Oliver Stone, militant de l’atome: “On doit inclure le nucléaire dans notre manière de penser”

Oliver Stone, 
77 ans et encore 
toutes ses dents. © ANP
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Invité d’honneur du festival bruxellois Millenium, Oliver Stone évoque les vertus du documentaire, le pouvoir du nucléaire, l’intelligence artificielle, Lula et l’Ukraine…

Can I have a mineral water? Un Perrier avec du limon » Mi-mars, fin de journée. À deux pas de la spectaculaire Grand-Place de Bruxelles, Oliver Stone enchaîne les interviews au bar du luxueux hôtel Amigo. Invité d’honneur du festival du documentaire Millenium, le réalisateur quatre fois oscarisé de 
Platoon, Né un 4 juillet et Tueurs nés, y donne une masterclass et y présente entre autres Nuclear Now, véritable plaidoyer pour l’énergie nucléaire. Conversation à bâtons rompus avec un cinéaste aux documentaires parfois controversés. Un libre penseur comme il se décrit, qui a toujours à 77 ans la langue aussi bien pendue.

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Pourquoi avoir décidé de consacrer un documentaire à l’énergie nucléaire?

Oliver Stone: Tout simplement parce que c’était important pour moi et important pour la planète. J’ai des enfants et je veux que la Terre soit un monde meilleur. Ce monde a été décrit de manière très sombre et pessimiste récemment dans le cinéma et dans les médias. Qu’on parle de changement climatique ou de sa fin toute proche. Le monde est peut-être en train de disparaître mais on peut le changer. Le changer de manière à ce qu’on puisse tous y vivre de manière agréable. Avec du soleil, un air pur et un ciel dégagé. La pollution est extrêmement dangereuse. Le dioxyde de carbone est un poison. Comme le méthane et les autres gaz à effet de serre qui ne cessent de réchauffer la planète. Ça fait huit années consécutives qu’on bat des records de température. Huit années consécutives. Tu vois ce qui se passe sous les océans, dans le ciel. Ce sont de grands bouleversements. Les glaciers fondent. Les tornades se multiplient. Les espèces souffrent…

Y a-t-il eu un tournant dans votre prise de conscience? Quelque chose vous a ouvert les yeux?

Oliver Stone: J’ai réalisé 20 films. À un moment, tu n’as plus envie de te répéter. Le documentaire pour moi est plus fort, plus précis, plus rapide. Tu ne dois pas construire de décor, embaucher des acteurs, des maquilleurs. Réaliser un long métrage de fiction demande énormément de travail. Ne serait-ce que créer une pièce comme celle dans laquelle on se trouve est compliqué. Un documentaire n’exige pas tout ça. Tu vas quelque part et tu filmes. Un documentaire ébranle tes idées et les fait évoluer rapidement. 
Le nucléaire est un sujet particulièrement important parce qu’il est étroitement lié à la question du réchauffement climatique.

Les écologistes l’ont combattu avec force.

Oliver Stone: Oui. Ils l’ont tué en Allemagne et dans certains autres pays aussi. Ils lui ont fait beaucoup de mal. Et à tort. Parce qu’ils faisaient fausse route. L’énergie nucléaire nécessite très peu d’uranium. Et une bombe reste quelque chose de très complexe à fabriquer. Elle contient 95 % d’uranium enrichi. 95 %! Il faut le trouver. Il faut fabriquer la bombe. Ce n’est pas de la blague. On l’a vu à Nagasaki et Hiroshima. Moi, je te parle d’une énergie positive. Le nucléaire est là pour aider l’univers. Bien plus efficace et puissant que le pétrole ou le charbon, il peut changer un tas d’industries. Celle du béton, la métallurgie, l’agriculture. Celles qui causent le plus de dommages à l’air ambiant, qui tuent des gens. Le charbon, c’est affreux. Un demi-million d’individus en meurent chaque année. Il figure parmi les produits les plus toxiques de l’industrie. Alors que le nucléaire en est l’un des plus propres. Parce que les déchets sont petits et gérables. En même temps, la radioactivité est mal comprise. On fonctionne avec des petits niveaux de radioactivité en permanence. Les gens vivent avec elle. Ils vont à l’hôpital pour faire des rayons X par exemple. On ne sait même pas quelles pourraient être ses vertus avec les nouvelles technologies. Certaines choses pourraient rendre notre monde formidable. On doit inclure le nucléaire dans notre manière de penser. C’est pour ça qu’on a fait ce film. Les verts ont peur de la bombe nucléaire. Mais on ne fait pas sauter une centrale nucléaire. Ça n’explose pas comme ça. 
Ça explose mais pas comme une bombe. Ça fait 70 ans qu’on manipule l’énergie atomique. Et il n’y a eu qu’un accident majeur: Tchernobyl, en 1986. C’était une vieille centrale. Et ils ont mal géré. Ça ne s’est pas passé comme le dit la série télé, qui exagère. Tchernobyl, c’est 55 morts. 3 000 ou 4 000 personnes peut-être qui ont ensuite attrapé le cancer. Peut-être. Ce sont les chiffres de l’ONU.

