Retour sur le festival de Deauville en six temps forts

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Entre rire et drame, cinéma de genre et militantisme, la compétition de la 44e édition du festival de Deauville faisait la part belle aux inadaptés et autres déclassés du système, révélant les jeunes réalisateurs indies qui feront le cinéma US de demain.

Thunder Road

De Jim Cummings

Retour sur le festival de Deauville en six temps forts

C’était déjà l’une de nos révélations coups de coeur du dernier festival de Cannes, où il était présenté dans la petite section de l’ACID: Thunder Road, le premier long métrage du trentenaire néo-orléanais Jim Cummings, est logiquement reparti de Deauville auréolé de son Grand Prix. Passée une brève exposition, le film de Cummings s’ouvre en fait sur une variation de son court séminal du même nom primé à Sundance dès 2016: un plan-séquence complètement fou où le cinéaste lui-même, en flic émotif texan portant moustache et uniforme, se lance dans un improbable éloge funèbre aux allures de montagnes russes affectives à l’enterrement de sa mère. Point de départ surréaliste d’une inénarrable dégringolade sociale qui verra cet homme constamment sur le fil perdre la garde de sa fille, son boulot, ses amis… Et la révélation d’un incroyable acteur, quasiment cartoon, capable de passer d’une émotion à son contraire en un battement de cil.

We the Animals

De Jeremiah Zagar

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Prix de la Révélation à Deauville, cette adaptation du roman d’apprentissage largement autobiographique de Justin Torres remplit le parfait petit cahier des charges indie tout en se tenant à distance respectable des plus énormes stéréotypes d’un genre en soi. Soit, dans un foyer isolé et sans le sou, l’histoire de trois frères essentiellement livrés à eux-mêmes contée en voix off par le benjamin de ceux-ci, gamin particulièrement sensible qui, entre les joies simples de l’enfance et la violence domestique dont il est le témoin privilégié, s’échappe dans un monde imaginaire qu’il se crée de toutes pièces, s’éclairant à la lampe torche la nuit pour dessiner dans un cahier sous le lit commun. Figurées en brèves envolées d’animation rudimentaire, ces échappées belles perforent le naturalisme crapoteux d’un film qui doit beaucoup au cinéma documentaire de micro-fulgurances extatiques catapultant l’ensemble en apesanteur.

The Kindergarten Teacher

De Sara Colangelo

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Remake d’un film franco-israélien remarqué, The Kindergarten Teacher s’attache au quotidien d’une institutrice (Maggie Gyllenhaal, impériale) frustrée par le peu de curiosité intellectuelle affiché par son entourage. Elle-même piètre poète aspirant pourtant aux cimes de la sophistication esthétique, elle opère alors un transfert trouble sur l’un de ses jeunes élèves, un enfant d’à peine cinq ans capable d’incroyables flambées créatives. Récit d’une obsession profonde, le film cultive l’ambivalence et le malaise dans un geste de cinéma à même de chambouler les certitudes, remuant les entrailles de la trivialité d’une existence qui semble nous condamner à la traverser comme des ombres. Bientôt sur Netflix.

Blindspotting

De Carlos López Estrada

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Réjouissant sens de la tchatche et super duo d’acteurs: Prix de la Critique à Deauville, Blindspotting emboîte le pas de deux déménageurs enquillant les galères en adoptant la forme d’un buddy movie hilare nourri à l’amitié black & white. Mais sous la coolitude street sans faille et les rires pointent le marasme et l’inquiétude d’une époque marquée par les questions identitaires et les tensions raciales, les violences policières et les inégalités sociales. Parfois victime de son propre sentimentalisme, mais jamais dans la surenchère, Carlos López Estrada signe à l’arrivée un vrai petit brûlot militant, riche en authentiques moments d’anthologie assortis de piques cinglantes dirigées à l’encontre de la gentrification galopante de la ville d’Oakland – » Tue un hipster, sauve ton quartier.« 

American Animals

De Bart Layton

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Bart Layton s’intéresse en véritable laborantin du 7e art à l’histoire vraie de quatre étudiants lancés dans le projet un peu fou de l’un des vols les plus audacieux d’oeuvres d’art de l’Histoire des États-Unis. Mêlant fiction pure et témoignages -voire même interventions directes dans l’action- des initiateurs bien réels du vol aujourd’hui devenus adultes, le film entend dépoussiérer la manière de porter des histoires vraies à l’écran tout en questionnant la chimère populaire de vivre une vie moins ordinaire. En résulte un percutant hybride de films de casse où les (anti-)héros se croient dans Ocean’s Eleven quand ils sont au fond plutôt occupés à rejouer Dog Day Afternoon en mode losers à peine pubères. Prix du Jury à Deauville.

Leave No Trace

De Debra Granik

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Il y a sept ans, elle révélait Jennifer Lawrence à la face du monde dans Winter’s Bone. Avec Leave No Trace, Debra Granik s’enfonce encore un peu plus loin dans le cadre sauvage de l’arrière-pays américain, sur les traces d’un père et son adolescente de fille, tandem passé maître dans l’art de la débrouille et en rupture radicale avec la civilisation. Inspiré d’une histoire vraie, le récit de leurs aventures ose le pari gonflé de faire l’impasse sur l’idée même d’antagonisme: dans Leave No Trace, les démons sont intérieurs, le film faisant le portrait d’une Amérique de la marge armé d’une conception du cinéma à rebours total des codes institués par l’industrie mainstream. Une formidable fable naturaliste sur la question du choix et de la liberté, grande oubliée du palmarès deauvillais.

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