Emmanuelle Bercot: « Mon regard sur la maladie et la mort a changé »

Le personnage de Benoît Magimel est accompagné par le docteur Sara (Eddé dans le film), médecin à la ville comme à l'écran.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Six ans après La tête haute, Emmanuelle Bercot réunit Catherine Deneuve et Benoît Magimel dans De son vivant, un mélodrame médical dressant le tableau poignant d’une fin de vie. Rencontre.

Si elle s’est multipliée devant les caméras d’Eva Husson (Les Filles du soleil), Cédric Kahn (Fête de famille) ou Mélanie Laurent (Le Bal des folles), voilà cinq ans (et La Fille de Brest) que l’on restait sans nouvelles d’Emmanuelle Bercot la cinéaste. Et pour cause, De son vivant, son nouveau long métrage, a connu une histoire mouvementée, son tournage ayant été interrompu pendant huit mois fin 2019 suite à l’accident vasculaire dont avait été victime Catherine Deneuve. Deux ans plus tard, ce n’est plus qu’un mauvais souvenir, et c’est une réalisatrice détendue que l’on retrouve à l’occasion du 22e Arras Film Festival, son film comptant parmi les nombreuses avant-premières rythmant, de L’Événement d’Audrey Diwan, aux Madres Paralelas de Pedro Almodóvar, les dix jours d’une manifestation célébrant par ailleurs le cinéma d’Europe de l’Est.

L’hôpital, réservoir de fictions

À l’instar de son prédécesseur, qui s’inspirait du scandale du Mediator, De son vivant est une fiction située en milieu hospitalier, le scénario accompagnant une mère et son fils (le duo Catherine Deneuve-Benoît Magimel, que la cinéaste reforme six ans après La Tête haute) confrontés à l’inacceptable, sous la forme du cancer incurable dont est frappé ce dernier. Un tropisme médical auquel Emmanuelle Bercot avance une explication très simple: « Je vais dire une phrase pouvant paraître absurde, mais je me sens bien dans les hôpitaux. Cela m’est très familier, peut-être parce que j’avais un père chirurgien, et que jusqu’à très tard, j’ai voulu devenir chirurgien moi aussi, l’accompagnant dans ses visites et en salle d’opération. Mes distractions du week-end et du mercredi, c’était ça: aller à l’hôpital avec mon père. J’admire énormément le métier de médecin. Cela fait deux films de suite où je dresse le portrait de médecins très différents, mais qui ont une vocation qui me fascine et me touche beaucoup. » Incidemment, De son vivant vient aussi s’ajouter aux fictions médicales documentées qui s’alignent désormais sur les écrans, comme le tout récent Médecin de nuit ou la série Hippocrate: « Je pense que, de toute façon, il y a toujours eu le prestige de l’uniforme, cela vaut pour la blouse blanche comme pour les films de policiers. L’uniforme nous ramène à l’enfance, quand on aimait se déguiser et jouer au docteur, parce qu’on aime avoir nous-mêmes l’impression de guérir quelqu’un. Par ailleurs, l’hôpital est peut-être le seul endroit où tout le monde se rend, de toutes classes sociales et de toutes origines, dans tous les pays. C’est le seul lieu qui concentre la société toute entière, et du coup, toutes les fictions y sont possibles, avec des enjeux qui sont toujours forts… »

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Ainsi donc de De son vivant, tableau de fin de vie qui virerait sans doute au pur mélodrame sans la présence du docteur Eddé, venu, avec un maximum de dévouement et d’empathie, aider mère et fils à accepter la maladie et la mort inéluctable. Ce personnage, il a été inspiré à Emmanuelle Bercot par le docteur Sara, un cancérologue rencontré à New York au sortir d’une projection de La Tête haute, dont le travail dans les « tranchées du cancer » a été l’élément déclencheur d’un projet autour duquel elle tournait depuis un certain temps déjà. Une rencontre à ce point décisive que la cinéaste a décidé de lui confier son propre rôle à l’écran, suivant la méthode éprouvée qui la voit, depuis ses débuts, mélanger comédiens professionnels et non professionnels: « J’ai tout de suite senti que j’avais presque plus de plaisir à diriger des gens qui ne sont pas acteurs qu’à diriger des acteurs. C’est une jubilation pour moi d’arriver à révéler devant une caméra quelqu’un qui n’est pas professionnel. Tout le monde ne peut pas être bon devant une caméra, mais quand ils le sont, ils apportent une vérité désarmante qu’aucun acteur, en fait, ne peut atteindre. J’ai toujours pensé aussi qu’ils étaient des partenaires formidables pour les autres acteurs, parce qu’ils ne peuvent pas tricher, être dans leurs tics ou leur technique, sinon ils sont battus. Je crois qu’il y a cette vérité, et je continue à prendre toujours au moins une moitié de non-professionnels dans les métiers techniques, les infirmiers ou les infirmières dans ce film-ci, ou les éducateurs dans le cas de La Tête haute. »

Leçon de vie

Une formule payante en tout état de cause. Si De son vivant ne prétend nullement reproduire le réel, il n’en émane pas moins un puissant sentiment de vérité, à laquelle contribuent aussi bien la justesse de ses comédiens aguerris -Benoît Magimel est exceptionnel- que la présence de non-professionnels, au premier rang desquels le docteur Sara en qui l’on serait enclin à voir un acteur né. « Il a des aptitudes, c’est évident, mais je ne veux pas enlever non plus le fait qu’il a énormément travaillé, et qu’on a beaucoup travaillé ensemble pour l’amener à faire ce qu’il fait dans le film. Mais c’est un portrait extrêmement fidèle de lui, je l’ai écrit en collant vraiment à son personnage, parce que c’est quelqu’un d’exceptionnel, et que j’avais envie de l’incarner tel que je l’ai rencontré. Je voulais que le public puisse avoir la chance de le rencontrer tel qu’il est. »

