Recette d’un film d’exorcisme

Dans le film de Diederik van Rooijen, l'exorcisme sert de point de départ, et non d'arrivée comme c'est habituellement le cas. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le cinéaste hollandais émigré en Amérique Diederik van Rooijen signe avec L’Exorcisme de Hannah Grace un très oubliable petit huis clos horrifique prétexte à revenir sur la tradition très spécifique dans laquelle il s’inscrit: le film d’exorcisme.

Modeste réalisateur néerlandais aux ambitions hollywoodiennes, Diederik van Rooijen est un amateur hardcore de mauvais genres. Longs cheveux épais et carrure de sorteur de discothèque, il a la clé numéro 237 de l’Overlook Hotel de The Shining tatouée sur l’avant-bras gauche et enquille sans guère se faire prier les références à tous les films cultes ayant eu le don de nourrir son appétit rabelaisien pour l’horreur qui tache. Avec The Possession of Hannah Grace, il signe aujourd’hui son premier travail de commande pour un studio américain, petit huis clos horrifique assez fauché, aux acteurs de séries télé assurant le minimum syndical, où l’on devine qu’il n’a été qu’un simple exécutant tout juste autorisé à laisser infuser l’une ou l’autre obsession perso.

De cette classique histoire de rédemption à la trame famélique, et aux allures de cauchemar éveillé, percolent ainsi une petite paire de caractéristiques notables. Un certain sens de l’espace, d’abord, conditionné par le lieu atypique dans lequel se déroule l’action du film: les couloirs cliniques d’une morgue et ses odeurs âcres de cadavres. « Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas davantage de films d’horreur investissant ce cadre, sourit Van Rooijen. La morgue est une espèce de no man’s land assez étrange conditionné par une attente qui l’est encore plus: l’attente de la mort. » Une vraie bizarrerie d’écriture, ensuite, prenant d’emblée les expectatives spectatorielles à rebours: dans L’Exorcisme de Hannah Grace, le rituel religieux qui donne son titre francophone au film lui sert de point de départ, et non pas d’arrivée. « C’est la chose qui m’a le plus étonné quand j’ai reçu le scénario du film: il commence exactement là où toutes les oeuvres emblématiques du genre finissent. Il y a une logique quasiment infectieuse présidant à cette catégorie cinématographique très codée qu’est le film d’exorcisme. C’est l’idée d’un mal qui se répand pour prendre possession d’un corps, et d’une montée dramaturgique culminant dans la séquence d’exorcisme proprement dite, avec toute l’iconographie qu’elle suppose. »

Recette d'un film d'exorcisme

Délivre-nous du mal

Jeune fille possédée par un démon et corps en lévitation, grimaces cérémoniales et brutales démantibulations, parent en souffrance et curé en campagne, Bible et chapelet, croix et eau bénite salée… Avec ses fétiches mystiques et ses passages obligés, le film d’exorcisme est un sous-genre populaire en soi peu enclin à se renouveler. D’autant que son mètre-étalon absolu, modèle indépassable de mise en scène horrifique frisant le demi-siècle, semble en avoir épuisé à lui seul toutes les possibilités. On parle de The Exorcist, bien sûr, soit l’alpha et l’oméga d’une grammaire cinématographique très circonscrite ayant fait de la redite et de la répétition des motifs sans doute davantage subis que d’élection. Signé en 1973 par William Friedkin, le film puise son efficacité peu banale dans un premier degré totalement assumé. C’est que Friedkin croit dur comme fer à son invraisemblable histoire nourrie de faits supposément réels, qu’il envisage dès lors non pas sous l’angle fantastique mais bien purement réaliste. Méditation patiente sur le mystère de la foi sondant les limites de la science et ayant sans surprise provoqué l’ire des ligues de vertu, The Exorcist est le premier long métrage d’horreur de l’Histoire à prétendre à l’Oscar du Meilleur film. Suivi de plusieurs suites, dont la première réalisée par John Boorman, il donnera naissance à une descendance moins riche que nombreuse -de l’opportunisme éhonté de La Maison de l’exorcisme de Mario Bava et Alfredo Leone (1974) jusqu’au nawak postmoderne de The Last Exorcism (2010), en passant par la pantalonnade parodique de Y a-t-il un exorciste pour sauver le monde? (1990) avec Leslie Nielsen- dont le tenant récent le plus crédible (?) serait sans doute encore Scott Derrickson. Moins pour un Deliver Us from Evil (2014) poussif à souhait, oubliant de mettre la pédale douce sur le grand-guignol et les arguments en toc façon « inspiré d’une histoire vraie« , que pour The Exorcism of Emily Rose, troublant drame procédurier ayant affolé tous les compteurs du box-office américain en 2005.

Souvent lestées d’improbables anecdotes de tournage destinées à flouter encore un peu plus les frontières entre le réel et le fantasmé, ces productions marquées par un goût prononcé pour le spectaculaire et la performance physique prêtent également le flanc à des interprétations genrées forcément très dans l’air du temps. À l’ère post-#MeToo, il est tentant en effet de voir dans ces représentations épouvantées de corps féminins fiévreux secoués de spasmes le reflet à peine voilé d’une société patriarcale incurablement obsédée par l’idée d’exercer un contrôle sur la sexualité des femmes. Ou du moins d’en contenir les forces de libération. Anti-émancipatoire, le film d’exorcisme? Il ne manquait plus que ça…

L’Exorcisme de Hannah Grace. De Diederik Van Rooijen. Avec Shay Mitchell, Stana Katic, Grey Damon. 1h26. Sortie: 02/01. **(*)

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