Puritanisme et hypocrisie, l’effet domino de l’affaire Weinstein

Vers un American Beauty sans Kevin Spacey? © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

La chute du producteur-prédateur hollywoodien Harvey Weinstein a eu un effet domino, libérant la parole de victimes d’abus, mais aussi un nouveau puritanisme non dénué d’hypocrisie…

Encore quelques semaines de patience, et le public belge pourra découvrir, le 27 décembre prochain (et donc cinq jours après sa sortie américaine), All The Money in the World (Tout l’argent du monde), le nouvel opus de Ridley Scott. Si le film, qui gravite autour de l’enlèvement de John Paul Getty III à Rome en 1973, est fort attendu, ce n’est pas uniquement en raison du pedigree imposant de son réalisateur, mais bien parce que Kevin Spacey devait y incarner J. Paul Getty, le grand-père de la victime. Une prestation dûment filmée et même montée (une bande-annonce l’incluant a d’ailleurs circulé, la Première étant prévue à l’AFI festival de Los Angeles en novembre), mais non moins sûrement « effacée » suite aux allégations de harcèlement sexuel pesant sur la star de House of Cards, pour autant toujours présumée innocente, la production lui substituant un autre acteur, Christopher Plummer en l’occurrence. Soit un tour de passe-passe tenant du prodige (impossible n’est pas hollywoodien, depuis qu’on y ressuscite les morts à l’image de Peter Cushing dans Rogue One), obtenu au prix de quelques jours de retournage à l’arrache. Et l’expression à peine voilée d’un nouveau puritanisme, doublée d’une belle démonstration d’hypocrisie, le geste semblant surtout dicté par des intérêts mercantiles, dès lors que la présence au générique de l' »infréquentable » Spacey (dans le même temps banni de House of Cards et privé de Gore par Netflix, mais aussi d’un Emmy d’honneur; à quand la restitution forcée de ses deux Academy Awards?) faisait du film un four annoncé, tout en annihilant ses chances de concourir utilement aux Oscars.

Le souci du politiquement correct n’est pas neuf à Hollywood, et l’on se souvient par exemple d’un Steven Spielberg troquant les revolvers pour des talkie-walkies dans l’édition remasterisée de E.T., 20 ans après la sortie de l’original, décision qu’il devait regretter par la suite. De là, toutefois, à voir un comédien escamoté de l’écran comme l’est Spacey aujourd’hui, il y avait toutefois une marge, qu’avait sans doute empêché de franchir la crainte du ridicule. Tant qu’à faire, pourquoi ne pas adopter les méthodes soviétiques d’antan, et retoucher dans la foulée ses films les plus célèbres, afin de le voir disparaître des génériques de The Usual Suspects ou autre American Beauty dans un même élan révisionniste? Les scandales sexuels ne sont pas plus récents du côté de Sunset Boulevard, qui ont alimenté la chronique des studios depuis les origines, au point qu’un Kenneth Anger a pu leur consacrer une large part du sulfureux Hollywood Babylone. Si certains y ont laissé leur carrière et plus encore -ainsi de Roscoe « Fatty » Arbuckle, dès les années 20-, Hollywood a toutefois toujours privilégié l’entre-soi, glissant sur les frasques d’un Errol Flynn ou la promotion-canapé pratiquée par un Harry Cohn, ou privilégiant, jusqu’à dernièrement encore, une omerta complice (même si le plus souvent forcée, comme l’ont souligné à l’envi les témoignages récents), comme condition à la bonne marche de l’usine à rêves.

Who’s next

À cet égard, l’affaire Weinstein marque assurément un tournant, la chute du producteur-prédateur ayant eu un effet domino, où la libération bienvenue de la parole de victimes d’abus sexuels s’est toutefois trouvée assortie d’une vague de délations à tout-va discutable, dont résulte aujourd’hui un commencement de grande lessive aux allures parfois de « who’s next » peu ragoûtant. Et englobant à des titres divers, outre l’ex-boss de Miramax et Spacey, les Brett Ratner, Dustin Hoffman, Jeffrey Tambor, Louis C.K. ou autre John Lasseter, dont les noms ont été jetés en pâture au public, même si, là encore, la présomption d’innocence s’impose jusqu’à plus ample informé…

Assez, en tout état de cause, pour que l’on puisse parler d’un séisme aux conséquences encore incalculables, mais dont les premiers effets « quantifiables » se font déjà ressentir, au-delà des suspensions ou prises de recul des intéressés: outre la dernière saison de House of Cards sabordée par Netflix pour les raisons que l’on sait, la mini-série que devait réaliser David O. Russell pour Amazon avec Julianne Moore, Robert DeNiro et Matthias Schoenaerts, et co-financée par The Weinstein Company, a été annulée, première sans doute d’une série d’annonces du même ordre. L’argent, toutefois, n’a pas d’odeur. Et si DSK avait inspiré à Abel Ferrara le piteux Welcome to New York, il ne devrait pas en aller autrement de l’affaire Weinstein, dont un prochain épisode de la série New York Unité Spéciale sera adapté. En quoi l’on verra aussi un reflet fidèle de l’époque…

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