Une note d’espoir dans une année pourrie: « La culture peut inspirer et apporter des réponses »

Fien Troch: "Les gens n'ont pas encore compris que la culture est hyperimportante, non seulement pour survivre mentalement, mais aussi pour l'économie." © Hollandse Hoogte / Alex Vanhee
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Quatre longs métrages dont l’épatant Home, primé à Venise et ailleurs, ont imposé Fien Troch comme l’une des figures de proue du cinéma belge. Elle revient, pour Le Vif, sur une année forcément mouvementée.

Fien Troch reçoit chez elle, à Molenbeek, par un après- midi ensoleillé de novembre, quelques heures avant que l’élection présidentielle américaine ne rende son verdict. L’attente du résultat est inévitablement fébrile, comme en prolongement à ces derniers mois qu’elle qualifie d' »intenses, comme pour tout le monde ». Mi-mars, lorsque la Belgique bascule en mode pandémie et confinement, la cinéaste et auteure, en une bonne dizaine d’années, de quatre longs métrages, (Een ander zijn geluk, Unspoken, Kid et enfin Home, qui lui vaut le prix de la meilleure réalisatrice aux Orizzonti à Venise), planche depuis un long moment sur le scénario de son prochain film, intitulé Holly. L’affaire ne va pas sans mal: « Nico (NDLR: Leunen), mon compagnon, qui est monteur, est très souvent à l’étranger. J’étais en train d’écrire depuis quatre ans, et je ne m’en sortais pas, seule avec deux enfants, en donnant cours et en ayant encore d’autres jobs à côté. Lors du premier confinement, il a dû rentrer en dernière minute de New York, et j’ai pu me consacrer à l’écriture. En deux semaines, j’ai terminé mon scénario. La première quarantaine a donc constitué une bénédiction pour moi, elle m’a aidée à trouver la paix pour mon film. »

Et de poursuivre: « J’ai eu la chance d’être en pleine écriture pendant cette période, parce qu’il y en a d’autres, qui étaient en tournage et ont dû arrêter ou dont les films n’ont pas pu sortir, pour qui c’était une catastrophe. C’était d’ailleurs bizarre d’être confinée et de me sentir équilibrée, tout en sachant qu’il y avait tellement de gens, en dehors de ceux qui étaient malades, pour qui, surtout à Bruxelles, c’était l’enfer de devoir rester enfermés dans un petit appartement. J’étais contente pour mon scénario, tout en étant bien consciente de ce qui se passait autour de moi. » Confinée, mais sans vouloir se cantonner à sa bulle privilégiée pour autant.

Il est plus facile de dire à un ado ce qu’il doit faire pour gagner de l’argent que pour élargir sa façon de penser et comprendre le monde autour de lui.

Vertus de l’éducation

Si la crise a touché tous les secteurs, elle a eu des conséquences dévastatrices pour la culture et, partant, le cinéma. Une situation qui lui inspire des réflexions multiples: « Les gens n’ont pas encore compris que la culture est hyperimportante, non seulement pour survivre mentalement, mais aussi pour l’économie. Dans une société où l’accent est mis sur « travailler, gagner de l’argent et produire », la culture reste perçue comme non nécessaire et destinée à une élite. » La logique exclusive du profit et d’une optique néolibérale n’étant pas une fatalité cependant, Fien Troch croit plus que jamais aux vertus de l’éducation: « Tout commence par la façon dont on élève les enfants. Je vis non loin du Palace, où l’on organise des ateliers pour les écoles, et ça marche. Si, sur vingt élèves, il y en a un qui se dit « je ne savais pas que ça existait, mais c’est intéressant », ça en vaut la peine. Mais c’est compliqué: il est plus facile de dire à un ado ce qu’il doit faire pour gagner de l’argent que pour élargir sa façon de penser, comprendre et connaître le monde autour de lui. Les inégalités sociales n’aident pas: on peut organiser un tas de choses pour stimuler les gens, elles resteront sans effet si leur priorité est de survivre. Or, quand le monde alentour est tellement confus, la culture peut non seulement inspirer mais aussi apporter des réponses à certaines questions. »

Home, dernier film en date de la réalisatrice belge.
Home, dernier film en date de la réalisatrice belge.

Un modèle différent

Que le cinéma sorte fragilisé de ce contexte de crise relève de l’évidence, avec des variables bien entendu, l’économie des blockbusters n’étant pas celle des productions indépendantes, par exemple. « J’avoue être très contente de ne pas devoir faire mon premier film aujourd’hui. L’époque où l’on était à l’affût des expériences de jeunes cinéastes me semble révolue, il faut du concret. Les temps sont plus durs, on ne peut plus se permettre de prendre des risques. »

En tout état de cause, le modèle de demain s’annonce différent, ne serait-ce qu’en matière de diffusion des films, avec la part croissante prise par les plateformes de streaming. « C’est une réalité, et elle ne va pas diminuer, mais je suis convaincue que l’expérience du cinéma survivra. Chacun doit trouver sa place. »

D’autres questions devraient continuer à travailler le microcosme. Celle de la parité hommes-femmes par exemple, que Fien Troch aborde avec nuance: « En tant que femme, je souhaite évidemment que nous ayons les mêmes opportunités que les hommes. Mais je me demande comment stimuler cela sans favoriser ou passer par des quotas. Une solution serait d’avoir une plus grande mixité dans les commissions et dans les postes décisionnels. Même si, quand on lit un scénario, c’est un scénario et, homme ou femme, ça n’a plus d’importance. La question de la mixité est plus large. ça m’inquiète plus que, dans certains milieux défavorisés, devenir réalisateur ou réalisatrice, dentiste ou médecin ne soit même pas une option. » Vaste chantier, en effet…

Quant à l’avenir? « L’histoire nous montre qu’après une période de répression, la créativité augmente. Une période troublante comme celle-ci stimule l’inspiration, peut-être pas maintenant ni demain, mais d’une façon générale. » A suivre…

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