Critique | Cinéma

Mon crime : un Ozon grand cru

4 / 5
La fausse coupable (Nadia Tereszkiewicz) et son avocate (Rebecca Marder). © carole bethuel
4 / 5

Titre - Mon crime

Genre - Comédie

Réalisateur-trice - François Ozon

Casting - Rebecca Marder, Nadia Tereszkiewicz, Isabelle Huppert

Sortie - En salles

Durée - 1h42

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Adaptant la pièce Mon crime, de Georges Berr et Louis Verneuil, François Ozon signe un régal de comédie loufoque, dont il fait habilement résonner le texte des années 30 avec le présent.

Le théâtre réussit décidément à François Ozon. Après sa mémorable adaptation de 8 Femmes, de Robert Thomas, et celle, guère moins savoureuse, de Potiche, de Pierre Barillet et Jean-Pierre Gredy, le voilà qui s’attaque aujourd’hui à Mon crime, succès des années 30 créé par Georges Berr et Louis Verneuil. Une histoire de meurtre et de fausse coupable dont le cinéaste s’empare avec un plaisir non dissimulé, faisant crépiter les dialogues et rebondir les situations, tout en veillant à en faire résonner l’argument avec le présent. Pour livrer, avec le concours d’une troupe d’acteurs complices, au premier rang desquelles les épatantes Rebecca Marder et Nadia Tereszkiewicz, une comédie aussi loufoque qu’irrésistible. Rencontre avec un réalisateur au sommet de son art.

Comment avez-vous découvert la pièce dont est inspiré le film?

Je l’ai découverte pendant le confinement. Comme beaucoup de gens, je regardais beaucoup de films, et notamment ceux avec Carole Lombard, une actrice que je ne connaissais pas très bien. Et un ami m’a dit que, justement, il était en train de regarder un petit film américain des années 30 avec elle, dont il m’a envoyé le lien. J’ai donc vu ce film intitulé La Folle Confession, que personne ne connaît a priori, et qui était adapté d’une pièce française intitulée Mon crime. Le film est très moyen, mais j’ai relu la pièce originale, que j’ai trouvée fort intéressante. J’y ai vu l’occasion de faire un film sur une fausse coupable, un thème qui m’intéressait, et aussi sur une actrice, parler de ce qu’est une actrice, mentir pour dire la vérité, d’une certaine manière.

Comment avez-vous procédé pour conserver au texte et au film le ton de l’époque, tout en le faisant résonner avec le présent?

Je n’ai pas eu grand-chose à faire. La grosse modification que j’ai apportée à la pièce, c’est de la mettre dans le milieu du cinéma. Ce n’était pas du tout une actrice, ni un producteur, mais une jeune écrivaine qui allait devenir secrétaire d’un grand patron, c’était plus dans le milieu des affaires. Et puis, le personnage d’Odette Chaumette (une gloire fanée du muet qui permet à Isabelle Huppert de livrer un grand numéro, NDLR) était un homme, la pièce n’étant en fait pas particulièrement féministe. Elle se concentrait vraiment sur l’aspect judiciaire, sur les rapports ambigus qu’il y avait, dans les années 30, entre la presse et la justice, et sur des scandales de l’époque, complètement oubliés depuis. J’ai transformé tout cela et je l’ai adapté pour le ramener à des choses qui me concernent plus et qui concernent plus le public d’aujourd’hui, c’est-à-dire les rapports d’emprise, de pouvoir qu’il peut y avoir entre les hommes et les femmes, et puis le milieu du cinéma que je connais bien. C’était une manière de s’interroger sur ce qui se passe aujourd’hui.

La collision fonctionne: le producteur assassiné correspond à l’image que l’on peut se faire d’un mogul des années 30, mais les arguments qu’avance Pauline, l’avocate, sont contemporains…

Le contexte historique des années 30 est très intéressant, parce qu’il y a eu objectivement beaucoup de crimes commis par des femmes, mais si on les relit avec une grille d’aujourd’hui, on les regarde complètement différemment. Il y a eu Violette Nozières, qui a tué son père, et les sœurs Papin, qui ont inspiré Jean Genet pour Les Bonnes. Dans le premier fait divers, il s’agit d’une fille qui tue son père, et pourquoi le fait-elle? Parce qu’il la viole, c’est un inceste, ce dont on ne parlait pas vraiment à l’époque. Même dans le film de Chabrol dans lequel jouait Isabelle Huppert, elle m’a dit: “Avec Claude, l’inceste, on n’en parlait pas beaucoup”. Alors qu’aujourd’hui, si on traitait ce fait divers, on l’axerait complètement là-dessus, sur l’emprise d’un père sur sa fille. Et les sœurs Papin, c’est un crime de classe, deux bonnes qui tuent leur maîtresse. C’était donc intéressant de garder ce contexte historique des années 30 et de le faire résonner aujourd’hui. Les femmes n’avaient pas le droit de vote, le patriarcat était vraiment triomphant, elles étaient écrasées, et moi, ce qui m’intéressait, c’était de montrer deux jeunes filles intelligentes qui arrivent à s’en sortir, avec des stratagèmes. Au début, c’est pour survivre, mais petit à petit, une conscience politique s’éveille en elle, et elles embrassent la cause féministe.

Comment votre choix s’est-il porté sur Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder pour les interpréter?

Je ne les connaissais pas, en fait. Je n’avais pas encore vu Les Amandiers ni Simone, donc j’ai fait un casting. J’ai vu toutes les jeunes actrices françaises, et j’ai toute de suite flashé sur elles. L’important, c’était qu’il y ait une vraie alchimie: je n’avais pas envie d’une rivalité féminine dans ce film, mais d’un sentiment de sororité entre les deux, et c’était le cas. Et puis, ce sont deux actrices solides, et c’était important, parce qu’elles étaient en face de Rolls du cinéma, il fallait être au niveau.

Mon crime est une comédie légère. Était-il important pour vous de proposer ce genre de film aujourd’hui?

Ah oui, après le confinement, j’avais envie de revenir à de la légèreté, de la comédie, c’était clairement ça. Au sortir du confinement, j’ai tourné deux films qui auraient dû être faits avant, et qui n’étaient pas particulièrement joyeux, Tout s’est bien passé et Peter von Kant. Donc, j’étais ravi de revenir à quelque chose de plus léger et d’être dans le plaisir. Ça ne veut pas dire qu’il y a moins de travail, au contraire, c’est ce qu’il y a de plus difficile, pour trouver le rythme. Je trouvais important, pour aborder ces thèmes, d’avoir la distance de l’époque: le faire quasiment un siècle avant, dans les années 30, cela met en perspective, et on peut plus rire de certaines situations. Je pense que si j’avais dû traiter cette histoire aujourd’hui, cela n’aurait pas été une comédie.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content