Proxima: être astronaute et mère

Être astronaute et mère... Sarah (Eva Green) doit se préparer à quitter la Terre et sa fille. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Alice Winocour envoie Eva Green dans les étoiles, non sans d’abord questionner la relation complexe entre travail et maternité dans notre société. Si l’angle est passionnant, le résultat l’est un peu moins… Rencontre.

De Proxima, la Française Alice Winocour (Augustine, Maryland) dit l’avoir écrit afin de « montrer la double difficulté des femmes à affronter leur culpabilité inhibante face à la construction sociale de la mère parfaite et à devoir s’adapter à un monde pensé par et pour les hommes« . Un programme passionnant, et tout à fait inédit, pour un film qui traite du voyage dans l’espace sans jamais, ou presque, quitter la terre ferme. Dans Proxima, Sarah (Eva Green), astronaute française qui s’apprête à décoller pour une mission d’une année complète, suit un entraînement difficile dans un environnement presque exclusivement masculin, mais elle se prépare aussi à vivre une longue séparation avec sa fille de huit ans… Soit le double enjeu fondateur qui conditionne le regard de Winocour, scénariste et réalisatrice du film. De passage à Bruxelles pour défendre ce troisième long métrage, elle raconte: « Quand je commence à travailler sur un film, je suis toujours attirée par un monde. Et plus j’avance, plus je me rends compte que ce qui m’a amenée vers ça, c’est quelque chose de très intime, mais dont je n’avais pas conscience moi-même à la base. Je crois que plus je me confronte à des choses intimes, plus j’ai besoin que ça se passe dans un monde lointain. Petite, j’avais une fascination pour les étoiles, mais je n’y connaissais rien. Il y a quelques années, je me suis donc rendue à Cologne, à l’Agence spatiale européenne, en vue de raconter une histoire, sans savoir exactement laquelle. Je m’intéressais au rapport au corps dans cet univers-là. Puis j’ai commencé à me pencher sur la question de la figure de la femme astronaute. Dans Proxima, la problématique de la séparation avec la fille résonne avec la problématique de la séparation avec la Terre. D’ailleurs, dans le protocole russe, au moment où l’on quitte l’atmosphère, on parle de « séparation ombilicale ». Peu à peu, j’ai donc décidé que le film se composerait de toute une série de micro-séparations. Un peu comme la fusée qui largue un à un ses éléments constitutifs avant de s’arracher à la pesanteur terrestre. »

Entre ciel et mère

Ce double motif de l’attachement et de la séparation, Alice Winocour le travaille de manière très symbolique, de parois transparentes en appels téléphoniques. « Quand la mère et la fille sont attachées l’une à l’autre dans la piscine du centre d’entraînement, pour moi l’eau renvoie au liquide amniotique. J’aime le cinéma comme expérience sensorielle. J’ai beaucoup été construite par les films de David Cronenberg, par exemple. Et là, ce qui était génial, c’est que toute la réalité documentaire que je découvrais rencontrait mes obsessions de cinéma: on voit Sarah s’entraîner avec un exosquelette, se placer dans un Soyouz qui évoque un cercueil ou prendre une douche de Bétadine qui l’assimile à une sorte de créature un peu inhumaine… J’aimais l’idée de filmer une transformation, parce que les astronautes doivent muter, en un sens, avant de partir dans l’espace. »

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Seul hic: la richesse symbolique de Proxima finit par se retourner contre lui. Prisonnier de ses concepts, l’objet peine à s’incarner dans un élan de vie. Bien pensé, le film, en effet, est très lourdement exécuté. Cinéaste formée à la Fémis en département scénario, Alice Winocour intellectualise mieux ses histoires qu’elle ne leur donne chair. Une tendance théorique qui se marque jusque dans des détails futiles, comme les prénoms de certains personnages, trop bêtement signifiants, auxquels on ne croit pas (la fille de Sarah s’appelle Stella, et son chat Laïka, ce genre…). D’une manière générale, Proxima souffre de taper sur ses clous thématiques de manière trop insistante, le film alignant par exemple sans nuance les séquences qui illustrent très platement, et très littéralement, la difficulté à être mère et astronaute. Cette dimension-là, précisément, la réalisatrice en parle pourtant à nouveau avec beaucoup d’à-propos au moment de débattre du film: « Je voulais confronter l’infiniment petit et l’infiniment grand. Le trivial d’une relation mère-fille et le cosmos. Proxima, le titre, c’est le nom de l’étoile qui est la plus proche de la Terre, dans notre galaxie, mais c’est à quatre années-lumière, donc 40.000 milliards de kilomètres, c’est-à-dire qu’il faudrait à peu près 10.000 ans avec la sonde Voyager pour s’y rendre. C’est tellement vertigineux… Je rapproche ça de la relation mère-fille, qui sont à la fois très proches et à des années-lumière l’une de l’autre. Et puis Proxima, ça veut aussi dire « la prochaine », c’est donc la question de ce qu’on transmet à nos filles. Est-ce que c’est l’idée qu’il faut être une mère parfaite, cette espèce de construction sociale de la mère idéale, ou l’idée qu’il faut vivre ses rêves, aller au bout de ce pour quoi on est fait? Au cinéma, il y a beaucoup de personnages de femmes fortes dans l’espace, de Sigourney Weaver dans Alien à Sandra Bullock dans Gravity. Mais, par contre, ce sont toujours des femmes sans enfant. Comme si les super-héroïnes ne pouvaient pas avoir d’enfants. Et si elles ont des enfants, ils sont morts. Parce que les scénaristes, ça les embête d’avoir des choses qui peuvent les détourner de leur mission. Alors que dans la réalité, les femmes, elles ont des missions et elles ont des enfants. »

Proxima. D’Alice Winocour. Avec Eva Green, Matt Dillon, Sandra Hüller. 1h47. Sortie: 27/11. **(*)

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