« Bruxelles m’a beaucoup aidé pour la musique », le portrait de Marc Melià

Marc Melià: "J'essaie d'amener une certaine chaleur dans l'électronique". © MAYLI STERKENDRIES
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Vissé depuis une dizaine d’années à Bruxelles, le producteur espagnol vient de sortir Veus, disque de pop électronique charnel, floutant la voix et les sentiments.

D’abord, un peu de géographie. Sous la barbe bien taillée de Marc Melià, l’Europe. Originaire de Majorque, l’Espagnol a collaboré récemment avec Françoiz Breut, Française habitant comme lui à Bruxelles. Ville-capitale qu’il a rejointe il y a une dizaine d’années avec sa copine de l’époque, Autrichienne. Ah oui, il vient tout juste de sortir son second album, le formidable Veus, Voix en catalan, sur le label baptisé Pan European… United colors of Erasmus.

L’Union est en crise? Pas en musique, où la construction européenne avance. Surtout côté électronique, à vrai dire: depuis le Trans-Europe-Express des Allemands de Kraftwerk, on a compris que les machines servent de lingua franca, mieux, de liant aux différentes sensibilités du continent. En tout cas, de carburant à celle de Marc Melià. C’est d’ailleurs quand il a commencé à bouger un peu trop souvent qu’il a switché vers les synthés. « Je ne pouvais pas déménager mon piano à chaque fois. C’est là que je suis tombé dans les synthétiseurs. Ils m’ont ouvert à tout un monde, qui me permet de créer mes propres sons. » Au point d’imaginer un premier album composé avec un seul et même modèle: Music for Prophet, sorti en 2017. Quatre ans plus tard, Veus baigne pareillement dans un bain synthétique éminemment charnel.  » À la base, la machine peut avoir quelque chose d’assez froid. J’essaie de lui amener une certaine chaleur. En tout cas, j’aime bien jouer sur cette frontière entre les deux. » Une profession de foi électronique pour celui qui a pourtant grandi à l’autre bout du spectre, du côté du classique.

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Né en 1980, Marc Melià Sobrevias est forcément trop jeune. Trop jeune pour goûter aux grandes heures eighties du Balearic, ce groove électronique alangui, chargé de faire atterrir les clubbers d’Ibiza. Ou même aux échappées ambient expérimentales des frondeurs new wave ibériques de l’époque -ceux qu’a mis à l’honneur la fabuleuse compilation La Ola Interior, publiée au début d’année. Chez les Melià, c’est la musique classique qui domine – les parents chantent tous les deux dans une chorale. À 8 ans, Marc se met au piano. Pas forcément « virtuose« , mais assez à l’aise pour improviser ses propres compos. La musique « pop » arrive bien plus tard, « vers 15, 16 ans« . Notamment, quand un pote, fan de Radiohead, lui demande de retranscrire des morceaux.

Human after all

Petit à petit, la musique devient une évidence. Et même, quand il file à Barcelone, une ambition. « J’avais un duo, un piano-voix que je voulais développer, un peu dans le style cabaret noir, entre Nick Cave et les Tindersticks. » Mais la capitale catalane est une ville dure pour les artistes intrépides. « Il n’y a pas vraiment de soutien des autorités, et si vous ne faites pas dans l’ultracommercial, c’est compliqué… » C’est aussi à peu près à ce moment-là que l’Espagne plonge dans une crise économique particulièrement brutale. Alors, quand Marc Melià a l’occasion d’accompagner son amoureuse autrichienne, Tanja Frinta, d’abord à Vienne, puis à Bruxelles, il n’hésite pas. « Je suis arrivé en novembre, il neigeait. C’était assez spécial… » Avec deux autres musiciens (Clément Marion et Maxime Malon), ils forment Lonely Drifter Karen, signé sur Crammed. Le temps de sortir trois albums, avant que le projet de Tanja Frinta ne s’effiloche, en même temps que le couple. Malgré tout, il reste – « Bruxelles m’a beaucoup aidé pour la musique. Notamment parce que le climat vous invite à rester à l’intérieur. Cela m’a permis de mieux me concentrer« . (sourire)

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Voire de se focaliser, au point de se contenter d’une seule machine, le Prophet 08, pour son premier album perso. Le suivant, par contre, sera plus ouvert. « On est déjà tellement limité en soi, en tant que personne. J’ai compris que cette fois, je ne voulais pas en rajouter » .Veus voit donc large – quelque part entre Air, Laurie Anderson et Nicolas Jaar, jusqu’à toucher au format chanson sur un titre comme Les Étoiles, avec Flavien Berger et Pi Ja Ma – « en termes de pop, c’est le max que je peux faire » (rires). « Ce soir, je me sens plus humain« , y chante le Catalan, d’une voix… robotique. « Pour ce nouveau disque, je ne voulais plus de concept, mais j’ai quand même développé un fil rouge: celui d’une voix qui change et mute en permanence. L’idée était de créer une personnalité un peu fluide. Je manipule le timbre, dont on dit qu’il est l’élément le plus caractéristique de l’identité vocale, ce qui fait que Stromae ne sonne pas comme Björk, qui ne sonne pas comme Tom Waits. Pour cela, j’ai travaillé avec des outils encore très archaïques. Mais bientôt, je suis certain que l’on aura une appli sur son téléphone qui permettra de parler ou chanter avec la voix de son chanteur préféré. »

La voix digitalisée, scannée, copiée, réduite à un algorithme, le musicien y croit. Comme sur le morceau Oxitocines, où il résume l’amour à une simple formule hormonale – « Tu parles d’amour, je parle de chimie » . « J’ai une foi absolue dans la science! Je crois vraiment que tout ce que l’on est, peut être décomposé. Y compris le sentiment amoureux. » Pas très romantique, Marc Melià? « Moi, en tout cas, en cas de rupture, par exemple, cela m’aide, je peux remettre les choses plus facilement en perspective. » La raison donc, pour se protéger de ses propres émotions. Ou plutôt par souci du décalage? Voire par goût pour l’absurde, cette confrontation entre « l’appétit de clarté » et le « silence déraisonnable du monde« , comme disait Camus? Si, pour le clip d’ Oxitocines, Marc Melià se cache dans une combinaison de cosmonaute vintage, il y a trois ans, il expédiait carrément son album Music for Prophet dans le cosmos. En espérant toutefois que les Martiens disposent encore d’un lecteur de cassettes… Plus récemment, pour le clip de Pulse on a E, il envoyait dans les étoiles des petites figurines à la tête dodelinante – celles que l’on retrouve sur le tableau de bord des voitures. Dérisoire et poétique malgré tout…

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Veus, distribué par Pan European. ***

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