Van Gogh au Borinage: quand Hollywood allait au charbon
En 1955, Kirk Douglas faisait escale dans le Borinage pour le tournage du biopic consacré à Vincent Van Gogh. Mons 2015 exploite ce filon en or. Au programme: copie remasterisée du film de Vincente Minnelli, expo et documentaire d’Henri De Gerlache et Philippe Reynaert.
Vincent Van Gogh tient une place majeure dans les manifestations de Mons 2015, avec en premier lieu la grande exposition Van Gogh au Borinage au Musée des Beaux-Arts. Le séjour borain du génial artiste, alors prêcheur protestant, dura de la fin 1878 à la fin 1880. Le tout récent et très intéressant documentaire d’Henri de Gerlache Le Choix de peindre, Vincent Van Gogh, témoigne de ce moment clé, engagé, solidaire, où le partage d’une existence misérable, celle des mineurs d’une des régions les plus pauvres d’Europe, conduisit tardivement l’évangélisateur vers sa destinée de peintre. Cette expérience rude et décisive est évoquée avec force dans le meilleur film biographique consacré à Van Gogh: Lust For Life de Vincente Minnelli. Une oeuvre formellement superbe et intense humainement, qui offre à Kirk Douglas un rôle qu’il habite avec une impressionnante ferveur. Soucieux de réalisme, le grand cinéaste et la star impliquée dès l’origine dans le projet voulurent tourner sur place. Et c’est ainsi qu’à l’automne 1955, Hollywood débarqua dans le quartier du Pignon, non loin du Grand Hornu! Nettement moins discret que l’arrivée de Van Gogh trois quarts de siècle plus tôt, cet événement a marqué les mémoires de celles et ceux qui le vécurent de près, et dont le bonheur est grand de voir aujourd’hui le film revenir en pleine lumière. Une restauration exemplaire restitue l’oeuvre de Minnelli dans toute sa merveilleuse palette, directement inspirée de celle du peintre (gris-noir pour la période boraine, bleu-vert pour l’hollandaise, rouge pour la parisienne et enfin jaune pour la provençale et la fin du parcours). Ce précieux travail de mémoire, s’appuyant sur les technologies les plus avancées, invite à se replonger dans un épisode des plus singuliers de l’Histoire du cinéma en Belgique…
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Kirk ou Vincent?
Si plusieurs stars de Hollywood sont arrivées près de chez nous (voir nos capsules), le passage de Kirk Douglas est des plus marquants. L’acteur charismatique de Champion (Mark Robson), Ace In The Hole (Billy Wilder), The Big Sky (Howard Hawks), 20.000 Leagues Under The Sea (Richard Fleischer), The Bad And The Beautiful (Vincente Minnelli, déjà) et Man Without A Star (King Vidor) tourne avec les plus grands et jouit d’une immense popularité. Sa fossette au menton est devenue célèbre, son regard de braise fait tourner plus d’une tête. Mais c’est la sienne, de tête, qui fait la différence. Douglas est un acteur qui pense, et qui pense juste. Opposé au Maccarthysme et sa chasse aux sorcières communistes, il est devenu producteur pour rendre possible des films aux idées rebelles, comme le prouveront bientôt Paths of Glory et Spartacus, deux films de Stanley Kubrick où il tient la vedette après s’être battu pour les faire exister. L’idée d’un film sur Van Gogh, c’est lui qui l’a eue en premier. Un ami lui ayant fait remarquer son étrange ressemblance avec le peintre batave, il avait découvert que ses propres origines prolétaires, les conditions de son propre choix de l’art comme chemin d’absolu, donnant un sens à sa vie, l’en rapprochaient aussi. Très vite, les droits d’adaptation du livre biographique d’Irving Stone furent siens…
Le documentaire Hollywood au pied du terril d’Henri de Gerlache et Philippe Reynaert rappelle la genèse d’un projet porté par son interprète principal. Douglas y raconte comment son épouse s’inquiétait de le voir (pour une fois) incapable de laisser son personnage sur le plateau mais « le ramenant avec lui à la maison« . Des images super 8 attachées à l’oubli et quelques photos pas toujours nettes témoignent de la forte présence d’un acteur jugé « charmant, affable » par une (alors très jeune) admiratrice, et qui allait « boire des coups » avec les gens du cru tout en professant un intérêt marqué par la cuisine locale (surtout le vol-au-vent)… Si prendre des images du tournage était absolument interdit par la production, nombreux furent les habitants à figurer dans le film. On puisait dans « un tas de billets posés sur une table » pour leur rétribution, et chacun a ses souvenirs précis. Comme celui de la scène de prêche, filmée (en deux jours, pour deux minutes dans le montage final) à l’étage du Salon du bébé devenu aujourd’hui Taverne du peuple. Le parquet -historique, puisque foulé par Van Gogh lui-même en son temps!- craquait tellement que le responsable du son faillit en devenir dingue…
A hauteur d’Homme
L’émotion est forte quand le lion de la MGM rugit sur l’écran tendu dans la cour du charbonnage du Grand Hornu, pour une projection de Lust For Life offerte aux témoins du docu de Reynaert et de Gerlache. S’y ajoute la précision des commentaires éclairés de Nicola Mazzanti, le conservateur de la Cinematek, qui consacrera de mars à mai une belle rétrospective à Vincente Minnelli. Le cinéma, même hollywoodien, sut épouser la vie comme l’avait fait la peinture d’un Van Gogh incarné au sens le plus fort du mot par un Kirk Douglas habité. Un des figurants se souvient du frisson qui le parcourut en voyant l’acteur, au terme d’une prise suivant l’horreur du coup de grisou, se prendre la tête dans les mains et ramener entre ses doigts serrés des cheveux qu’il venait de s’arracher vraiment, pris par l’intensité de la scène… Au Borinage, la star était redevenue un homme. Mémoire cinéphile et mémoire ouvrière s’épousant autour de cette interprétation géniale, dont chaque image réunie pour les manifestations montoises atteste de singulière façon. En janvier 1886, l’année précédant son arrivée au Borinage, Van Gogh écrivait à son frère Théo: « Nous serons pauvres et nous souffrirons la misère aussi longtemps qu’il le faut, comme une ville assiégée qui n’entend pas capituler, mais nous montrerons que nous sommes quelque chose… » C’est fait.
- Une soirée événement, avec projection en première mondiale de la version restaurée de Lust For Life, avec en prélude le documentaire Hollywood au pied du terril. Samedi 20 février au Théâtre Communal de Mons, dans le cadre du Festival International du Film d’Amour.
- Un coffret Blu-ray/DVD (avec en prime un livre) de Lust For Life en version restaurée, distribué par Warner.
- Une exposition, Hollywood au pied du terril, du 21 février au 17 mai, au Frigo des Anciens Abattoirs, rue de la Trouille 17, 7000 Mons. http://www.mons2015.eu/fr/hollywood-au-pied-du-terril
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