Critique | Musique

Tom Waits – Bad As Me

ROCK | Fidèle à son personnage, Tom Waits grogne, hurle, croone et couine comme jamais. Tout cela sur un seul album, « Bad As Me », méchamment jouissif.

« Le public est une bête féroce. Mieux vaut ne pas la nourrir trop. » Il ne faut pas la lui faire. Tom Waits, 61 piges au compteur, est un vieux roublard, maîtrisant parfaitement son sujet. Sept ans se sont ainsi écoulés entre Real Gone et le nouveau Bad As Me. Entre-temps, seuls une compilation d’inédits (Orphans: Brawlers, Bawlers & Bastards) et un live (Glitter and Doom) sont venus tromper l’attente des fans et nourrir le mythe. Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Aujourd’hui plus que jamais, Waits est devenu une figure culte. Avec ses éternels airs d’ours mal léché, Waits traîne sa dégaine de clochard céleste depuis plus de 30 ans, la peau burinée par les vieux blues, la voix écorchée par le malt et le tabac. Un auteur rock majeur, en même temps qu’un acteur occasionnel éclairé, se réclamant aussi bien de Dylan que de Gershwin, de Bertolt Brecht comme de James Brown. Un intouchable? Quasi.

L’indigné

Dix-septième album studio, Bad As Me n’a donc pas grand-chose à prouver. C’est sa principale force. Fonctionnant à la manière d’un catalogue des postures et autres rictus « waitsiens », il résume à la perfection l’itinéraire du bonhomme (et servira à cet égard de bonne introduction aux novices).

« All on board », grogne-t-il ainsi dès Chicago, le morceau d’ouverture. Sur Talking At The Same Time, à l’inverse, il couine sur un piano de saloon, les cuivres claudiquant assurant la pompe. Sur le morceau-titre, il fait figure de soul man tordu, un poil effrayant quand il reprend sa voix grave. Du cabotinage? Certes, et pourtant irrésistible. Comme sur Satisfied, sur lequel il hurle comme un lion, titillant le Satisfaction des Stones. Keith Richards est d’ailleurs du voyage, comme sur Last Leaf, touchante ballade de fin de nuit: « I’m the last leaf on the tree/The autumn took the rest but they won’t take me. »

Bien sûr, Bad As Me ne résout pas l’inextricable équation Tom Waits: celle qui mélange à la fois l’authenticité du blues et la posture, à la limite parfois de la caricature. Mais c’est aussi là, dans cette fuite permanente, dans cette manière de se faufiler entre les archétypes et les accents plus personnels que Waits continue à fasciner. Car Waits n’est pas qu’une figure cartoonesque désincarnée, sorte de big bad woolf rock’n’roll. Le bonhomme a beau avoir toujours évité la chanson trop engagée, il ne peut s’empêcher d’ouvrir la fenêtre et d’allumer le poste de télévision. « Someone makes money when there’s blood in the street », dénonce-t-il sur Talking At The Same Time. Ou encore un peu plus loin,  » ils ont les fruits, nous avons l’épluchure ». Mais le vrai tour de force arrive à la fin du disque. Hell Broke Luce évoque le retour au pays d’un vétéran d’Irak. Frontal et rageur, Waits renoue ici avec les percussions osseuses de Bone Machine, avant de carboniser le morceau à coups de guitares électriques (Marc Ribot, Keith Richards, côte à côte). En toute fin, l’accordéon de New Year’s Eve calme encore le jeu d’un album plus hétéroclite que d’habitude. Une qualité? Plutôt. Car si Bad As Me ne chamboule peut-être pas le paysage waitsien, il n’arrive toujours pas non plus à l’épuiser.

Laurent Hoebrechts

Tom Waits, Bad As Me, distribué par Anti. ****

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