Stéphane Brizé à propos de Hors-saison: « J’avais besoin d’un film réparateur »

Après avoir scruté avec fièvre et âpreté le monde du travail, Stéphane Brizé nous cueille là où on ne l’attendait pas. avec Hors-saison, une histoire d’amour qui a l’élégance d’être drôle.

« Je crois que mon idée, à l’origine, c’était d’écrire l’histoire d’un homme et d’une femme qui se sont aimés, qui se sont quittés, et qui se retrouvent quinze ans après, dans une station balnéaire hors-saison. » Cela résume bien Hors-saison, le nouveau film de Stéphane Brizé, qu’il a co-écrit avec Marie Drucker. Ce que cela ne dit pas, c’est d’abord 
l’incroyable performance d’Alba Rohrwacher et Guillaume Canet, aussi irrésistibles que convaincants, l’élégance de la mise en scène, et l’audace de nos histoires d’amour, celles que l’on vit, et celles que l’on aurait pu vivre.


Une histoire a priori banale, qui s’impose comme un besoin pour le cinéaste, comme la réponse, ou en tout cas une ébauche de réponse à des questions archaïques, ayant surgi pendant le confinement. « Avant même qu’il y ait un début d’histoire, il y avait un désir de douceur, même si on parle de choses qui grattent. Je sors de plusieurs films où les gens se foutent sur la gueule, où il y a beaucoup de colère, de désillusion, et j’avais besoin d’un film réparateur. Parce qu’après ces films, éprouvants, j’ai prix de plein fouet le Covid, comme tout le monde, où l’on a cohabité pendant des mois avec quelque chose de très morbide. Alors je suis revenu aux questions archaïques: l’amour, mais aussi se demander si on est à la bonne place, si on a fait les bons choix dans la vie. Mes personnages sont nés de ça. »

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Cet « hors-saison », c’est un « hors temps », une pause propice à l’introspection, au retour en arrière aussi, ces flash-back sur ces instants de vie où nos choix nous ouvrent un chemin plutôt qu’un autre. Mathieu, star de cinéma, a abandonné sur un coup de tête le plateau de sa première pièce de théâtre, et se réfugie pour une semaine de thalasso qui, espère-t-il, l’aidera à soigner sa dépression. Alice, musicienne sans grande carrière, n’en finit plus de renoncer à ses rêves. Pourtant la parenthèse de leurs retrouvailles est délestée de toute acrimonie. « C’était important qu’il n’y ait pas de règlements de compte entre eux, confie le cinéaste. À leur âge, Alice et Mathieu savent que la colère est vaine, grotesque même. Mais il y a des choses à se dire, importantes. Parce que ces choses qui n’ont pas été dites ou qui ont été mal dites, ça laisse des traces. »

Une lettre d’amour aux acteurs

« J’ai d’abord choisi Guillaume Canet. Je voulais un acteur connu pour jouer un acteur connu, ça permettait que le chemin à faire soit assez rapide pour le spectateur. Il y a quelque chose dans le matériau de Guillaume, ce qui le constitue, qui m’émeut profondément. Il y a une sorte de gravité, une mélancolie, une forme de tristesse même, dont il a déjà témoigné dans certaines interviews. Mais il me touche aussi par ce qu’il met en œuvre pour le dissimuler. C’est quelqu’un qui sourit beaucoup, qu’on voit beaucoup rire. Ce masque, qui est devenu aussi ce qui le constitue, ça me touche beaucoup. Ça tente de dissimuler, selon moi, des peines assez profondes, chez quelqu’un qui n’a pas un rapport simple au monde. Je peux projeter mes propres tourments dans sa mélancolie. »


Face à Guillaume Canet, on imagine qu’il fallait une comédienne qui elle ne soit pas identifiée comme telle par le grand public. La solution, c’était donc sûrement d’aller la chercher dans d’autres cinématographies. Cette perle rare, 
Stéphane Brizé l’a trouvée avec l’actrice italienne Alba Rohrwacher, vue dans les films de sa sœur Alice (Les Merveilles, Lazzaro Felice, La Chimera 
bientôt), mais aussi chez Peter Greenaway, Arnaud Desplechin, Marco Bellocchio, ou il y a quelques années dans le troublant Hellhole du Belge Bas Devos.


« Pour incarner Alice, il fallait quelqu’un qui ne soit si possible pas -trop- connu du public, mais il fallait aussi une grande actrice. Alice a connu beaucoup de renoncements dans sa vie. Et il faut une très grande actrice pour jouer ça, sinon cette femme devient une toute petite chose. Et il fallait croire que cet acteur ait pu être séduit à l’époque, et encore aujourd’hui. Il ne fallait pas que cette femme ait les pieds en dedans, si vous voulez. Il fallait le charisme d’Alba pour révéler 
le mystère des renoncements qui ont construit sa vie. 
Il y a un cousinage entre elle et Mademoiselle Chambon, je trouve. Du renoncement, trop d’attention aux autres pour s’empêcher de penser à soi. Ma comédienne devait être quelqu’un de puissant et ample. Et Alba avait tout ça. Et puis c’est vrai que cet accent nous raconte quelque chose, il y a une étrangeté, un déracinement. Ce qui me fascine chez Alba, c’est le mélange de lumière et de gravité, un peu comme chez Romy Schneider, ce que je trouve sublime. »


Il y a une intranquillité, un endroit de friction apte à provoquer les larmes comme les rires. Car l’humour est très présent dans le film, comme une politesse 
peut-être. « C’est quelque chose que je me suis assez peu autorisé, être drôle, explique Stéphane Brizé. Avec l’idée sûrement stupide qu’en étant drôle, on ne pouvait pas 
être profond. Je n’avais pas envie de traiter cette histoire au premier degré, en regard des films que j’ai faits précédemment, où je donnais à voir des gens en souffrance sociale. Et puis avec le temps qui passe, on prend du recul sur les choses. Dans Crimes et châtiments de Woody Allen, Alan Alda dit: « La comédie c’est la tragédie plus le temps ». Mon personnage est traversé par des questions existentielles et douloureuses, mais il y a nécessité d’en rire. L’idée n’est pas de se moquer des questions elles-mêmes, mais des solutions qu’il trouve pour tenter d’apaiser sa peine. »

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