Bouli Lanners, impressionnant chef des urgences dans Hippocrate: « La nouvelle saison se noie dans l’actualité »

Olivier Brun (Bouli Lanners), chef des urgences, chef de guerre sans états d'âmes.
Nicolas Bogaerts Journaliste

La deuxième saison d’Hippocrate, série hyperréaliste de Thomas Lilti, plonge plus avant dans les plaies de l’hôpital public et de ses soignants et fait écho au crash du Covid. En chef des urgences, un impressionnant Bouli Lanners.

L’hôpital Raymond Poincaré prend l’eau. Littéralement. Victime d’une rupture de canalisation, le service des urgences trouve refuge en médecine interne. Déjà débordés, Alyson (Alice Belaïdi), Hugo (Zacharie Chasseriaud) et Chloé (Louise Bourgoin) sont dépêchés sous les ordres du chef des urgences, Olivier Brun, solide gaillard qui impose sans ambages son style et sa physicalité. Bouli Lanners, magistral, prête son physique imposant, son regard perçant, ses gestes précis et sa voix claire à ce personnage qui tient la baraque contre vents et marées. Central dans cette deuxième saison, excellant à nous montrer la souffrance et l’épuisement d’un hôpital public laissé en pâture aux lois de la rentabilité, Bouli nous raconte comment lui et ses partenaires se sont pris en pleine face la crise du Covid. De quoi donner encore plus de véracité -s’il en fallait- à cette série qui métabolise les maux d’une société en global burn-out. Rencontre.

Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter la proposition de Thomas Lilti de rejoindre la nouvelle saison d’Hippocrate?

Je n’ai vu la première saison que quelques jours avant de rencontrer Thomas. C’est en parlant avec lui que je me suis rendu compte à quel point il connaissait le sujet, à quel point il était investi. N’ayant jamais fait de série, j’avais en tête le cliché des tournages où il faut toujours aller vite, bâcler parce qu’on n’a jamais le temps. Thomas, au contraire, prend le temps et ne lâche jamais le morceau. Hippocrate est vraiment une série d’auteur et Thomas ne fait pas que maîtriser son sujet, il l’incarne. J’ai rarement vu ça.

Par rapport à votre expérience dans le cinéma, c’était différent en termes de construction de personnage?

Sur Hippocrate, on ne reçoit pas tout le scénario en un coup, juste les deux ou trois premiers épisodes parce que le reste est en écriture. C’est quand même très particulier mais le résultat, c’est que ton jeu évolue en même temps que ton personnage, à mesure que l’écriture avance. Thomas, de son côté, maîtrise tout. Il nous fait tourner en gardant la chronologie en tête et peut régler des paramètres de jeu pour que ce soit compatible avec ce qu’il a prévu après. Le tournage était aussi intense que celui d’un film d’auteur. C’est quand même environ 126 jours de tournage, sans compter les interruptions liées au Covid. C’est simple: on a été immergés dans cet hôpital entre le mois de janvier et le mois de novembre 2020. C’est très long.

Vous replongerez volontiers dans ce type d’expérience?

J’ai bien aimé la longue immersion que demande le format série. Je suis prêt à en refaire, mais pas du tout en tant que réalisateur par contre. Ce serait trop long et trop compliqué. C’est d’ailleurs marrant de voir comment l’approche du spectateur évolue. C’était déjà le cas avec le cinéma au moment de son arrivée sur les plateformes. Je suis un grand bouffeur de séries au départ, mais le genre s’est décuplé et le Covid a encore accéléré le processus. Il va y avoir un avant et un après dans la manière d’écrire, de filmer les histoires et de les diffuser. Comme comédien, si Thomas fait une troisième saison, je signe. Même si je sais que ça va de nouveau être très dur. Nos conditions de tournage étaient particulières, avec tout un protocole Covid dans sa deuxième phase, qui était très difficile à appliquer.

Réalisateur et médecin engagé, Thomas Lilti (au centre) dépeint l'hôpital publique, entre manque de moyens et débordement pérpetuel.
Réalisateur et médecin engagé, Thomas Lilti (au centre) dépeint l’hôpital publique, entre manque de moyens et débordement pérpetuel.

Plongé en milieu hospitalier, vous avez été témoin du choc Covid. Cette nouvelle saison entre-t-elle d’autant plus en résonance avec la crise du secteur de la santé?