Une expérience peu banale, assurément, tant par le regard que le médecin porte sur la fin de vie, que par l’attention dont il encadre patients et accompagnants. Si bien d’ailleurs qu’Emmanuelle Bercot confesse en être sortie bouleversée. « Mon regard sur la maladie et la mort a changé, pas tant au fil de l’expérience du film qu’au fil du temps que j’ai passé avec ce médecin, cette personne et sa vision de la vie. Sa façon de transmettre l’importance de vivre jusqu’au bout le mieux possible au lieu, quand on se sait condamné, de commencer à mourir petit à petit. Je pense que c’est une énorme leçon. » Et de conclure: « Il y a des scènes un peu emblématiques dans le film avec ce qu’il conseille à Benoît de faire pour partir plus en paix, et je crois que j’y repenserai quand je serai confrontée à la mort de mes proches, ou quand ce sera mon tour. Il est évident que je me sens un peu soulagée face à cette tragédie qui nous attend tous et par rapport à la façon dont je pourrais l’appréhender. Je l’appréhenderai sûrement beaucoup moins violemment que si je n’avais pas rencontré ce médecin. Et j’espère que les gens qui verront le film -c’est le cas de ceux qui l’ont déjà vu- pourront aussi en bénéficier. Je ne dis pas que, tout d’un coup, on voit la mort en rose, mais ça aide quand même, je trouve, à voir les choses d’un peu plus haut, un peu plus paisiblement, avec moins de peur… »

Les films vous choisissent

Retour avec Benoît Magimel sur son expérience de De son vivant, son troisième film avec Emmanuelle Bercot.

Emmanuelle Bercot:

Actualité chargée pour Benoît Magimel, coup sur coup à l’affiche d’Amants, le thriller de Nicole Garcia, et de De son vivant, le mélodrame médical d’Emmanuelle Bercot. Des retrouvailles dans un cas comme dans l’autre, l’acteur ayant déjà tourné avec la première dans Selon Charlie, et renouant avec la seconde après La Tête haute et La Fille de Brest. « Aujourd’hui plus encore qu’hier, il est essentiel pour moi de travailler avec des gens que j’aime, soupèse-t-il, alors qu’on le rejoint dans le Village du festival dressé sur la Grand-Place d’Arras. Cela a du sens de retrouver quelqu’un, d’être sollicité de nouveau, c’est un geste d’affection, d’amitié. Se sentir aimé de cette manière-là est merveilleux. Quand un grand metteur en scène comme Claude Chabrol me propose trois films, c’est extraordinaire, cela me donne le sentiment d’avoir un peu de talent et me rassure, c’est gratifiant. Et c’est un encouragement à faire toujours mieux, surtout quand les rôles varient, quand on vous imagine chaque fois dans des partitions différentes. J’ai eu le sentiment, avec Emmanuelle Bercot, qu’elle avait envie de m’offrir un rôle magnifique. »

Faire les choses autrement

De son vivant, la réalisatrice confie l’avoir entrepris mue notamment par le désir de se colleter avec un mélodrame. Mais aussi de retravailler avec Catherine Deneuve et Benoît Magimel, qu’elle distribue dans les rôles d’une mère et de son fils foudroyé par un cancer ne lui laissant que quelques mois à vivre. Un rôle chargé, que le comédien a vécu comme un cadeau, même s’il ne s’est pas engagé sans appréhensions. « Parfois, les films vous choisissent, parce qu’un metteur en scène qui ne connaît rien de votre vie va vous proposer un rôle et une histoire résonnant avec vous et ce que vous traversez dans votre existence personnelle. Comment peut-on deviner cela? C’est un mystère. Là, Emmanuelle a écrit ce rôle pour moi, et forcément, je me suis dit: « J’ai 47 ans, je suis fumeur, il va m’arriver quelque chose ». On se raconte des trucs, on est superstitieux, on somatise, c’est très curieux, ce métier. J’ai beaucoup appréhendé cela, j’étais très mal à l’aise quand on a commencé le tournage, j’avais vraiment l’impression que cela allait me tomber sur le coin de la gueule. On a fait la première partie du tournage, on a dû s’arrêter, et quand on a repris sept ou huit mois plus tard, j’étais devenu quelqu’un d’autre, parce que j’avais survécu en fait. J’étais en bonne santé, et j’ai tourné de manière extrêmement légère. »

Ce n’est d’ailleurs pas le seul changement qui se soit opéré en Benoît Magimel, qui constate aussi combien ce film et ce personnage auquel il s’est identifié « corps et âme »« la seule manière de jouer un homme à qui on annonce qu’il est atteint d’une maladie incurable, c’est d’être le plus sincère possible »– ont pu modifier le regard qu’il portait sur la maladie et la mort. « C’est ce que raconte le film. C’est un film sur la vie. Un homme est condamné par un cancer injuste: une fois qu’on l’a accepté, après la colère, après l’injustice, qu’est-ce qu’on fait du temps qui nous reste, comment va-t-on le gérer? Quelles sont les priorités? Que va-t-on laisser derrière soi? Est-ce qu’on règle un peu les choses? C’est ce que propose ce médecin, le docteur Sara, de nettoyer le bureau de sa vie. Aujourd’hui, je sens que je vois la maladie autrement, et je regarde les malades autrement. C’est un sujet tellement tabou, ce film, je le prends presque comme un guide, un mode d’emploi. Ce n’est pas un film réaliste, parce qu’il s’agit de la méthode de ce médecin, avec qui je ne suis pas d’accord à 100%, et qui n’est pas représentative du monde hospitalier tel qu’on le connaît. Mais c’est une possibilité de faire les choses autrement… »

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