Sympathie pour le diable: dans le feu de Sarajevo

Bonnet invariablement vissé sur la tête, Niels Schneider incarne le reporter de guerre trompe-la-mort Paul Marchand devant la caméra de Guillaume de Fontenay.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

En portant à l’écran le récit que le reporter Paul Marchand a fait du siège de Sarajevo, le Québécois Guillaume de Fontenay réussit un drame de guerre au réalisme cru, qui ose l’ambivalence et la complexité morale. Rencontre.

Quatorze. C’est le nombre d’années qu’il aura fallu au Québécois Guillaume de Fontenay pour réunir les moyens nécessaires afin de donner vie à Sympathie pour le diable, son premier film, adaptation du livre éponyme du reporter de guerre français Paul Marchand. Pas vendeur, trop éloigné de nous, le récit sans concession de ce correspondant tête brûlée pour les journaux, radios et télévisions francophones d’Europe et du Canada -dont la RTBF- au coeur même du plus long siège de l’Histoire moderne, celui de Sarajevo, de 1992 à 1994? Pour Guillaume de Fontenay, son contexte résonne pourtant aujourd’hui plus que jamais avec l’actualité mondiale. « Paul disait que les guerres ne sont rien d’autre qu’un peu de bruit sur beaucoup de silence. Et ce silence, c’est notre apathie collective face à ces conflits qui se répètent, mais aussi face à l’exacerbation des nationalismes. À bien des égards, la Bosnie est la mère des guerres actuelles. En 1992, j’avais 23 ans. Et je m’en suis pris plein la gueule avec ce premier conflit médiatisé en direct. Ça m’a énormément choqué de voir cette population innocente prise en étau sans que personne ne lève le doigt pour réagir. Quand, plus tard, j’ai découvert Sympathie pour le diable, j’ai d’abord failli refermer le livre pour de bon tellement Paul m’emmerdait (sourire) . Je le trouvais grande gueule, prétentieux. Pour finalement me rendre compte que, derrière ces masques, il y avait un homme blessé doté d’une plume extraordinaire, d’une intelligence remarquable et d’une sensibilité à vif. »

Guillaume de Fontenay
Guillaume de Fontenay© DR

Tous des frères

Primo-réalisateur montréalais passé par la pub et le théâtre, de Fontenay envisage d’abord de monter Sympathie pour le diable sur les planches, avec « des gravats de terre, une voiture fumante, une poupée trépanée et Paul qui déclame devant un mur de téléviseurs diffusant des nouvelles du monde« , avant de comprendre que le cinéma était le médium qu’appellait naturellement le vécu de Marchand. Ce film, le Québécois aurait voulu l’appeler Ciao Brother, soit l’une des formules préférées du journaliste trompe-la-mort. Ce qui aurait résonné comme un ultime salut à Marchand, suicidé par pendaison il y a dix ans de cela, mais aurait aussi permis à de Fontenay de souligner à quel point tout conflit est fratricide une fois mise à plat la construction des identités politiques et religieuses. « À l’arrivée, j’ai préféré, par fidélité morale, conserver le titre du livre, qui est très ambigu. Durant la guerre, Paul se disait immortel parce qu’il était sous la protection des Rolling Stones, dont le Sympathy for the Devil résonnait comme un tube dans l’habitacle de sa vieille Alfa quand il fendait la ville à toute berzingue sous le tir des snipers. Mais en réalité, c’est surtout que tous les murs de Sarajevo étaient alors tagués d’un « Welcome to hell ». Bienvenue en enfer. Or, si c’était l’enfer, Paul avait une sympathie pour le diable, parce qu’il était chez lui en enfer. Il disait toujours qu’un journaliste se doit d’être à l’endroit exact où il lui est interdit d’être. C’est cette scène du film où on le voit foncer vers un obus avec son photographe, alors que la réaction normale serait plutôt d’aller de l’autre côté. Pourquoi suivre les obus? Pour être le premier sur place. Pourquoi être le premier sur place? Parce qu’il faut que l’image soit suffisamment choc pour réveiller l’opinion. Les images font partie de l’Histoire et participent de son écriture. C’est pour ça qu’il était important pour moi de la revisiter à travers un film. »

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À tombeau ouvert

Personnage flamboyant et provocateur, Paul Marchand sert de fil d’Ariane iconoclaste au cinéaste pour amener le spectateur à vivre ce drame humain de l’intérieur. Convaincu qu’il est toujours plus intéressant d’exposer les faits dans toute leur complexité que de céder aux sirènes du manichéisme facile, Guillaume de Fontenay livre un objet de fiction jamais sentencieux, qui rappelle souvent dans sa forme celle du reportage journalistique. Le réalisateur en parle lui-même comme d’un « film brut, pas fabriqué« . Mais cette approche très factuelle de l’Histoire se double d’une dimension plus sensorielle, où le refus catégorique du lyrisme favorise l’immersion pure au coeur de l’action. « Il était primordial pour moi de travailler un point de vue cru et assez neutre sur la violence, jusque dans le grain même de l’image. D’où cette nécessité de tourner en hiver, pour tuer les couleurs vives et capter cette lumière diaphane typique de la ville, cette espèce de brouillard qui s’y accroche en permanence. Au niveau de la réalisation, j’ai choisi de rejeter la logique classique du champ-contrechamp pour privilégier un langage plus organique, plus vivant. C’est aussi ce qui m’a amené à opter pour un format 4/3, qui était le format journalistique de l’époque, avec cette contrainte que les personnages quittent très rapidement le cadre. Il y a une forme d’urgence qui s’installe de par la nature même de ce cadre-entonnoir, et puis du filmage caméra à l’épaule bien sûr. Il fallait qu’on sente constamment les personnages sur les nerfs, pris dans un grand rush d’adrénaline. Et donc que les comédiens eux-mêmes soient dans cette énergie-là. Et ça, c’est impensable à maintenir s’il faut commencer à gérer une lumière artificielle ou des champs-contrechamps, avec des breaks récurrents. C’était vraiment une expérience de tournage très radicale.« 

Sympathie pour le diable. De Guillaume de Fontenay. Avec Niels Schneider, Vincent Rottiers, Ella Rumpf. 1h40. Sortie: 27/11. ***(*)

Sympathie pour le diable: dans le feu de Sarajevo

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