La nouvelle saison se noie dans l’actualité. On travaillait dans une aile désaffectée de l’hôpital Robert Ballanger, dans la banlieue de Paris, à Aulnay-sous-Bois. Il nous suffisait de passer une porte battante pour être en connexion avec les soignants. Il n’y avait pour ainsi dire pas de frontière. On voyait arriver le ballet des ambulances, des malades. Thomas est même retourné en service Covid pour aider ses camarades. Il y avait pas mal d’infirmières et infirmiers sur le tournage qui jouaient les figurants ou nous encadraient. J’avais une infirmière urgentiste attitrée qui me suivait pour les gestes médicaux et me tenait au courant en permanence de ce qui se passait de l’autre côté des portes battantes. On était connectés à la réalité, comme sous perfusion. Ça m’a touché parce que je suis quand même un petit peu hypocondriaque et pas dingue des hôpitaux. Du coup, je me suis retrouvé comme en territoire ennemi durant un an, à vivre la réalité de ceux qui y travaillent. Et ça m’a profondément marqué. Ce tournage ne m’aura pas laissé indemne.

Dans ce qu’elle montre de l’hôpital public, son manque de moyen, son débordement perpétuel, Hippocrate est une série engagée?

Oui, absolument. Elle corrobore complètement la manière dont j’envisage, vois et critique parfois la société. Ce sous-financement des soins de santé est amorcé depuis des années déjà. Ça fait partie d’un processus qui touche plein d’autres domaines, jugés pas rentables. Or, il y a des endroits qui ne doivent pas être rentables et qui ne peuvent pas être rentables. Résultat de cette politique? Quand on en arrive à des crises comme celle que nous vivons, on est immédiatement débordés. Les hôpitaux ne peuvent pas absorber la masse de malades donc on bloque tout: les soins, la culture, l’Horeca, les commerces. La catastrophe économique pointe derrière la catastrophe humanitaire parce que ça a été mal géré, qu’il y a eu un défaut de prévoyance et de grosses erreurs en début de pandémie. On ne peut plus aujourd’hui être dans une pensée consumériste à tous les étages qui, comme on le voit, génère de la mort. Ce qui se déroule sous nos yeux n’est pas anodin. Je suis très fier d’avoir pu participer à cette série. Et j’aime bien me dire que mon métier de comédien, souvent assimilé à un métier de branleur, a du sens. Et ça c’est important.

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Au coeur du scénario d’Hippocrate, les soignants peinent à assurer leur mission, honorer leur serment puisqu’eux-mêmes sont en souffrance. Thomas Lilti a-t-il voulu filmer cette souffrance dans la chair?

Le constat est dur mais il était temps de le faire. Beaucoup de gens qui souffrent de la crise du Covid et de ses répercussions ne se rendent pas compte de la pression qui est exercée sur le personnel hospitalier au quotidien. Il y a énormément de suicides, de dépressions nerveuses, de cas d’anorexie chez les internes. C’est toute une profession qui est en souffrance parce que l’outil est abîmé. Or, quand on y songe, il y a des probabilités que chacun d’entre nous passe un jour ou un autre par l’hôpital. Les gens ne se rendent pas compte de ça. Tout l’art de cette série est de ne pas être dans la démonstration mais de nous plonger dans la chair des personnages, des internes mais aussi de tous les petits rôles, les figurants. C’est de là qu’émerge le propos, la critique, de cette tranche de vie forte et absolument émouvante. Je prends toujours du recul au moment du résultat final parce que je n’aime pas me voir, mais là j’ai regardé la saison et j’étais complètement pris dans le truc, ça m’a terriblement touché.

Le second épisode montre avec un réalisme froid l’exercice du tri des patients, les cotes attribuées en fonction de la gravité, l’humain qui disparaît derrière le protocole. Le tout orchestré au millimètre par Brun. A-t-il fallu une grande préparation pour chorégraphier ces gestes précis, se mettre en bouche la terminologie et ce qu’elle recouvre de drame?

