M. Night Shyamalan: « Je suis extrêmement résistant à la technologie »

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Avec Le Dernier Maître de l’Air, M. Night Shyamalan s’essaye à l’heroic fantasy en même temps qu’à la 3D. Interview d’un réalisateur qui a toujours le feu sacré.

Derrière Avatar: the Last Airbender, le nouveau film de M. Night Shyamalan, il y a un phénomène de télévision: la série animée éponyme, créée en 2005 par Michael Dante DiMartino et Bryan Konietzko, et aujourd’hui diffusée dans 120 pays.

A l’instar de Star Wars en son temps, cette épopée fantastique repose sur sa propre mythologie, mettant en scène quatre nations, correspondant aux quatre éléments, dans un monde que le peuple du Feu, dans ses visées hégémoniques, semble conduire à sa perte. De la pâte à saga au long cours, le film en live action qui sort ces jours-ci n’étant que le premier d’une trilogie annoncée.

Et un changement de cap radical pour Shyamalan, qui tourne ici le dos aux thrillers surnaturels ayant imposé sa griffe et fait son succès. Non sans, au passage, se ranger, quelque peu contraint et forcé, aux arguments de la 3D, ainsi qu’il nous l’expliquait récemment dans un grand hôtel parisien.

On trouve, dans The Last Airbender, une mythologie fantastique qui repose sur une spiritualité orientalisante. Cela correspondait-il pour vous à une sorte de retour à vos origines?
Cette spiritualité est l’un des éléments qui m’ont attiré dans cette épopée. Pour la première fois, je pouvais y exprimer quelque chose de totalement lié au point de vue oriental. Et inclure des composantes qui n’avaient pas leur place dans mes films précédents, comme les arts martiaux, en tant qu’expression artistique. J’ai voulu présenter un point de vue oriental au public occidental.

L’accueil positif dont bénéficient mes films dans le monde découle notamment, à mes yeux, du fait que l’on y voit mes influences multiculturelles: je vis à Philadelphie, mais je suis né à Pondichéry, province française de l’Inde, et ma famille habite en Malaisie et à Singapour. J’ai voulu montrer qu’aujourd’hui, le public et le monde se reconnaissent dans le multiculturalisme. Il s’agit définitivement d’un film sur la tolérance culturelle.

Comment l’idée de la 3D s’est-elle imposée?
Au commencement du tournage, nous avons eu des discussions pour savoir si nous allions filmer en 3D. Je craignais que ce ne soit un processus trop lourd, surtout en travaillant avec des enfants. Tourner directement en 3D ne me semblait donc pas judicieux, mais pendant le tournage, des tests de conversion de plus en plus sophistiqués ont été réalisés. Le déclic est venu de la vision de Alice au pays des merveilles de Tim Burton: j’ai alors compris que la 3D n’était qu’un instrument de plus, qui permettait d’amplifier l’impression d’immersion totale dans un monde imaginaire.

D’où venait votre aversion pour le médium?
Je suis extrêmement résistant à la technologie. Je serai le dernier à continuer à tourner en pellicule, comme j’ai été l’avant-dernier à monter sur film, à l’époque de Lady in the Water (j’ai dû recourir aux services des techniciens de Steven Spielberg, plus personne ne sait comment faire). Je suis technophobe: je ne suis pas intéressé par les gimmicks, mais bien par l’inverse, l’histoire et les personnages. Un film comme E.T. avait une part de technologie, mais c’était tellement peu de choses par rapport à l’histoire. Idem pour The Exorcist: je n’aime la technologie que lorsqu’elle est au service de quelque chose de plus grand. Je craignais que la 3D soit trop encombrante, et j’y étais donc fermement opposé. J’ai toutefois donné des notes complètes aux techniciens sur ce que je trouvais esthétiquement choquant, et ils n’ont cessé d’améliorer le résultat, sans que je sois convaincu pour autant. C’est alors que j’ai vu Alice, et que j’ai compris que la 3D n’était jamais qu’un outil dont la qualité reflète celle du cinéaste.

Que considérez-vous qu’elle ait apporté à votre film?
Je pensais naïvement que la 3D ne pouvait que sortir de l’écran pour aller vers le spectateur, mais il s’agit en fait du mouvement inverse: 90% de la 3D tient à la profondeur. J’ai donc surtout veillé à créer de la profondeur, pour renforcer le sentiment d’immersion, et rendre plus crédible cet univers de fantaisie. La 3D dans mon film n’est ni un gadget, ni un élément venu altérer la narration, mais bien la rendre plus immersive. C’est un peu comme si on était passé de la mono à la stéréo, ou du DVD au Blu-ray.

Vous auriez pu recourir à la 3D sur l’un de vos plus petits films?
Je me le suis demandé. Mais cela n’aurait été une option valable ni sur Sixth Sense, ni sur Unbreakable, ni sur Signs, et certainement pas pour The Village. Peut-être pour The Happening, vu l’étrangeté de ce qui y arrive à tout un chacun, et qui touche à la perception. Tout y est bizarre, donc, pourquoi pas. La 3D est une technique très précise (on y recourt, comme on peut choisir d’opter pour une steadycam, par exemple), avec un feeling tout particulier.

The Last Airbender est votre plus grosse production à ce jour. C’était quelque chose à quoi vous aspiriez depuis longtemps? Faut-il y voir la nouvelle direction que vous souhaitez imprimer à votre parcours?
Je ne veux pas abandonner les thrillers surnaturels, que j’aime par-dessus tout. C’est ce vers quoi je tends naturellement, j’ai l’impression d’avoir un nombre illimité d’histoires de ce type. J’en ai esquissé de nouvelles, comme Devil de Drew Doddle, un film basé sur l’une de mes idées qui sort à la rentrée, et dont je suis le producteur. Il reste tant de thrillers à tourner. Mon héroïne est Agatha Christie, et mon rêve serait qu’à la fin de ma carrière, il y ait une cinquantaine d’histoires issues de mon imagination qui, réunies, composeraient une collection ayant une atmosphère homogène. Je ne sais pas comment la trilogie Airbender s’y intégrerait, cela pourrait être quelque chose de totalement différent sur le plan stylistique, correspondant à mon côté opéra. L’explorer serait peut-être amusant, mais à ce stade, je ne vois que ces trois films, et beaucoup d’autres thrillers.

Entretien Jean-François Pluijgers, à Paris

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