Critique

[Critique ciné] Fête de famille, soupe à la grimace

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

COMÉDIE DRAMATIQUE | Un banal repas de famille tourne au très délicat règlement de comptes devant la caméra en quête de malaise de Cédric Kahn.

Le film de famille est un genre en soi, que Cédric Kahn (L’Ennui, Roberto Succo, La Prière) choisit aujourd’hui d’aborder de la manière la plus frontale qui soit, typologie des personnages comprise. Soit, le jour de l’anniversaire d’Andréa (Catherine Deneuve, étonnamment en retrait), matriarche qui tire les ficelles mais cultive un sens certain du déni, un méli-mélo choral impliquant le retour de sa fille aînée Claire (Emmanuelle Bercot, sur le fil), personnage instable aux tendances psychotiques, aux côtés de ses frères Vincent (Cédric Kahn lui-même, qui fait un peu son Bacri), gentil toutou friqué flanqué de sa femme et ses enfants, et Romain (Vincent Macaigne, fidèle à lui-même), pseudo-artiste loser venu présenter sa nouvelle conquête. Évaporée dans la nature depuis trois ans en laissant derrière elle son adolescente de fille, Claire est venue réclamer très sèchement son dû, démarche qui augure d’une possible mise en vente forcée de la maison familiale. « Aujourd’hui c’est mon anniversaire et j’aimerais qu’on ne parle que de choses joyeuses« , annonce Andréa tout sourire. C’est évidemment mal barré…

Mises en abyme

Film-gigogne à plus d’un titre, Fête de famille multiplie les récits dans le récit, petits miroirs grossissants qui fonctionnent comme autant de mises en abyme. C’est d’abord cette pièce de théâtre tout sauf innocente qu’inventent les jeunes enfants et qui reflète limpidement, par le prisme à peine déformant de l’imaginaire, le naufrage annoncé au coeur duquel sont appelés à se débattre leurs oncles, tantes, parents et grands-parents. C’est ensuite ce film documentaire et cathartique que tourne Romain en pleines retrouvailles houleuses. C’est encore le personnage de Claire qui lit Une vie de Maupassant dans sa baignoire, soit un destin de femme traversé par le désespoir, les situations financières délicates et la vente d’un domaine. Ce sont enfin surtout deux chansons mélancoliques noyautées autour de l’idée de l’amour, concept éternel aux contours incertains qui continue vaille que vaille de relier les uns et les autres. Véritable hymne de la smala emmenée par Andréa, L’Amour, l’amour, l’amour de Mouloudji nous dit: « L’amour met la nuit un bonnet / Et le jour porte un masque / Qui veut que l’on grimace. » Tandis que Mon amie la rose de Françoise Hardy nous rappelle plusieurs fois qu' »On est bien peu de chose. » Avant de conclure: « Moi j’ai besoin d’espoir / Sinon je ne suis rien. »

L’espoir promis par le film de Kahn est fragile. Entre secrets, mensonges, folies et traîtrises, le bateau familial tangue avant même la tempête. Très vite, les moments de rire et de joie cèdent la place au malaise et aux violents crevages d’abcès où les excès malades empruntent des accents singulièrement hystérisants. Dans son exécution, l’affaire, volontairement théâtralisée et très dialoguée, prend une tournure souvent fort inégale: particulièrement naturel et fluide dans le ton comme dans le jeu dans ses meilleurs moments, le film privilégie trop souvent des rebondissements artificiels et peu incarnés où l’argent, plus que jamais le nerf de la guerre, pourrit tout. Ou presque. On est bien peu de chose, en effet…

De Cédric Kahn. Avec Emmanuelle Bercot, Catherine Deneuve, Vincent Macaigne. 1h41. Sortie: 04/09. ***

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