Stéphane Demoustier au plus près du réel

Stéphane Demoustier filme les assises sans artifice, plaçant le spectateur en observateur présent à l'audience.
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Stéphane Demoustier filme avec justesse, dans La Fille au bracelet, une énigme criminelle révélant aussi le mystère d’une génération. Rencontre.

La juste distance. Le graal obligé de tout cinéaste épris de vérité humaine. Stéphane Demoustier l’a trouvée d’emblée pour La Fille au bracelet (lire la critique), fascinante descente dans l’enfer quotidien d’une famille attendant le procès d’assises de Lise, 18 ans, accusée du meurtre de sa meilleure amie et placée sous bracelet électronique. Un suspense intense, centré sur un mystère criminel auquel se superpose l’énigme d’une génération que les adultes cherchent à comprendre sans en avoir tous les codes. Ce double propos fut dès le départ au coeur du désir du réalisateur pour un sujet (très) librement inspiré par le film argentin Acusada. Approché par le distributeur français de ce film pour en produire une version adaptée en France, Stéphane Demoustier en a gardé l’anecdote tout en faisant de La Fille au bracelet un projet des plus personnels, dans la forme comme sur le fond. « Si j’ai choisi de raconter ce procès, cette histoire, déclare le cinéaste, c’est parce que ça me permettait de parler de la famille, de cet écart générationnel, voire de cette incompréhension qu’il peut y avoir. Le film dresse le portrait d’une jeune fille, du point de vue de la génération au-dessus. En considérant cette altérité qui fait que mes enfants m’échappent, qu’ils ne m’appartiennent pas. Un constat qu’il faut accepter. Le cadre d’un procès exacerbe tous ces éléments. »

Demoustier développe avec éloquence un propos que son film expose avec une sobriété allusive, sans jamais le moindre didactisme. « À l’âge de Lise, poursuit-il, on a besoin de se détacher des adultes qui nous ont précédés. Et à chaque génération, ce sont les mêmes ressorts humains qui sont en jeu. Ce que cette génération-ci a de nouveau, c’est qu’elle vit avec les réseaux sociaux, ce que nous n’avons pas connu au même âge. Ce médium peut induire une violence qui est importante et dont le film rend compte, sans porter pour autant de jugement. J’ai fait lire le scénario à pas mal de jeunes qui avaient l’âge des protagonistes, pour m’assurer que les situations étaient crédibles. J’avais peur d’avoir un peu forcé le trait, avec la vidéo de sexe partagée surtout. Mais chacun et chacune d’entre eux connaissait quelqu’un à qui c’était arrivé. C’est donc devenu banal, mais cela reste très violent, d’avoir sa vie intime exposée, qu’on soit d’accord ou pas. Le cinéma interroge le monde dans lequel on vit. Impossible de parler de cette génération sans évoquer ça! »

Sans artifice

La mise en images de La Fille au bracelet tend vers une forme d’épure. Rien n’y est jamais souligné. La tension s’impose d’elle-même, sans besoin d’aucun effet. « J’aime les mises en scène quasi invisibles« , explique le réalisateur qui a pris pour référence, avant de tourner son film, Procès de Jeanne d’Arc (1962) signé Robert Bresson. Demoustier a par exemple décidé de « faire vivre au spectateur les scènes de tribunal telles que peut les vivre un observateur présent au procès, sans musique ni mouvement de caméra qui pourraient influencer sa perception des choses ». « Le pari du film est de dire que la parole qui circule dans un tribunal, les silences aussi, sont suffisants en soi. Il n’était nul besoin d’artifice. »

Stéphane Demoustier au plus près du réel

Très pure aussi est l’évidence du tout premier plan de La Fille au bracelet, un plan fixe où l’on voit la famille réunie sur une place, face à la mer, et où arrive la police pour emmener Lise, alors âgée de seize ans et vite devenue la principale suspecte du meurtre tout juste découvert. « On a tourné ce plan quelques mois après le reste du tournage, car il fallait que ce soit l’été. Je l’ai pensé pour qu’il puisse donner un aperçu de ce qu’a été cette famille avant la déflagration de l’affaire. Comme un paradis perdu. Comme si ce plan était le négatif de tout le reste. On y voit tous les possibles, la ligne d’horizon, l’infini. La famille est unie dans le plan, alors qu’après elle va être atomisée, visuellement aussi, par des lignes horizontales ou verticales. Il offre accès au bonheur ordinaire d’une famille avant que tout bascule. Le spectateur la garde en mémoire tout au long du film. Il est libre de l’interpréter, or tout ce qui sera dit au procès relèvera de l’interprétation, justement. Et du principe du doute, qui irriguera tout le film. »

L’humanité

Issu d’une famille éprise de cinéma (sa soeur Anaïs est une actrice talentueuse et connue, qui interprète ici le rôle de l’avocate générale), Stéphane Demoustier n’a réalisé son premier long métrage qu’à 32 ans. Admirateur des frères Dardenne (« Ils ont inventé un langage« ) et de Nanni Moretti, c’est à la vision du film de Bruno Dumont L’Humanité qu’il doit le choc décisif (1). « Ce film a changé mon rapport au cinéma, se souvient-il. Je ne l’ai jamais revu et j’ai énormément souffert en le voyant mais j’étais bouleversé, et le film a laissé en moi une trace durable. J’y pensais et j’y repensais sans cesse. J’avais 21 ans quand je l’ai vu et j’ai pris conscience que le cinéma pouvait avoir une fameuse puissance. Je ne soupçonnais pas qu’il puisse avoir cette force-là, cette profondeur-là, cette épaisseur-là. Je pensais jusqu’alors que ça ne pouvait qu’être le fait des arts nobles, la littérature en tête. C’est ainsi que je suis devenu cinéphile, que j’ai mangé du film avant de m’autoriser à penser que je pourrais en faire moi-même… »

(1) Sorti en 1999, on y suit un policier traquant le meurtrier d’une fillette, et cherchant simultanément des preuves d’humanité dans les êtres qu’il croise.

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