Yard Act: « Ce serait bien de faire danser les filles. Mais nous, on veut surtout faire rire et réfléchir les gens »
Révélé par Internet durant le confinement, Yard Act dégaine un premier album catchy et anticapitaliste porté par son sens de l’observation sociale, son accent du Yorkshire et son humour du nord de l’Angleterre. Entretien.
Vendredi matin. James Smith, mec enjoué aux grandes lunettes et aux cheveux en bataille, est chez lui, à Leeds. Le jeune trentenaire, papa depuis le mois d’avril, assure la promotion de The Overload, le redoutable premier album de Yard Act, tout en surveillant son bambin. « Il essaie de comprendre comment marcher. Ce qui est assez effrayant. Il nous reste un mois et demi de calme avant qu’il mette la maison en lambeaux. C’est quelque chose d’avoir un gosse! Surtout quand tu essaies de sortir un disque en même temps. »
Fils d’une nourrice et d’un passionné de musique bossant dans l’équipe de nuit d’un supermarché, Smith est né en 1990 et a grandi entre Manchester et Liverpool, dans le village de Lymm et la ville voisine de Warrington. « J’ai eu une enfance plutôt normale. Working class mais dans un assez chouette coin où tu as l’opportunité de t’en affranchir. La vie était calme. Pas grand monde n’y faisait de la musique et personne ne baignait dans le même genre de trucs que moi. » À l’époque, James craque pour les Strokes et, dans la foulée, pour les Arctic Monkeys, qui sont en train de devenir le plus grand groupe d’Angleterre. Il est aussi vraiment branché hip-hop. « Je n’ai jamais eu l’intention de faire du rap mais ça m’a beaucoup influencé. »
James apprend d’abord la batterie. Il joue dans quelques formations locales du côté de Warrington, Manchester et Liverpool. Puis bouge à Leeds en 2009 pour étudier la production musicale et monter un groupe, bien décidé à gagner son indépendance. « Je connaissais trop bien Manchester pour avoir envie d’aller y vivre. C’était dans ses salles de concert et ses boîtes de nuit qu’on sortait. Ce n’était pas assez neuf pour moi. En plus, il y a cette arrogance à Manchester qui ne me parle pas. Leeds est plus humble, plus calme. C’était ce dont j’avais besoin. »
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Il s’y met à la guitare, écrit des chansons et profite de tout l’équipement de son école pour les enregistrer. Avec Post War Glamour Girls, Smith sort quatre albums en quatre ans. Du Yard Act en plus lourd, influencé par Nick Cave et ses Bad Seeds, Blonde Redhead, les Pixies et les Smashing Pumpkins. Il fait la connaissance de Ryan Needham à l’occasion d’un split avec le groupe de ce dernier, Menace Beach, pour le label Too Pure cher à PJ Harvey (2016). Yard Act voit le jour quand son comparse emménage chez lui en 2019. « Ce serait bien de faire danser les filles. Mais nous, on veut surtout faire rire et réfléchir les gens. Ce groupe est un véhicule pour nos idées. Il y avait des trucs dans nos têtes qui tenaient à sortir. À la base, on voulait juste donner des concerts et on a vite eu l’herbe coupée sous le pied. C’est devenu de l’écriture de chansons et ça a plutôt bien tourné. C’est devenu un boulot aussi. Ce qui est assez bizarre quand tu y réfléchis. On jouait dans des groupes depuis des années et on ne s’attendait pas à ce que celui-ci décolle. C’est sans doute parce que pour une fois, on a vraiment essayé. »
Blur, The Fall, Happy Mondays…
