Critique | Cinéma

The Son: Hugh Jackman en père désemparé face à la dépression de son fils adolescent

3,5 / 5
Pour interpréter Peter, Hugh Jackman s’est rattaché "aux nombreux conflits, à la peur et à l’impuissance que l’on ressent comme parent". © National
3,5 / 5

Titre - The Son

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Florian Zeller

Casting - Hugh Jackman, Zen McGrath, Laura Dern

Sortie - En salles

Durée - 2h03

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Deux ans après The Father, Florian Zeller adapte sa pièce The Son, un drame intime où Hugh Jackman campe un père désemparé face à la dépression de son fils adolescent.

Auteur et dramaturge à la réputation solidement établie, Florian Zeller signait de fracassants débuts de cinéaste en 2020 avec l’adaptation de sa pièce éponyme The Father. Un film qui, par un tour de force de mise en scène, réussissait à faire ressentir au spectateur les affres par lesquelles passait un homme atteint de démence sénile -Anthony Hopkins, étincelant- en une expérience cinématographique suffocante. Et de glaner deux Oscars dans la foulée, celui attendu du meilleur acteur étant doublé de celui du meilleur scénario adapté.

Après Le Père, voici donc venu le tour du Fils, Zeller ayant à nouveau fait appel à Christopher Hampton pour transposer le texte de sa pièce. L’histoire gravite cette fois autour de la relation entre Peter, un père toujours sur la brèche (Hugh Jackman), et son fils adolescent Nicholas (Zen McGrath), le premier apparaissant très démuni face à la dépression semblant devoir inexorablement aspirer le second. Une matière délicate, au cœur d’un film incontestablement plus classique que The Father, mais pas moins intense pour autant. Et l’objet d’une conversation avec le réalisateur et la star des X-Men à la faveur de la présentation de The Son à la Mostra de Venise.

Il y a d’une part le texte de la pièce, et d’autre part vous, Hugh Jackman, qui êtes père. À quel niveau se fait la rencontre entre ce texte, le personnage et vous-même?

Hugh Jackman: J’ai ressenti un besoin compulsif de jouer ce rôle, sans savoir exactement comment je m’y prendrais. Mais je savais pouvoir me rattacher aux nombreux conflits, à la peur et à l’impuissance que l’on ressent comme parent. J’aimais aussi l’exploration du passé du personnage, et de la manière dont celui-ci influe sur les décisions parentales. Et j’avais toute confiance en Florian pour pouvoir être moi-même et interpréter ce personnage avec honnêteté et vérité, et découvrir des choses sur moi pendant le processus. J’avais confiance dans le fait que nous y arriverions ensemble.

Florian Zeller: Faire un film est un nouveau voyage, le sens découle vraiment du désir que j’ai de travailler avec un acteur. The Son a commencé avec ma rencontre avec Hugh. J’étais au tout début du processus, à me demander qui pourrait bien être cet acteur, et j’ai reçu une lettre où il me disait savoir que je travaillais à une adaptation de cette pièce, avant d’ajouter: “Si tu as déjà un comédien en vue, pardonne cette lettre, mais si pas, j’aimerais que l’on en discute.” J’ai trouvé ça très honnête, tout en étant surpris par l’humilité de son approche. On s’est rencontrés par Zoom, c’était un premier contact au terme duquel on ne devait pas prendre de décision. Mais au bout de 8 minutes, j’ai ressenti quelque chose de très fort et j’ai interrompu la conversation pour dire à Hugh que je tenais à ce qu’il fasse le film, suite à ce qu’il m’avait expliqué. J’ai senti que nous toucherions à quelque chose de profond, par opposition à surjouer les choses ou falsifier les émotions, ce qui était très important pour moi. J’ai eu le sentiment que Hugh allait oser être lui-même, et explorer les peurs le reliant à cette histoire. Nous allions nous y atteler ensemble, pour pouvoir aboutir à quelque chose d’honnête, avec un impact fort. Et Hugh a bien voulu me suivre.

