Critique | Cinéma

« Sous les figues » cueille les fruits défendus de la jeunesse tunisienne

3,5 / 5
Unité de temps, de lieu et d’action: Erige Sehiri retrace 24 heures dans une plantation de figuiers. © National
3,5 / 5

Titre - Sous les figues

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Erige Sehiri

Casting - Fidé Fdhili, Feten Fdhili, Samar Sifi

Durée - 1 h 32

Avec Sous les figues, Erige Sehiri livre un attachant marivaudage social, écrin lumineux pour une jeunesse tunisienne rurale peu vue sur les écrans.

La jeune réalisatrice franco-tunisienne Erige Sehiri présentait en mai dernier à la Quinzaine des Réalisateurs son premier long métrage de fiction, Sous les figues (lire la critique ci-dessous). Lauréat du Bayard d’or au Festival de Namur, il était présenté ce 9 décembre au Festival de cinéma méditerranéen à Bruxelles avant sa sortie en salle ce 14 décembre. Avec ce film, la cinéaste pose sa caméra aguerrie au documentaire au milieu d’un champ de figuiers, dans un village haut perché du nord-ouest de la Tunisie. “Mon père est originaire de cette région, nous explique-t-elle. Alors que j’y organisais un casting, j’ai rencontré Fidé (l’une des héroïnes du film, NDLR) qui m’a expliqué travailler l’été dans les champs pour gagner un peu d’argent. Ça a immédiatement éveillé mon désir de cinéma, d’autant que depuis quelques temps, je pensais également au sort des “femmes des camions”, comme on les appelle, des ouvrières agricoles que l’on transporte à l’arrière de pick-up, et qui font régulièrement l’actualité lors de dramatiques accidents de la route. J’avais aussi envie de parler de cette jeunesse des campagnes, dont on dresse souvent des portraits très stéréotypés. J’aurais pu être comme Fidé et ses amies si mon père n’avait pas émigré en France.

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Ainsi naît Sous les figues, qui garde du cinéma documentaire un réalisme saisissant, mais emprunte aussi à la forme théâtrale une très efficace unité de temps, de lieu et d’action. “Pour moi, le cinéma est avant tout un laboratoire de création. Je trouvais pertinent de concentrer le récit sur 24 heures. Toutes leurs journées se ressemblent, j’avais envie de faire ressentir cela. J’étais très séduite aussi par l’idée de filmer un huis clos en extérieur, faire comprendre qu’on peut se sentir enfermé même en étant dehors.” Le spectateur suit les protagonistes tout au long de la cueillette, filmés au plus près, imbriqués dans les branches des arbres qui évoquent parfois les barreaux d’une prison en plein air. “Je souhaitais offrir une immersion totale, transmettre la sensation d’étouffement que l’on peut avoir quand on est dans l’arbre, grâce aussi au bruit distinctif des feuilles de figuier, très rugueuses. Puis, nous avons dû nous adapter aux gens et à la nature, nous n’avons eu recours qu’à la lumière naturelle. Alors souvent, nous tournions autour des arbres et des cueilleurs et cueilleuses, ce qui donne ces chorégraphies un peu particulières.

Les gens des champs, justement, à l’image de Fidé, sont des comédiens non-professionnels qu’il a fallu accompagner pour qu’ils puissent livrer leur vérité dans le cadre formaté de la fiction. Erige Sehiri se souvient de cette inspirante collaboration: “ça peut paraître très simple de capter la vie, mais ça ne l’est pas. Quand on travaille avec des acteurs non- professionnels, ils peuvent avoir tendance à surjouer, à imiter ce quils ont vu à la télé. Il fallait déconstruire pour revenir à quelque chose de plus authentique. Cest dur d’être soi-même en jouant! On a énormément répété, et j’ai essayé de créer une cohésion dans l’équipe, pour effacer les frontières entre les moments de répétition, de mise en place, de discussion et de tournage à proprement parler. Je n’ai pas donné le scénario aux comédiens, je leur ai juste parlé de leur personnage, de la scène qu’ils devaient jouer. Il a fallu trouver cet endroit très fragile de lâcher-prise. C’est un geste de cinéma qui a été très libérateur pour moi. C’était sûrement là le plus grand challenge, venant du documentaire, je sais que le réel peut être très fort, et qu’il faut savoir s’en servir. Je tenais à préserver un aspect minimaliste, je n’avais pas envie de forcer les choses. On a tendance à vouloir ajouter des éléments narratifs parfois, des effets, manipuler un peu pour rendre la situation plus dramatique. Il m’a fallu garder cette ligne directrice, sur le tournage comme au montage.

La réalisatrice tunisienne Erige Sehiri signe Sous les figues – © Fabrice Mertens

Un drame social lumineux

La véracité du jeu et du contexte contribue à enrichir la portée sociale du film. Derrière l’apparente frivolité des histoires de cœur qui animent les jeunes héros du film, ce sont les contradictions de la société tunisienne qui se dessinent, même si la réalisatrice tient aussi à cette légèreté. “On parle souvent de la Tunisie ou du Maghreb sous le prisme des conflits, comme s’il ne pouvait pas y avoir de légèreté là-bas. Je trouvais que lamour et lamitié représentaient de bonnes portes dentrée vers des interrogations plus dramatiques concernant le patriarcat ou la religion par exemple. Cette jeunesse se bat pour ses droits. Elle se pose des questions, mais cest comme les figues, elles ne sont pas toutes au même stade de maturité. Fidé aimerait partir, trouver sa liberté. Melek, elle, est encore dans lidée que le plus important, cest lamour dun homme. Mariem suit les règles édictées par le patriarcat, imposées parfois par les femmes elles-mêmes. Je ne voulais pas imposer de message, mais chaque personnage amène une réflexion via ses questionnements.

Sous les figues, malgré ses accents de badinage, est en réalité un “drame social lumineux mais très réaliste”, pour reprendre les termes de la cinéaste. Si la confrontation entre les différentes générations qui travaillent dans les champs peut laisser augurer un futur incertain pour les jeunes héros, ce qui donne malgré tout de l’espoir, pour Erige Sehiri, c’est “la sororité à l’œuvre entre ces jeunes filles, cette façon d’être ensemble qui les rend fortes, cette capacité quont les femmes en général à trouver des espaces de liberté, à se les accaparer, peu importe où elles sont et ce qui se passe dans leur vie.

Sous les figues: notre critique

Fidé, Melek, Mariem et Abdou cueillent des figues tout l’été. De branche en branche, ils se cherchent et se fuient, se provoquent ou se sourient. Les histoires de cœur semblent occuper toutes leurs pensées. Pourtant s’esquisse en arrière-plan de ce marivaudage agricole le portrait d’une jeunesse tunisienne rurale en quête de liberté, qui s’interroge sur les conditions de sa subsistance et rêve d’un futur meilleur. En contrechamp, les regards fatigués des travailleuses des champs jettent un voile ombrageux sur leurs aspirations, et confèrent à ce huis clos champêtre une dimension sociale plus dramatique qu’il n’y paraît, même si l’on voudrait croire que leur avenir sera aussi ensoleillé que cette journée d’été.

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