Après avoir marqué les esprits avec une poignée de singles irrésistibles -l’hilarant Peanuts et les roucoulements du plus célèbre siffleur au monde (Ronnie Ronalde, le grand-père de leur guitariste), Dark Days et son coeur de Blur, Fixer Upper, dans lequel un je-sais-tout planifie des rénovations, et The Trapper’s Pelts, charge contre le néolibéralisme produite par l’ancien guitariste de The Coral, Bill Ryder-Jones-, Yard Act embraie avec un premier album d’une efficacité redoutable. On y entend du post-punk à la The Fall (« Je viens du même endroit du monde que Mark E. Smith« ) et de la britpop, du Happy Mondays et du Talking Heads, des lignes de basses no wave et des échos au label DFA. « Notre guitariste Sam (Shipstone), qui jouait dans Hookworms, écoute du Fela Kuti, du Led Zeppelin et du Marc Ribot. Jay (Russell), notre batteur, a un background black metal. Mais il aime aussi la drum and bass, le breakbeat et le hip-hop. Quant à Ryan (basse), il adore The Rapture et son groupe préféré n’est autre qu’Elastica. »
James promène la caméra de son téléphone dans sa collection de disques. McCartney II, quelques albums de Noël, le dernier Radiohead, Harmonia, Sharon Van Etten, Rubber Soul, Makaya McCraven, The Mystery Kindaichi Band, Fontaines D.C., le Minus de Daniel Blumberg, la bossa électronique de Sparkle Division ou encore du Ornette Coleman. « On n’est pas un de ces groupes post-punk qui n’écoutent que ça. Je ne sais pas si quelqu’un m’a donné envie de monter sur une scène. Peut-être Robbie Williams, qui est un vrai entertainer, ou plus probablement Nick Cave. En tout cas, le groupe qui m’a vraiment amené à la musique, c’est Gorillaz. J’étais obsédé par le dessin, par l’animation. Je voulais devenir illustrateur étant gamin. Leurs clips me renversaient et leurs albums m’ont exposé au dub, au hip-hop, au funk, au punk, au reggae. Même aux musiques latines. »
Avec The Overload, les garnements de Yard Act ont cherché à prolonger l’expérience initiée par leurs singles, à développer leur son. « Les trois derniers morceaux du disque ont d’autres styles et humeurs. C’est en quelque sorte un trait d’union entre le post-punk pour lequel on est connu et là où on veut aller. On savait qu’on n’utiliserait pas les 45 tours. On voulait avancer. En plus, il y a une narration. C’est une espèce de concept album. »
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Vision sarcastique
Si Ryan est graphiste, James a bossé dans un call center, a enseigné la guitare et la batterie dans un centre communautaire et travaillé dans l’aide sociale avant de se consacrer pleinement à la musique. « J’ai épaulé un mec et sa famille. Je l’aidais dans sa vie de tous les jours. Au-delà du sarcasme, de la moquerie, je pense être quelqu’un qui se soucie d’autrui, de l’humanité. Qui a de l’empathie pour les autres. Je ne suis pas tout le temps une tête de noeud. »
Les chansons de Yard Act sont peuplées de personnages prétextes à des commentaires sociaux non dénués d’humour sur l’état de la Grande-Bretagne. Vous y croiserez un patron de pub, un drôle de magicien ou encore une femme, Grace, qui tue son mari imaginaire avec une allergie aux cacahuètes. Il y a aussi Graham, qui vient d’emménager et a du mal à prononcer les noms étrangers… « On connaît tous un Graham. C’est la coque d’un homme qui incarne ce que je ne suis pas de manière à ce que je puisse l’explorer. Il est basé sur cinq ou six connaissances. Un ancien voisin, un oncle avec lequel je ne m’entends plus, quelques clients du pub où je buvais des coups à Warrington. Il incarne tous ces mecs désillusionnés de plus de 49 ans. Je m’inquiète pour lui. Il signifie quelque chose pour moi. Il est très humain. Ce n’est pas l’ennemi comme certains pourraient l’imaginer. »