Une tragédie familiale servie par une interprétation millimétrée.
Une tragédie familiale servie par une interprétation millimétrée. © National

En voyant le film, on ne peut s’empêcher de se demander comment ces parents peuvent être à ce point aveugles. Mais après, en y réfléchissant, on se dit que c’était déjà le cas de nos parents. Pensez-vous que, d’une génération à l’autre, la situation reste la même, et les parents sont toujours autant démunis?

F.Z.: Je pense que, quelle que soit la génération envisagée, il est plus compliqué qu’on ne le pense de faire face à ces problèmes quand ils touchent votre fille ou votre fils. Bien entendu, je veux que le spectateur ait envie de secouer Hugh et de lui dire: “Ouvre les yeux”. Mais s’il est à ce point aveugle, c’est parce qu’il est extrêmement difficile d’être confronté à ces problèmes. Et qu’il faut du temps et du courage pour oser se poser la question de ce à quoi l’on a affaire: s’agit-il d’un problème de santé mentale, ou simplement de l’adolescence? Et parfois, nous n’avons pas le temps nécessaire pour prévenir la tragédie, d’où l’ignorance, la honte, la culpabilité et le déni entourant ces sujets. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu faire ce film: pour générer des discussions, et pas pour juger ces gens, mais pour que les spectateurs puissent ressentir ce que c’est d’être sans ressources, de ne plus savoir quoi faire, ce qui fait aussi partie de la condition de parent, et d’accepter que l’on soit impuissant.

H.J.: Et aussi de ne pas comprendre ce par quoi passe cette génération d’ados. C’est facile de dire: “Nous aussi sommes passés par là, voilà comment nous avons fait. Mais beaucoup de choses ont changé avec la pandémie et la crise du Covid qui ont généré une grande anxiété. J’ai lu récemment dans un journal qu’un ado australien sur quatre souffrait de troubles mentaux. Il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à comprendre pour notre génération, parce que c’est une expérience différente. J’apprécie la scène qu’a rajoutée Florian au film où l’on voit le père apprendre à son fils à nager: c’est un moment où il faut encadrer l’enfant, mais aussi le laisser aller, et cette tension essentielle se prolonge à l’adolescence tout en se complexifiant, en particulier lorsque cela implique des considérations liées à la santé mentale.

Avez-vous projeté votre expérience de l’adolescence dans le film?

F.Z.: J’imagine que j’étais un ado tourmenté, mais pour être honnête, si j’ai puisé dans mon expérience, c’est en tant que père plutôt qu’en tant que fils. On ne peut pas faire un film pour raconter sa propre histoire, ça ne suffit pas: The Son n’est pas mon histoire en termes de personnages ou de situations, mais bien en termes d’émotions. Quand on a créé la pièce, j’ai été surpris de voir les réactions des gens qui, après les représentations, partageaient leur histoire, et me disaient comprendre ce dont je parlais en raison “de ma fille, de ma sœur, de mon frère”. C’est là que j’ai réalisé que beaucoup de monde était confronté à des problèmes de santé mentale, tout en se retrouvant seuls, et en ignorant parfois de quoi il retourne. D’où ma volonté de lancer des discussions. Il ne s’agissait pas de parler de moi, mais de partager des émotions qui me semblaient devoir l’être.

Florian Zeller
Florian Zeller © getty images

H.J.: Je me suis canalisé par le jeu. Je ne suis devenu acteur professionnel qu’à 26 ans, mais j’ai toujours joué. Nous montions des pièces, et ça me donnait le sentiment d’être dans ma tribu. J’étais le plus jeune dans ma famille, les autres étaient déjà partis, et c’est comme ça que j’ai pu canaliser une bonne partie de mes angoisses.

Pourquoi avoir choisi de situer le film dans un milieu aisé?

