Adeel Akhtar: « J’ai mis beaucoup de moi dans ce personnage »

Adeel Akhtar a trouvé grâce à Clio Barnard l'un de ses meilleurs rôles. © GETTYIMAGES
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

L’acteur britannique excelle en cabossé de la vie qui se voit offrir une seconde chance dans Ali & Ava, le nouveau long métrage de Clio Barnard (The Selfish Giant). Portrait.

Les fans d’Utopia (2013-2014), série anglaise furieusement originale aux allures de thriller conspirationniste, n’ont bien sûr jamais oublié cette scène de torture intenablement culte dans laquelle Wilson Wilson, l’irrésistible personnage de geek survivaliste interprété par Adeel Akhtar, voyait son bourreau lui frotter les yeux avec du piment, du sable puis de l’eau de Javel, avant de l’énucléer à la petite cuillère. Ce rôle a fait beaucoup pour la reconnaissance internationale de l’acteur. Tout comme celui de l’extrémiste musulman naïf et idiot qui se faisait sauter en plein champ dans l’hilarant long métrage Four Lions de Chris Morris (2010).

Né à Londres au tout début des années 80 d’un père pakistanais et d’une mère kényane, Akhtar étudie d’abord le droit avant de décider de se laisser guider par sa passion pour le jeu, qu’il part étudier à New York. Aussi à l’aise dans une veine humoristique que dans un registre plus dramatique, il enchaîne les seconds rôles marquants, au cinéma ou en télé, des deux côtés de l’Atlantique. On l’a vu ainsi notamment aux côtés de Sacha Baron Cohen dans The Dictator (2012), en frangin de Kumail Nanjiani dans The Big Sick (2017) ou encore chez Stephen Frears dans Victoria & Abdul (2017). Plus récemment encore, il donnait la réplique à Jude Law dans l’excellent The Nest, apparaissait dans la deuxième saison de Killing Eve, côtoyait Benedict Cumberbatch dans The Electrical Life of Louis Wain et jouait un rôle déterminant dans la série Netflix tournée en Nouvelle-Zélande Sweet Tooth… Dans tous les cas, sa rigueur d’interprétation, son sens inné du timing et son visage de Droopy à la rondeur bonhomme apportent ce je-ne-sais-quoi qui fait la différence. Mais rarement il avait bouffé l’écran comme dans le nouveau film de Clio Barnard, prestigieuse nomination pour un BAFTA (British Academy Film Award) à la clé.

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La fracture

Dans Ali & Ava (lire la critique), il campe donc Ali, gestionnaire d’immeubles d’origine bengalie basé à Bradford, ville ouvrière du Yorkshire marquée par des tensions interethniques. En ex-DJ local adepte des grands écarts musicaux, il y chérit autant le fulgurant punk priapique des Buzzcocks que la géniale techno qui tabasse de Daniel Avery. Personnage cabossé et intense, il entrevoit la possibilité d’une seconde chance dans sa vie quand il rencontre Ava, avec laquelle il n’a pourtant en apparence pas grand-chose en commun. Rencontré à Cannes l’été dernier, où le nouveau film de Clio Barnard était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, Akhtar raconte: « Je pense qu’Ali est quelqu’un d’assez fracturé, mais sa fracture est aussi sa richesse. J’ai mis beaucoup de moi dans ce personnage. Avec Clio, on s’est rencontrés au festival de Toronto. Je lui avais fait savoir que j’adorerais travailler avec elle, et que je serais déjà très heureux si on pouvait simplement se rencontrer autour d’une tasse de thé. J’étais ravi de pouvoir discuter avec quelqu’un que je respecte et que j’admire à ce point. J’essayais de la faire rire et de l’impressionner… Et puis on s’est revus à Londres, juste pour parler de la vie, de choses et d’autres. C’est seulement à la troisième ou à la quatrième rencontre qu’elle est arrivée avec des transcriptions d’interviews de vraies personnes de Bradford qu’elle avait faites et à partir desquelles elle entendait construire les personnages et l’intrigue de son nouveau film. Elle m’a aussi fait écouter leurs voix et j’ai commencé peu à peu à me glisser dans la peau du personnage que je m’imaginais à partir de là. Elle s’est alors lancée dans le scénario à proprement parler, en le nourrissant en permanence de nos conversations. Elle venait chez moi, regardait ma bibliothèque, me posait des questions sur les livres que je lisais… J’ai compris qu’elle était occupée à collecter des petites choses à gauche à droite qui allaient lui permettre de construire quelque chose de cohérent et d’authentique. »

Ensemble, ils se mettent alors en quête de l’actrice qui interprétera Ava. Leur choix se porte sur Claire Rushbrook, qui a joué notamment chez Mike Leigh et chez Francis Lee. Et là, rebelote: des conversations attentives avec elle nourrissent son personnage et l’ensemble du scénario. Puis le trio enchaîne sur une série de répétitions intensives pour voir ce qui fonctionne ou pas. « C’est un processus lent et patient, mais tellement intéressant et excitant. Nous étions constamment en quête de quelque chose de vrai, en prise sur la vie même. De détails qui font sens et s’ajustent dans un ensemble. En tant que comédien, c’est incroyablement riche et précieux d’être à ce point écouté et impliqué. Je n’avais jamais connu ça auparavant, un tel niveau de collaboration humaine. »

Grand admirateur du travail de réalisatrices britanniques comme Joanna Hogg ou Andrea Arnold, Adeel Akhtar se dit aujourd’hui un peu fatigué par les tournages aux quatre coins du globe et rêve d’enchaîner les films auteuristes autour de Londres, où il est basé. Son prochain rôle? Celui du maharadjah Vikram Shivan Govindan dans Murder Mystery 2, la suite du nanar Netflix avec Adam Sandler et Jennifer Aniston. On ne peut pas gagner à tous les coups…

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