On en saura peut-être davantage dans 50 ans…

Oliver Stone: Et alors? Beaucoup d’études ont été menées. Tu n’as pas de bébés malformés. C’est une hystérie qui vient des films de monstres des années 50. Tchernobyl est une exception. Compare ça à la fatalité que représentent le charbon, le pétrole et les autres… Le nucléaire est tout en bas de la liste en termes d’effets néfastes. On est en train de détruire la planète en hésitant. Aux États-Unis, on a freiné dans les années 70 et 80 suite aux protestations des environnementalistes. Les partis écologistes sont arrivés avec plein de bonnes idées mais aussi des mauvaises. Ils ont même réussi en Allemagne à détruire onze réacteurs nucléaires. Je le montre dans mon film. Et ils les ont remplacés par du charbon. Le nucléaire, les Allemands ne veulent même plus en parler.

Vous disiez dans une interview que vous n’étiez pas un expert du nucléaire et pas non plus un scientifique. Vous vous considérez comme quoi quand vous réalisez un documentaire comme celui-là? Un journaliste?

Oliver Stone: Non. Je me considère comme quelqu’un de responsable. Je l’ai toujours été. Beaucoup de gens me décrivent comme un fou, un sauvage. C’est dû aux films que j’ai faits. Parce quand dans les films, parfois, tu exagères. Tu dois. Tu les rends plus grands que la vraie vie. C’est ce que fait un réalisateur. Pas tout le temps, pas tout le monde. Mais je l’ai fait. Dans les documentaires, tu ne peux pas fonctionner comme ça. Tu dois te concentrer. Parce que tout va être vérifié. Tout va être remis en question. Tu dois donc être prudent. Faire valider tout ce que tu racontes. Plus d’une fois d’ailleurs. C’est ce que j’ai fait. Et c’est ce qui prend du temps. Ce documentaire m’a pratiquement pris trois ans. Le pic de mon travail, c’est The Untold History of the United States. Ça date de 2012 et dure une douzaine d’heures. Ça raconte l’histoire de l’impérialisme américain de 1895 à 2012. Des Philippines à Obama. J’espère que tu le verras. Il a été enterré. Enterré par le système de distribution. En faisant Nuclear Now, j’ai été un artiste, un réalisateur, un citoyen responsable. J’ai aussi été un mari et une épouse. Un père et une mère.

Vous auriez pu réaliser des documentaires sur Jim 
Morrison et Edward Snowden. Mais vous avez opté pour la fiction. Comment décidez-vous du canal à utiliser?

Oliver Stone: The Doors (1991) parle d’expérience. De se perdre dans la musique. De sexe. Du côté animal qu’on a en nous. De la jeunesse. Morrison en est avec d’autres un bel exemple. La musique rendait tout ça beau à mes yeux. Ce n’est pas le cas pour tout le monde, mais c’était clairement ce que j’avais à l’esprit. Quand tu ressens le plaisir sensuel de ce qu’il a apporté au monde, tu veux le transmettre au public. Et tu ne peux pas le faire de la même manière avec un documentaire. Puis, quand tu vieillis, c’est dur de devoir gérer un long métrage de fiction. De créer. De pimper.

La musique a été importante dans votre vie?

Oliver Stone: Surtout quand j’étais plus jeune. La musique me relaxe. Mon épouse n’aime pas que je la mette trop fort. Elle me demande toujours de baisser le son. Donc, c’est compliqué. J’aimais le rock’n’roll. La pop music américaine. Et puis j’ai découvert la soul au Viêtnam. Elle a été très importante pour moi. Parce que je ne la connaissais pas vraiment avant de me retrouver là-bas en tant que soldat. Ensuite, les Doors et toute la vague psychédélique sont arrivés. J’ai commencé à prendre du LSD. À la fin de la guerre du Viêtnam, j’étais prêt à décoller et c’est ce que j’ai fait (il se marre). Après, je suis resté dans le son des sixties. J’ai redécouvert la musique classique. Et récemment la musique ethnique qui est très importante pour moi. 
Le reggae, le jazz afro… Je n’ai jamais vraiment embrassé le hip-hop. Tu y trouves des trucs géniaux. Mais à un moment, c’est devenu un racket.

Il y a une tendance insistante au biopic, au biopic musical même. Comment vous l’expliquez?