F.Z.: Il était important, à mes yeux, de situer cette histoire dans cette famille pour montrer que ça peut arriver à tout le monde. Peu importe que vous viviez à New York, à Londres, en Italie ou en France, ça peut arriver à chacun d’entre nous, et dans les familles privilégiées également. Cela n’a rien à voir avec ça, et il est bon de se le rappeler, on est juste sans ressort face à une situation qu’on ne connaît pas plus qu’on ne la comprend. On aurait pu avoir un père alcoolique ou une famille rencontrant des difficultés sociales, ce qui aurait pu être une manière d’expliquer la dépression, mais je trouvais important de ne pas l’expliquer. Elle arrive, sans que l’on sache pourquoi, et c’est une composante de beaucoup de problèmes de santé mentale: il y a un mystère, une impossibilité d’expliquer exactement le pourquoi. Même si on va essayer de le faire et de trouver des gens à blâmer.

The Son est très différent de The Father en termes de mise en scène. Quels étaient les défis à relever pour raconter cette histoire?

F.Z.: C’est différent, parce que dans The Father, l’idée était de placer le spectateur dans une position spécifique, comme s’il se trouvait dans le cerveau du personnage principal, en train de faire l’expérience de ce que peut représenter le fait de perdre ses repères. Pour The Son, il ne s’agissait pas de s’insinuer au sein de ce cerveau plongé dans la douleur, mais de rester à l’extérieur pour essayer de comprendre qu’il n’y a pas de réponse. Et de jouer avec la frustration qui en découle, parce qu’il s’agit avant tout de l’histoire d’un père prévenant qui fait tout ce qu’il peut pour aider mais n’y arrive pas faute d’avoir les clés pour ouvrir la porte. Je n’avais donc pas besoin de complexité dans la mise en scène, mais parfois, la simplicité est la plus difficile à obtenir. Je voulais une narration très linéaire, comme dans une tragédie. Dans une tragédie, on sait où l’on va: les personnages peuvent se battre avec les dieux ou le destin, celui-ci ne s’en accomplit que plus sûrement encore. Et c’est également l’arc que je souhaitais modeler pour ce film parce que j’ai la conviction que l’on peut prévenir les tragédies, certainement dans un cas comme celui-ci.

The Son

Deux ans après avoir brillamment porté sa pièce The Father à l’écran, Florian Zeller s’attaque aujourd’hui à The Son. Au cœur de l’action, on trouve cette fois Kate (Laura Dern) et Peter (Hugh Jackman), un couple divorcé, et leur fils Nicholas (Zen McGrath), 17 ans et un mal-être criant. Lequel, en décrochage scolaire virtuel et ne s’entendant plus guère avec sa mère avec qui il vit, demande à venir s’installer chez son père, sa jeune compagne Beth (Vanessa Kirby) et leur bébé. Si le grand ado donne utilement le change, semblant reprendre goût à l’existence, il apparaît rapidement qu’il n’y a là qu’une façade, Nicholas s’enfonçant dans une spirale dépressive. Pour laisser son père, tiraillé entre sa carrière de sémillant avocat new-yorkais et sa famille, aussi démuni que pouvait l’être sa mère…

À travers cette relation père-fils, c’est du sujet délicat de la dépression adolescente et son pendant, l’impuissance parentale, que s’emparent Florian Zeller et son coscénariste Christopher Hampton. Un thème qu’ils abordent avec doigté et justesse, pour en esquisser toute la complexité. Objectivement plus convenu que The Father, dont l’audace de la mise en scène immersive avait marqué les esprits, The Son n’en reste pas moins un drame d’une appréciable densité. Un film qui remue en profondeur, tragédie familiale servie par une interprétation millimétrée semblant devoir se refermer inexorablement sur ses protagonistes tout en accompagnant durablement le spectateur…

De Florian Zeller. Avec Hugh Jackman, Zen McGrath, Laura Dern. 2 h 03. Sortie: 01/03. 7

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