Pig, premier long métrage de Michael Sarnoski: « Tout est parti d’une image mentale »

Nicolas Cage renoue avec le meilleur de son talent en ogre lourd et lent capable de beaucoup de délicatesse dans Pig de Michael Sarnoski.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le jeune réalisateur américain Michael Sarnoski tire le meilleur de Nicolas Cage dans Pig, premier long métrage aussi déroutant qu’inspiré qui invite un ermite crasseux à faire la paix avec son passé douloureux.

« Where is my pig? » « I need my pig. » « They took my pig. » « I’m looking for my pig. » Ça doit bien faire une bonne demi-heure de film que Nicolas Cage, en homme des bois hagard et renfrogné flirtant pouilleusement avec la monstruosité, cherche et réclame en ville son cochon – une truie truffière avec laquelle il vit en marginal dans la nature sauvage de l’Oregon, pour être exact. En guenilles et en sang, le visage tuméfié, ce grand gaillard cabossé n’est, d’évidence, pas content, et il le fait savoir. À ce stade, c’est sûr, ce très frontal récit d’une obsession butée ne peut être appelé qu’à une chose: exploser en gros défouloir vengeur à la John Wick. Et pourtant… Pourtant, petit miracle du cinéma, c’est tout le contraire qui se produit alors, le film empruntant bientôt, et contre toute attente, la voie de l’émotion, d’une pure introspection invitant avec tendresse son protagoniste sur le chemin, sensuel et caressant, de la rédemption.

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Que vient-il au juste de se passer sous nos yeux?

On appelle ça comme on veut. La grâce, peut-être. Le talent, certainement. Michael Sarnoski, jeune réalisateur aux racines italiennes qui a grandi dans le Wisconsin profond, signe avec Pig son tout premier long métrage. Retenez bien son nom, vous n’avez pas fini d’en entendre parler…

Comment en vient-on à imaginer un film aussi étonnant et singulier que celui-là?

Tout est parti d’une image mentale. Celle d’un homme d’âge mûr vivant dans les bois avec un cochon. Je les imaginais simplement occupés à chercher des truffes, et c’est à peu près tout. Mais cette image ne voulait pas me lâcher. Il s’en dégageait un sentiment très spécifique, un mélange particulier de solitude, de tendresse et de mystère. À tel point que j’ai décidé un jour d’imaginer un scénario à partir de cette seule image. Il s’agissait pour moi d’explorer ce qui pouvait bien se cacher sous la surface de celle-ci et de tenter de comprendre ce qui me touchait en elle. Je me suis lancé dans le processus d’écriture de manière très organique, en me laissant guider par mon instinct.

À l’arrivée, le film est structuré en trois parties bien distinctes, introduites à chaque fois par un intertitre à rallonge qui évoque un menu gourmet dans un restaurant…

Oui, j’ai toujours envisagé ce film comme une espèce de fable, avec une dimension presque mythologique. Je pense que ces intertitres accentuent cette idée, mais surtout qu’ils peuvent aider le spectateur à comprendre comment Pig évolue. Le récit peut parfois avoir quelque chose de très déconcertant. Son chapitrage permet, je crois, de recalibrer un peu l’ensemble de ce qui s’y déroule dans l’esprit des gens, leur donner des repères clairs auxquels se raccrocher. Même si, oui, je me suis amusé à y glisser une certaine ironie culinaire, mais qui fait sens avec le propos du film.

Avez-vous sciemment conçu la première partie de Pig comme une sorte de fausse piste, qui laisserait à penser qu’il va dans la foulée se contenter des codes et ressorts d’un petit film de genre aux accents vengeurs?

J’ai toujours su que le film allait adopter un tour de plus en plus mélancolique au fur et à mesure de son avancement. Mais disons que j’ai pris plaisir à le concevoir comme une espèce de piège, de trompe-l’oeil, de contre-pied cinématographique. Dans les films, en général, quand quelqu’un subit une profonde injustice, il se met en colère et sème la mort et la désolation sur son passage. Mais dans la vraie vie, c’est rarement comme ça que ça se passe. Et, à vrai dire, ce n’est certainement pas la meilleure façon de s’y prendre, objectivement parlant (sourire). Dans mon esprit, Pig a toujours été une espèce de western dans lequel le cow-boy qui lui sert de héros ne serait pas le meilleur tireur de l’Ouest mais plutôt le meilleur cuisinier du coin. Son arme fatale, sa botte secrète, c’est ça: cuisiner. C’est ce qui pourrait lui permettre, in fine, de résoudre son problème, de se reconnecter avec lui-même et avec les autres.

Michael Sarnoski
Michael Sarnoski© GETTY IMAGES

Le chemin parcouru par le film n’est pas qu’émotionnel, il est aussi géographique, puisqu’on y passe de la nature la plus sauvage à la civilisation…

C’est vrai. Nous avons pratiquement tourné toutes les séquences du film dans des lieux bien réels à Portland et aux environs. La cabane en bois du début constitue le seul décor que nous avons construit nous-mêmes. Tout le reste était déjà existant, et je pense que ça participe d’une certaine authenticité qui émane du film. Portland est une ville particulièrement accueillante et l’endroit idéal pour orchestrer la rencontre entre nature et civilisation. En quinze minutes à peine, vous pouvez laisser la ville derrière vous et vous retrouver en plein cadre rural. Dans Pig, la forêt représente en quelque sorte le présent du personnage et la ville son passé. Portland porte déjà en elle cette dualité. Elle participe également par ses lieux, son visage, à l’atmosphère d’étrangeté, de bizarrerie magique, caractéristique du film.

Avez-vous spécifiquement écrit Pig avec Nicolas Cage en tête pour le rôle?