J’appréhendais beaucoup cette scène-là parce qu’effectivement on doit assimiler non seulement un langage mais aussi une démarche. Pour le rôle du docteur Revol dans Réparer les vivants de Katell Quillévéré, j’avais été en immersion à l’hôpital Cochin et à la Pitié- Salpêtrière. Je me suis dit en démarrant Hippocrate qu’on allait faire également au moins un mois de préparation. Mais que nenni! On a directement commencé et Thomas nous aiguillait. Toute la chorégraphie liée aux gestes techniques, on a dû l’apprendre sur place. C’est pour ça qu’il y avait de vraies infirmières parmi les figurantes pour corriger les choses au fur et à mesure. On devait assimiler au jour le jour les gestes techniques posés par un médecin. Et avant tout ça, tout ce jargon médical à emmagasiner -du chinois pour moi. J’avais beaucoup d’appréhension au moment de tourner parce que mon personnage devait rester dans un rythme d’urgence, être toujours en mouvement, mais je ne pouvais absolument pas bouler le texte car Brun doit rester précis en toutes circonstances.

Rester précis et calme en toutes circonstances...
Rester précis et calme en toutes circonstances…

Vous avez eu toute liberté pour construire Olivier Brun?

Thomas et moi n’avions décidé qu’une chose avant le tournage: il fallait que Brun sorte des clichés du médecin des séries hospitalières. Il fait de la médecine de guerre. Thomas m’a demandé de garder mes tatouages sur la main, m’a conseillé de ne pas aller trop vite, de rester calme, parce que Brun est aguerri au stress et à l’urgence et que quoiqu’il arrive, c’est lui le chef. Une fois que j’ai compris ça, le reste a été tout seul et Brun ne m’a plus quitté pendant un an.

Vos partenaires vous ont-ils aidé à faire évoluer ce personnage qui démarre très haut dans l’énergie, dès sa première scène?

Je savais juste que le personnage allait évoluer lentement jusqu’à dévoiler sa faille en cours de saison. Je pouvais donc me laisser allègrement aller dans l’incarnation de ce chef de guerre sans états d’âme, qui fonce la tête dans le mur parce qu’il n’a pas le choix. On se doute bien que ça ne va pas bien se terminer. Les relations avec les autres actrices et acteurs étaient très intenses. L’année qu’on a passée les uns sur les autres dans des conditions de tournage très dures a créé un lien extrêmement fort qui nous a portés à travers l’épuisement. On a été frappés par la réalité brutale de l’actualité. On a tout de suite compris qu’on faisait quelque chose qui collait parfaitement à la situation de l’hôpital, que ce soit en France ou en Belgique. Même la fin de la série a été écrite en fonction de l’actualité.

Dans toute cette agitation, il y a aussi des moments de silence, des élans interrompus, beaucoup de ruptures, comme pour mieux exprimer le rythme cassant du travail. C’était un choix de Thomas Lilti?

Il filme chaque scène en multipliant les plans, utilise deux ou trois caméras en permanence, avec des focales différentes. Ce qui lui permet, au montage, d’avoir énormément de choix. Il peut aller puiser dans cette matière très riche beaucoup de silence et du rythme aussi, à souhait. Cette manière de découper très fort les séquences, c’est aussi sa force. Tant que la séquence n’est pas optimale à ses yeux, on recommence. Il ne lâche jamais le morceau. Pas une seule fois on a quitté le plateau en se disant « Tiens, c’était pas terrible aujourd’hui ». Tant que Thomas n’était pas content, on recommençait le ballet. Rien n’étais jamais acquis d’un jour à l’autre et chaque journée réservait sa surprise ou son défi. Du coup, la série traduit fidèlement, je pense, la réalité de l’hôpital public, avec ses patients qui luttent quotidiennement pour survivre et ce personnel des urgences qui est face à la mort tous les jours, décide tous les jours de qui va vivre, qui il faut débrancher, et dans des conditions de travail horribles. Ce sont des gens qui font des années et des années d’études et de spécialisation mais doivent suivre des protocoles, et qui rentrent le soir chez eux avec un bagage émotionnel énorme. C’est vraiment une honte. La série parle de tout ça avec un tel réalisme. D’ailleurs, la première scène démarre par l’inondation du service après qu’une canalisation mal entretenue a pété. Et qu’est-ce qui s’est passé il y a quelques semaines à l’hôpital d’Angers? Exactement la même chose!

Hippocrate, saison 2: série créée par Thomas Lilti. Avec Louise Bourgouin, Bouli Lanners, Alice Belaïdi. Disponible sur Be Séries à partir du 08/05. ****

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