses murs et exposer des œuvres d’art dans des habitations privées. Bien que, selon les termes du directeur Jan Hoet, c’était principalement des “personnes cultivées” qui avaient mis leur maison à disposition, Geys avait réussi à trouver six habitations de bénéficiaires de l’aide sociale.Il y a placé des portes avec des slogans de la Révolution française, explique Charlotte Friling. Quand on les ouvrait, elles donnaient sur un mur aveugle. Elles ne menaient donc nulle part, comme les grands idéaux.”

Favela

L’œuvre d’art et la vie réelle, le centre et la périphérie, l’artistique et le politique: tout cela se fond de magnifique façon dans la contribution de Jef Geys à la Biennale de São Paulo, en 1991. À cette occasion, il a fait construire une copie de la Villa Wintermans, une demeure moderne de Campine, en bois et à plus petite échelle dans la métropole brésilienne. En l’occurrence dans une favela, et destinée à accueillir une petite école. Son Kempens Informatieblad rapportait: “La délégation flamande a visité cet édifice en bus et est ainsi entré en contact avec les favelas de São Paulo. Soudain, l’exposition dans le bâtiment de la biennale a semblé basculer vers un autre centre: la périphérie de la ville en expansion.” L’annonce se terminait de manière assez abrupte par: “Geys lui-même était absent, comme toujours dans ces moments-là.”

Si Geys avait eu connaissance de cet hommage au Wiels, aurait-il voulu faire exploser le musée? “Mais il l’a déjà fait, répond Dirk Snauwaert. Ce qu’était un musée à son époque et ce qu’il est aujourd’hui sont deux choses totalement différentes. L’approche de l’art de l’époque, poussiéreuse, démodée et purement stylistique, est complètement dépassée. Ce n’est pas seulement grâce à Jef Geys, mais en Belgique, il a été l’un des artistes les plus cohérents et radicaux à y contribuer.”

Jeyf Geys: On ne voit pas ce qu’on croit voir, du 02/02 au 19/05 au Wiels, Bruxelles. www.wiels.org

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