Oliver Stone: Il y a toujours eu des biopics musicaux. J’ai fait The Doors il y a 30 ans. Alors, c’est vrai qu’il y en a beaucoup pour le moment. C’est peut-être devenu un business model. Mais en gros, un biopic musical, c’est un ticket gagnant. Tu as derrière l’industrie du disque. Le public aime les chansons. Elles font bouger le film en permanence. Il y a aussi en effet une fanbase sur laquelle tu peux construire le succès de ton film. J’ai été un des premiers sur le coup. Je repense au Coal Miner’s Daughter sur Loretta Lynn (1980). Récemment, j’ai bien aimé Dans les yeux de Tammy Faye avec Jessica Chastain.

En quoi l’intelligence artificielle est-elle en train de modifier l’industrie du cinéma et la réalisation de films? En avez-vous peur?

Oliver Stone: Je n’en ai pas peur non. J’ai souvent eu recours à la CGI (pour Computer Generated Imagery, soit l’ensemble des images, séquences, animations 3D, effets spéciaux… générés par ordinateur, NDLR). J’ai toujours été à l’aise avec ça. Même quand parfois les gens vont trop loin et rendent ça si propre, ça ne m’embête pas. Le cinéma, c’est de l’imaginaire. Ça ajoute juste un autre format à l’imagination. Mais ça vient s’additionner à plein d’autres choses. À des acteurs, à des costumes, à une cinématographie, à des lumières. Le progrès change tout ça. Mais l’essence de ce que tu fais reste ce que tu filmes. En ce qui concerne l’intelligence artificielle, je fais le pari que tout être humain peu battre un ordinateur. Il a une expérience de la vie que l’ordinateur n’a pas. L’ordinateur a besoin de vivre la vie d’un être humain pour acquérir cette expérience, je crois. Les ordis se nourrissent d’informations mais pas d’expérience et donc de sentiment.

Pourquoi consacrer un documentaire à Lula (dont la date de sortie n’a pas encore été annoncée) après ceux sur Chavez et Castro?

Oliver Stone: Lula vient d’un milieu d’ouvrier très pauvre. Il avait huit frères et sœurs. Il a eu une existence très compliquée. Mais il a réussi à émerger de cette vie. Il a été président pendant deux législatures et s’est ensuite retrouvé en prison pour corruption dans ce nouveau monde de guerre juridique et de poursuites judiciaires où ce sont les États-Unis qui mènent le jeu. Dès qu’ils veulent se débarrasser de quelqu’un, ils l’accusent de corruption. Ils se sont débarrassés de Lula pendant un an et Bolsonaro 
est devenu président. Grosso modo un fasciste. Les Brésiliens y ont eu droit pendant quatre ans à la tête de leur pays. La manière dont Lula s’est retrouvé en prison et en est sorti est complètement folle. Et les dernières élections ont été extrêmement serrées. Je pense que les poursuites judiciaires sont utilisées partout pour des raisons politiques, comme un outil politique. Le monde entier est corrompu. Le Brésil fonctionne grâce à la corruption, comme la Turquie, la Russie ou les États-Unis. Les gens au pouvoir prennent de l’argent…

Est-ce que vos films et documentaires vous ont causé des soucis à cause de votre vision du monde?

Oliver Stone: Sans le moindre doute. C’est un frein. Moi, je pense librement. Mais le monde a ses codes. Le monde a ses contraintes. Tu dois penser d’une certaine façon pour être acceptable à ses yeux.

Quelle est votre façon de vous informer? C’est de plus en plus compliqué.

Oliver Stone: En ligne notamment. Je lis la presse traditionnelle parfois pour savoir ce qu’elle pense. Et je peux y trouver des bonnes informations quand elle ne se prononce pas sur des dossiers idéologiques. Dès que c’est le cas, ça devient insupportable. C’est tellement prévisible et triste. Il y a tellement de propagande à l’œuvre. Et il ne faut pas oublier la censure. Elle reste bien présente aux États-Unis, en Angleterre, en Europe… On ne veut pas y entendre les points de vue russe ou chinois par exemple.

Quel regard jetez-vous sur la situation en Ukraine, vous qui avez réalisé une série documentaire de quatre 
épisodes d’entretien avec Poutine?

Oliver Stone: Laissez-moi juste vous dire que je ne suis pas d’accord avec vous.

Mais vous n’avez aucune idée de ce que je pense.

Oliver Stone: Je préfère ne pas parler de ça dans un magazine musical.

Ce n’est pas un magazine musical…

Oliver Stone: Je pense que les États-Unis sont très dangereux et qu’ils créent des tensions dans le monde avec leur agressivité. Le monde change. Et dans tout ça, il y a l’Ukraine. J’ai une vision très différente des Américains à ce sujet. Des gens à qui on n’a cessé de répéter que la Russie était l’agresseur brutal. La propagande est omniprésente chez nous. Les Américains et les Français sont des champions en la matière. Ils ont étudié la publicité et l’ont transformée en art. La propagande américaine est incroyable. Partout.

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