Non, pas du tout. Il est très troublant aujourd’hui de constater à quel point ce rôle était, littéralement, fait pour lui, mais non, je n’ai écrit le scénario du film avec personne en tête de particulier. À dire vrai, je n’imaginais pas une seconde que je pourrais intéresser un acteur connu pour mon premier long métrage. Je me suis donc simplement concentré sur le personnage. Je voulais le rendre le plus complexe et attachant possible, et c’est tout ce qui comptait à ce stade. Vous savez, il faut du temps pour qu’un film se concrétise. Ce qui veut dire que vous passez énormément de temps à baigner dans son univers, mais plus encore à côtoyer son protagoniste. Et, arrivé à un certain point, c’est un peu comme si vous deveniez ami avec celui-ci. Vous en arrivez à partager ses pensées, sa vision sur le monde… Et puis le scénario a fini par atterrir dans les mains de Nicolas. Nous sommes allés bruncher ensemble un peu après sa lecture du scénario et je dois bien avouer que j’étais très nerveux ce jour-là. Je n’en revenais pas qu’il ait manifesté son intérêt pour ce projet, mais je craignais du coup qu’il veuille imposer des choses, rendre le film plus violent ou plus accessible. Mais c’était tout l’inverse. Je me suis retrouvé face à quelqu’un qui non seulement avait parfaitement compris où je voulais en venir avec ce scénario mais qui en plus était prêt à se mettre à 100% au service de ma vision des choses. Plus il me parlait du film et de son personnage, et plus j’étais scié de constater à quel point il avait saisi la vibration particulière que je cherchais à faire résonner à travers cette histoire. Il a toujours décrit le film comme une sorte de haïku ou de poème. Sa compréhension et son engagement dans ce projet ont été un cadeau incroyable pour moi.

Pig, premier long métrage de Michael Sarnoski:

Sa présence dans le film élève celui-ci à une dimension quasiment méta. C’est-à-dire que quand le personnage parle de son rapport à sa notoriété passée et à la civilisation, il est quasiment impossible de ne pas y voir une façon pour Nicolas Cage de parler de son propre rapport à son succès passé en tant qu’acteur et ses déboires avec Hollywood…

Oui, quand il parle par exemple d’authenticité dans le film, il semble en effet très compliqué pour certains spectateurs de ne pas avoir le sentiment que c’est Nicolas Cage lui-même qui est occupé à débriefer sur son parcours d’acteur. Pourtant, je vous assure que ce n’est pas intentionnel. Mais je ne peux que me réjouir de cet éclairage nouveau qu’amènent les spectateurs sur le film. Pour être tout à fait honnête, je ne peux pas affirmer que Nicolas n’a pas, quelque part, intentionnellement mis un peu de ça dans cette scène. Je ne l’ai jamais pris entre quatre yeux pour lui demander:  » Qui parle à ce moment-là? Toi ou le personnage? » Mais le fait est que ça marche dans les deux cas, et je trouve ça très beau. N’est-ce pas le propre, finalement, des grands acteurs que de parvenir à insuffler leurs propres questionnements et fragilités à leurs personnages? Ce qui est certain c’est que, dans cette scène, on sent qu’il sait de quoi il est en train de parler. C’est un artiste, après tout, et son personnage aussi a été un grand artiste dans son domaine par le passé. Nicolas n’a rien d’un chef cuisinier, bien sûr, mais il a passé plusieurs jours avec des chefs de Portland afin d’apprendre les gestes nécessaires pour traduire la sensualité et la passion avec lesquelles son personnage peut être amené à cuisiner dans le film. Dans ces moments, il est évident pour moi qu’il met le même soin et la même application à manipuler les ingrédients qu’à convoquer ses qualités d’acteur.

Son personnage semble autant si pas davantage défini par son look, sa voix et ses gestes que par ce qu’il exprime véritablement dans le film…

Dans le scénario, je le décrivais comme un homme-montagne avec une barbe évoquant une sorte de nid d’oiseau. Mais tout s’est précisé par la suite avec mon équipe et avec Nicolas, qui s’est aussi engagé en tant que producteur. Nous avons construit tous ensemble, et touche par touche, le personnage. Je l’ai toujours envisagé comme une sorte d’ogre lourd et lent mais capable de beaucoup de délicatesse. J’ai également travaillé dans le sens d’une mise en scène qui soit très sensorielle, afin que le spectateur puisse pratiquement entendre, sentir et percevoir tout ce que le personnage est lui-même capable d’entendre, sentir et percevoir. J’aime filmer les gens en train de manger, par exemple. La nourriture est une chose à travers laquelle on peut tous se connecter. Et puis, le personnage étant lui-même très attentif aux détails, je me devais de l’être encore davantage.

Pig

Alléluia, Nicolas Cage est bel et bien ressuscité! Trois ans après l’halluciné Mandy de Panos Cosmatos, l’acteur américain aux dérives les plus capillotractées confirme qu’il est encore capable du meilleur en vieil ermite crado dévasté par l’enlèvement de sa truie truffière. Lancé à la manière d’un pur petit film de genre sombre et stylé, Pig semble d’abord promis à une explosion de violence vengeresse au coeur d’une civilisation honnie avant de déjouer toutes les attentes et muter en récit de deuil méta qui cherche autant -sinon plus- à panser les plaies de Cage lui-même que du personnage qu’il incarne. Un objet singulier, étonnant, assez fou finalement dans la fragilité et l’apaisement vers lesquels il tend. Dans ce cochon, tout est bon.

Pig, premier long métrage de Michael Sarnoski:

De Michael Sarnoski. Avec Nicolas Cage, Alex Wolff, Adam Arkin. 1 h 32. Sortie: 03/11. ****

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