Una mujer fantástica, « un film sur les limites de l’empathie »

Daniela Vega, ou les premiers pas d'une actrice transgenre fantastique... © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Sebastián Lelio nous offre avec Una mujer fantástica un film superbe, prenant et risqué sur la différence. Rencontre.

« C’est un film sur les limites de l’empathie« , lâche le jeune réalisateur chilien né en Argentine. Sebastián Lelio a 43 ans et il mène, avec Pablo Larrain (de trois ans son cadet), la génération du renouveau dans un pays longuement marqué par la dictature de Pinochet (1974-1990) et resté depuis en bonne partie divisé. Son remarquable Gloria, primé voici quatre ans au festival de Berlin, l’avait propulsé sur la scène internationale avec le portrait d’une femme de 58 ans voulant vivre librement ses désirs. Una mujer fantástica fait mieux que confirmer le grand talent d’un cinéaste revenant avec un bonheur communicatif sur le thème de la féminité. Cette fois, la femme qu’il place au centre de son film ne défie pas les conventions par son âge, mais par sa transsexualité. Amoureuse d’un homme plus âgé, qui meurt soudainement, Marina (jouée par la chanteuse transgenre Daniela Vega) se retrouvera seule face à la famille du défunt, qui nourrit envers elle des soupçons et voudrait nier le lien qui l’unissait à Orlando. Tout comme Gloria ne devenait jamais un film à sujet de société (la sexualité du troisième âge), Una mujer fantástica n’est pas un film à message pro-LGBT. Marina n’est pas l’emblème d’une cause. C’est juste une femme qui veut se montrer telle, forte et indépendante, honnête et combative dans l’adversité. Une femme pour laquelle nous développons une empathie singulière, donnant raison à l’affirmation faite d’emblée par Sebastián Lelio.

Électricité

Una Mujer fantástica
Una Mujer fantástica© DR

« Le choix d’un sujet exige quelque chose de très fort, quelque chose d’électrique. Le réalisateur doit être le conducteur de cette électricité, se charger de l’énergie qui nourrira le film!« , s’exclame le cinéaste. « Dans ce cas précis, poursuit-il, j’ai tout de suite vu plein de dangers, de pièges, tant de raisons qui pouvaient faire du film un ratage. Et ça m’a beaucoup excité! Le sujet en lui-même était un formidable défi, qu’il me fallait relever. Je m’en sentais le désir ardent, je me sentais prêt à sauter de la falaise… »

Le rire de Sebastián Lelio résonne en cascade au souvenir de ce sentiment. Il se fait plus doux au moment d’évoquer le choix, pour le rôle de Marina, d’une Daniela Vega n’ayant jusqu’alors aucune expérience d’actrice. « Ce fut très simple, se rappelle-t-il, nous faisions des recherches avec mon coscénariste (Gonzalo Maza, NDLR), et nous avons rencontré trois personnes transgenres. Les connaître, les voir vivre, m’a flanqué une belle baffe, secouant les clichés culturels que je pouvais avoir à leur sujet. Les trois m’ont dit: « Tu dois absolument rencontrer Daniela! » Je ne cherchais pas une actrice, je cherchais une consultante. Mais dès que je l’ai vue, j’ai compris que je ne ferais pas ce film avec un interprète qui ne soit pas une femme transgenre. C’est le premier cadeau que Daniela aura fait au film. Elle a accepté d’être consultante pendant plusieurs mois du processus d’écriture. Une part de moi savait que ce devait être elle, pour jouer le rôle. C’était très organique. Une fois la première version du scénario achevée, j’ai réalisé qu’il était phagocyté par tant de choses qui venaient d’elle. Alors je lui ai demandé si elle voulait être Marina. Elle a lu le script, elle est partie faire la fête durant toute une journée. Et le lendemain, elle a accepté. »

Google spirituel

« Que se passe-t-il quand la personne que vous aimez meurt dans vos bras, et que vos bras sont la pire place où elle puisse mourir parce que vous êtes celle dont on ne veut pas, celle qu’on rejette? » Cette question, déclencheur du choc à l’origine du film, le réalisateur a voulu y répondre de la même manière qu’il travaille avec ses acteurs. « Pendant le tournage, ce ne sont plus les personnages qui comptent pour moi, mais uniquement les êtres humains qui les interprètent. Tout film est un documentaire sur une personne qui joue à « et si »… C’est ça qui me fait vibrer. J’aime les gens, je suis sensible aux gens, aux personnes, pour eux-mêmes, pas pour ce qu’ils peuvent représenter par ailleurs. » Allez vous étonner, dès lors, que Una mujer fantástica ne verse jamais dans le sociologique, et que Marina ne soit pas l’emblème de quoi que ce soit, mais juste une femme. Une femme à qui Lelio nous invite à nous identifier avec sa différence. Le cinéaste réinventant sa mise en scène (si différente du naturalisme de Gloria) en l’infiltrant d’éléments de thriller, parfois quasi hitchcockien. « Le style doit s’adapter au sujet et pas l’inverse, explique-t-il. Je veux placer mon cinéma dans une zone entre fiction assumée et réalité se dérobant à toute falsification. Mes films doivent tous venir d’une place authentique. Ce n’est qu’à partir de là que je peux multiplier les couches, les niveaux de complexité, et créer cet animal polymorphe que j’aspire à faire vivre. Et à faire aimer. »

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Du processus d’empathie et d’identification proposé par ses films, le réalisateur chilien dira qu’il incarne son idée « que le cinéma peut être une sorte de Google spirituel, une grande invention humaine permettant d’étendre les limites de notre expérience vécue. Vous vous asseyez dans le noir et vous vous transportez dans un endroit différent où vous êtes touché, ému, par l’expérience d’un autre être humain, au point de trouver en vous-même des lieux d’empathie dont vous ne saviez pas qu’ils existaient en vous. Vous regardez vivre Marina et vous vous dites: « Tiens! Je pourrais être de son côté! » »

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