Paloma Sermon-Daï trouve le ton juste dans « Il pleut dans la maison », son premier film

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Originaire d’Andenne, Paloma Sermon-Daï trouve la bonne distance et le ton juste pour filmer la précarité à hauteur d’adolescents dans Il pleut dans la maison, son premier long de fiction.

Moi j’aime bien travailler avec les miens. » Lâchée en début de rencontre, cette phrase prend tout son sens quand on se penche sur le parcours de Paloma Sermon-Daï. Originaire de la région d’Andenne, la jeune femme s’essaie d’abord au théâtre avant de se former à l’image et à la lumière à l’Inraci, à Bruxelles. C’est là qu’elle commence à faire du documentaire, de manière assez hybride. En 2017, son film de fin d’études, Makenzy, est un court métrage qui suit le retour au village de Sclayn, en bord de Meuse, d’un jeune garçon parti à l’internat. Coincé dans une errance un peu morose, il passe alors une après-midi hors du temps avec sa sœur. « C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec Makenzy et Purdey. Purdey est ma nièce, la fille de mon demi-frère, et Makenzy le demi-frère de Purdey. Ils n’étaient pas trop dans ma vie, je les avais un peu perdus de vue, et je les ai retrouvés pour faire du cinéma.« 

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Dans la foulée de Makenzy, Paloma filme, toujours à Sclayn, son demi-frère Damien et sa propre mère dans Petit Samedi, superbe long métrage documentaire noyauté autour de la toxicomanie du premier. Passé par la Berlinale, récompensé à Angers, Namur et aux Magritte, le film la confirme dans son désir de cinéma. Lors d’une projection, elle recroise Makenzy, qui lui glisse: « Pense à moi si t’as un rôle. » Après avoir parlé de l’enfance dans Makenzy et touché à la vie d’adulte dans Petit Samedi, la réalisatrice a alors envie d’aborder l’adolescence dans une fiction toujours ancrée en Wallonie. « J’avais envie de parler de l’adolescence des gens que j’ai côtoyés. Et puis il y a eu cette envie de travailler au bord de l’eau. Moi j’avais de magnifiques souvenirs au bord des lacs de l’Eau d’Heure. J’étais également intéressée par le rapport au tourisme d’une région par ailleurs très précarisée. Mais au départ, je pensais vraiment partir sur un casting sauvage. Et c’est mon producteur qui, en premier, m’a dit: « Mais tiens, pourquoi tu ne retravaillerais pas avec Purdey et Makenzy? Ils ont le bon âge. » »

Un cinéma de sensations

Paloma Sermon-Daï s’attelle alors à un travail avec Purdey et Makenzy durant un an, avec le scénario d’Il pleut dans la maison (lire la critique page 29) entre les mains. Soit l’histoire, dans la région des lacs de l’Eau d’Heure, d’une adolescente de 17 ans, Purdey, et de son frère de 15 ans, Makenzy, livrés à eux-mêmes dans une maison désertée par une mère démissionnaire, sur fond de passage à l’âge adulte et de fin de l’innocence. « Au départ, il y avait des prénoms écrits, et puis à force de travailler ensemble en improvisation, autour de sensations et de directives que je donnais, en fait leurs prénoms ressortaient tout le temps, ils se trompaient, donc on a fini par garder leurs vrais prénoms. On a fait énormément de sessions où je les filmais, puis je retournais en écriture et je retranscrivais dans le scénario des dialogues qu’on avait improvisés ensemble. Donc on a vraiment travaillé de manière très organique. Parce que je voulais absolument garder leur langage. Dès que j’arrivais avec des dialogues trop écrits, on perdait du naturel. Or je ne voulais pas en faire des acteurs trop construits.« 


Le regard que Paloma Sermon-Daï pose, dans Il pleut dans la maison, sur ces deux adolescents et une certaine précarité n’a rien d’instrumentalisant. Il n’est ni condescendant, ni voyeuriste. « Moi j’ai grandi avec toutes sortes de gens, dans une région où il y a, c’est un fait, de la précarité. Ma mère était auxiliaire de soins, mon père matelot dans la marine marchande. Des gens simples. On a vécu des périodes difficiles. Donc c’est vrai que j’étais attentive à ça. Je n’avais aucune envie d’être surplombante ou d’avoir un regard trop dur sur la situation de mes personnages. Makenzy et Purdey, ce sont des jeunes qui ont vécu de la débrouille, des moments plus fragiles dans leur vie. Donc j’avais l’impression qu’en regroupant nos histoires, on pouvait arriver à se réapproprier quelque part ce discours qui, parfois, dans le cinéma dit social, me semble mal abordé. C’est-à-dire que certains cinéastes ont tendance à aller chercher absolument le drame, un propos très dur. Pour moi, la bonne façon passe forcément par un mélange des humeurs, par la porosité entre le rire et les larmes. Il s’agissait vraiment d’éviter toute forme de misérabilisme. Parce que c’est très facile de faire ça. Et ça donne d’ailleurs souvent des films très poignants et ­efficaces, mais aussi très questionnables.« 


Venue à la cinéphilie sur le tard, la réalisatrice se réclame notamment du travail de Bruno Dumont, de Chantal Akerman et de Kelly Reichardt. « Kelly Reichardt est très inspirante, parce que c’est une cinéaste qui s’est énormément émancipée de tous les codes de narration. Elle est vraiment très libre dans sa façon de raconter des histoires. Avec un minimalisme qui se nourrit des personnages et d’un environnement. Un cinéma d’émotions et de sensations. Je pense à un film comme Wendy et Lucy, par exemple. Pour que le film trouve une certaine justesse, je savais qu’il fallait que je sois vraiment consciente des limites, des forces et des faiblesses de Makenzy et Purdey. Je voyais bien qu’il y avait quelque chose en eux qui irradiait, mais qui ne passait pas toujours forcément par les mots, par exemple. Donc je voulais être attentive à les filmer de la bonne façon, à arriver à faire passer des émotions par des regards, que ce soit vraiment un film de sensations. Jusque dans ce personnage qu’est vraiment la maison, où la couleur des murs finit par rejoindre la couleur des peaux.« 

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