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Les textes de Smith renvoient dans leur vision sarcastique à un Jarvis Cocker, un Jason Williamson, un Mike Skinner. Ils évoquent aussi un certain cinéma social britannique. « Au début de la vingtaine, les gens et particulièrement les hommes sont égocentrés. Tu es au coeur de ta propre narration. Ton ambition est instillée depuis ton plus jeune âge. Tu dois réussir. Faire quelque chose de ta vie. Tu es la personne la plus importante de ton propre monde. Mais enseigner à des enfants, prendre soin de ce mec qui est devenu un de mes meilleurs amis et avoir un gosse m’a libéré de tout ça. Tout à coup, tu n’es plus si important. C’est sans doute pour ça que j’écris sur les autres. Je ne suis pas si intéressé que ça par moi-même. »
Yard Act aime rire du quotidien, du mondain, du surréalisme humain. Et s’il se moque, c’est plutôt de gentille manière. « Un truc, je pense, du nord de l’Angleterre. » L’album raconte un voyage, une ascension, une chute, une révélation. « L’histoire d’un mec en fin de vingtaine, début de trentaine, opposé au système. Il se dit qu’il doit accepter le capitalisme et jouer le jeu pour avoir une vie plus facile. Il doit renoncer à ses principes et se fait corrompre par le système. Je ne veux pas trop en dire. Il termine en prison. Il a une révélation. Il réfléchit à son éducation et à son passé. Et il réalise que tu n’arrives jamais à un point de ta vie où tu as réussi. Il y a toujours de nouvelles choses à apprendre. La joie ne vient pas que des grands desseins. Ce sont les petites choses qui te procurent le plus de plaisir. » Autobiographique? En partie. Yard Act a signé avec une major… « Almost by accident, I’ve become rich« , chante Smith sur l’un des morceaux grinçants de son disque. « J’imagine un monde dans lequel je n’ai jamais eu un rond. Je ne suis pas motivé par l’argent. Et tout à coup, j’en ai. Comment est-ce que ça me changerait? Nos principes disent tout, mais on peut très vite les abandonner. Est-ce que je pourrais chanter avec conviction ces morceaux anticapitalistes dans lesquels je suis fauché? Il n’y a pas de chemin tout tracé dans la vie. J’ai commencé à apprendre avec Yard Act à saisir les opportunités et à voir où elles mènent. C’est plus intéressant que de rester coincé dans un sens unique. »
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« Attends deux minutes, je vais être un père horrible et allumer la télé. Tu connais Hey Duggee? C’est un programme génial de la BBC. C’est pour les bébés mais tu as des références à des choses comme Apocalypse Now… » James Smith a le causant. Il explique aimer l’humour de Ian Dury et Steve Coogan, raffoler de The Office -« l’original« – et parle avec verve de ses dernières lectures. L’autobiographie de Julian Cope, chanteur de The Teardrop Explodes. The Book of Trespass de Nick Hayes, qui interroge la notion de propriété. Ou encore Catch and Kill, le bouquin de révélation sur Harvey Weinstein écrit par le fils de Mia Farrow. « Des films? J’ai récemment regardé Naked de Mike Leigh avec David Thewlis que j’ai vraiment apprécié. Mais j’ai un faible pour la téléréalité. J’aime regarder de vraies gens dans des situations manipulées. Je trouve ça assez curieux. C’est de l’observation sociale. »
Smith est toujours au taquet. Même quand la vie tourne au ralenti. « Mardi, j’étais chez le dentiste. Un type arrive et me demande si j’ai un rendez-vous. Il veut juste prévenir qu’il ne doit plus venir au sien. « Ah bon? Pourquoi? » « J’ai arraché mes dents moi-même. Je n’en ai plus que trois. » Il abaisse son masque et il me dit: « Je vais m’en occuper ce soir. » « Mec, tu vas définitivement faire partie d’une de nos chansons! » »
Yard Act, The Overload, distribué par Universal. ****(*)
Le concert du 02/02 à l’Aéronef (Lille) est reporté sine die. Celui du 03/02 au Trix (Anvers) reste à confirmer.
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